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b, d, g (spirantisations ?...),
bl, br, dr, gl, gr...
24-12-2024
I. Problème des spirantisations

Je parle ici de b, d, g intervocaliques (position faible), de b, d, g en position forte, ainsi que des muta cum liquida bl, br, dr, gl, gr en position faible et en position forte.




A. Scénario classique pour b, d, g intervocaliques

Presque tous les linguistes considèrent que les consonnes sonores b, d, g étaient prononcées /b/, /d/, /g/ en latin : cela va pour ainsi dire de soi. En Romania occidentale, ces consonnes auraient été spirantisées en position intervocalique dans l'ordre suivant : /b/ > /β/, /g/ > /ɣ/, /d/ > /ð/. Pour schématiser, il en était de même pour br, bl, gr, dr internes.


Par exemple, Jules Ronjat écrit :

(GIPPM-2:97) "la spirantisation des occlusives sonores s'est effectuée dans l'ordre suivant : dès le lat. vulgaire (...) b (occlusion par deux corps mous) ; à l'époque rom. g (occlusion par corps peu agile avec points de contact variables), puis d (occlusion par corps agile, point sensiblement fixe)"


Autre exemple, François de La Chaussée :

(IPHAF:45) "(...) d'une occlusive à l'autre, la fermeté articulatoire n'est pas égale : la moins ferme de toutes est la bilabiale b ; la dorso-vélaire g l'est déjà un peu plus ; l'apico-alvéodentale d est la plus résistante. Rien d'étonnant donc, si, à l'intervocalique, b > β dès la fin de la République ou au Ier siècle de notre ère au plus tard, g > ɣ dès la première moitié du IIIe siècle, tandis que d > ð, entre la fin du Ve siècle et celle du VIe siècle."


Il faut remarquer que pour le grec classique, des spécialistes emploient le même raisonnement :

(PHMGA:55-56) : "La dentale d et la "gutturale" g avaient une occlusion plus vigoureuse que la labiale b, articulée lèvre contre lèvre ; elles sont demeurées occlusives en κοινή et ne sont devenues spirantes que dans le passage du grec ancien au grec moderne." 


F. de La Chaussée accorde une prononciation ɣ pour g dans certains proparoxytons d'origine étrangère : grec sarcophagu, celtique vertragu (> a.fr. veltre, fr.m. "vautre, chien courant apte à la chasse à l'ours et au sanglier"), toponymes celtiques en -magu :

(IPHAF:55) "bien que la graphie ne le note pas, le g est spirant (ɣ) dès la conquête romaine, et s'est amuï dès la fin du IIe siècle : -maɣʋ > -maʋ̯, Rotomagʋ > Rotomaʋ̯ > ... Rouen."


Voir augŭstŭs ci-dessous. Cependant, comme le dit l'auteur, il s'agit de proparoxytons, et de ce fait g est dans une syllabe atone. Cela a pu précipiter son amuïssement ; une différence de prononciation entre sarcophagus et a(u)gustus n'est alors plus nécessaire.



B. Nouveau scénario pour b, d, g intervocaliques

Je présente ici le scénario adopté préférentiellement dans le site, mais rien n'est certain.


Récemment, le scénario classique ci-dessus a été inversé par Xavier Gouvert ("Les spirantes romanes : innovation ou archaïsme ?" PPDP:38-49). Cet auteur estime que dès le LPC, b, d, g en position interne étaient prononcés /β/, /ð/, /ɣ/.


Dans sa conception, les linguistes ont été abusés par la graphie latine qui ne distinguait pas b, d, g initiaux de b, d, g internes, et par le fait que l'italien standard (issu en grande partie du dialecte florentin) prononce /b/, /d/, /g/ les b, d et g(a,o,u) issus du latin. Or cette dernière prononciation serait une innovation des dialectes du centre de l'Italie, dont le florentin. Par exemple, la prononciation de d /ð/ doit être considérée comme primitive dans les "zones archaïques" de la Sardaigne, en Corse, en Campanie, Lucanie, Calabre et Sicile.


Je cite Xavier Gouvert : "Nous croyons que l'interprétation traditionnelle de la spirantisation romane, due à l'extrapolation de certains faits de graphie, est inexacte. Notre hypothèse est que la désocclusion générale des sonores internes remonte beaucoup plus haut dans l'histoire du latin que l'on admet habituellement et que le système consonantique du sarde ou de l'espagnol est, à cet égard, plus "archaïque" que celui représenté notamment par l'italien standard. Au demeurant, l'existence d'occlusives sonores intervocaliques ([d] et [g]), qui passe pour un trait de conservatisme, n'est pas générale en italien : c'est une singularité des dialectes centraux de la Péninsule, sur lesquels s'est forgée la langue standard et normative." (PPDP:40).

Cependant l'auteur n'est pas clair sur la notion de consonne interne. On doit distinguer interne intervocalique et interne postconsonantique. Ci-dessous je vais tenter de préciser les prononciations et évolutions pour b, d, g intervocaliques et postconsonantiques. Je ferai de même pour b, d, g initiaux et d final.




Cédille

Origine préprotoromane des spirantes romanes, d'après Xavier Gouvert (PPDP:44). Ce schéma est une proposition de la généalogie des spirantes β, ð, ɣ, y. Il rompt avec le schéma traditionnel : en "préprotoroman", b, d, g étaient déjà prononcées  β, ð, ɣ, et on voit la proposition de leur ascendance en protoitalique. En protoroman (latin vulgaire dont je situerais le début vers l'an +100 d'après les convergences v = b et dy = gy), on voit que les consonnes v et b ont convergé en β ; ð et ɣ sont inchangés, dy et gy ont convergé en y (voir d, g + ĭ, ĕ en hiatus). Pour schématiser, le sarde et l'espagnol actuel conservent ces prononciations du protoroman, alors que le roumain et l'italien les ont fait évoluer vers /v/, /d/, /g/.



Attestation antique

Le témoignage de Priscien ci-dessous n'est pas d'une grande utilité pour connaître la véritable nature de b, d, g latins, mais il mérite quand même d'être signalé, d'abord car tout témoignage antique est précieux et doit être analysé.

Priscien (ii. 20. 9 ff. K.) Inter C sine aspiratione et cum aspiratione est G, inter T quoque et TH est D, et inter P et PH sive F est B. Sunt igitur hae tres, hoc est B, D, G, mediæ, quae nec penitus carent aspiratione nec eam plenam possident.

"Entre C aspiré et non aspiré est G, entre T et TH est D, et entre P et PH ou F est B. Ces trois, donc, c'est-à-dire B, G et D, sont des intermédiaires (mediæ), parce qu'ils ne sont ni complètement dépourvus de l'aspiration, ni ne la possèdent pleinement." (à partir de PGL:93-94).

Commentaire : Apparemment Priscien reprend une classification des lettres grecques (par exemple γ est entre χ et κ) (PGL:93), et cela n'apporte pas vraiment d'information sur la prononciation de b, g, d latins.

Étudier aussi Térencien !




C. Avantages du nouveau scénario

X. Gouvert présente plusieurs avantages à ce scénario.


- (PPDP:40) L'ancien scénario de spirantisations sucessives de b, g, d s'étalant du Ier siècle avant J.-C. au VIe siècle après J.-C. est paradoxal : "D'un point de vue fonctionnel, il est de règle qu'un changement de mode d'articulation affecte indistinctement et simultanément toutes les consonnes de la même série. (...) De ce fait, on conçoit mal sur le plan phonétique et/ou phonologique, ce qui aurait pu permettre la spirantisation de *[b] (dans caballus) sans entraîner mécaniquement celle de *[d] (dans nodum) et de *[g] (dans augustum)."


François de La Chaussée estimait que la spirantisation intervenait dans une période de "relâchement articulatoire". En effet l'articulation des occlusives demande un effort, et la spirantisation adoucit ces consonnes. Certes une période de relâchement articulatoire peut s'envisager, mais on conçoit mal qu'elle ait eu lieu sélectivement pour une consonne, puis pour une autre, puis pour une troisième.


- (PPDP:44) L'ancien scénario suppose une spirantisation de g et d postérieure à la fragmentation de la Romania, et qui aurait affecté indépendamment la Romania occidentale, la Sardaigne et le sud de l'Italie. Cela semble peu probable.


Cependant il faut signaler qu'inversement, l'évolution -d- > /d/ existe certes en Italie centrale, mais aussi en Aquitaine, et en Provence orientale. Là encore, on a des aboutissements identiques dans plusieurs régions éloignées.

- Le nouveau scénario est une bonne manière d'expliquer la non-convergence de t et d latins en occitan et dans les langues ibériques.


- Enfin, il n'existe pratiquement aucune "spirantisation" de b, d, g à l'initiale, alors qu'il y a des sonorisations de k, (p, t) : cela appuie l'idée qu'il n'y a pas eu de spirantisations, mais seulement des sonorisations. En "préprotoroman", b, d, g intervocaliques étaient déjà spirantisés alors qu'à l'initiale, ils étaient prononcés /b/, /d/, /g/, et ils continuent à être prononcés ainsi dans les langues romanes. S'il y avait eu des spirantisations à l'intervocalique, une partie des b à l'initiale auraient dû être spirantisés en raison de leur position syntactique (mot finissant par une voyelle, situé devant un mot commençant par b + voyelle), par exemple : bācăm > vaga pour baga "baie (fruit)". Pour d et g, les résultats seraient /z/ et /y/... en début de mot.

Cependant, certains indices montrent que des spirantisations à l'initiale ont bien eu lieu en latin, voir notamment ci-dessous spirantisations anciennes de b-.







II. Évolution de b, bl, br

A. Nature du b latin

1. /b/ ou /β/
  

À l'intervocalique, comme expliqué ci-dessus, classiquement on considérait que la consonne b était prononcée comme en français puis qu'elle se spirantisait en /β/. Comme b est "la moins ferme des occlusives", on considérait que c'est elle qui avait dû être affectée le plus tôt : au Ier siècle après J.-C., tous les b intervocaliques avaient dû être spirantisés (IPHAF pp. 45, 51, 178). Cela concernait tout l'Empire Romain.


Mais ce scénario est remis en question par X. Gouvert (PPDP:38-49), qui propose une prononciation /β/ à l'intervocalique depuis les origines du latin.


Ce scénario résout plusieurs problèmes, et c'est celui qui est préféré dans le site.


Donc :

- en position intervocalique (position faible), b était sans doute prononcé /β/. Pour bl, br intervocaliques, il est probable que la prononciation était /βl/, /βr/.

Donc on aurait dans les paradigmes : făbĕr /faβer/, făbrī /faβriː/ "ouvrier".


- en position initiale ou post-consonantique (position forte), b devait être prononcé /b/ (voir ci-dessous). De même pour les muta cum liquida bl, br en position forte. Pour la position initiale, voir cependant les spirantisations anciennes de b- ci-dessous.






2. /b,β/ ou /f/
   

Pour certains mots, les témoignages écrits montrent une hésitation entre b et f intervocaliques, par exemple : sībĭlāre / sīfĭlāre "siffler". Voir à l'étude de f : hésitation b / f. Je pense que cette hésitation provient de l'ascendance de b ci-dessus : convergence de /b/ et de /ϕ/.




3. β grec
   

(DHANJ:157-159)

La consonne grecque β a connu trois prononciations au cours du temps :

● /b/ à l'époque classique ;

● /β/ à partir des premiers siècles après  J.-C.

(DHANJ:158) "En faisant abstraction de certaines particularités dialectales, c'est aux premiers siècles après J.-C. que le β est devenu une continue bilabiale") ;

● /v/ probablement à partir du IVe siècle après J.-C. (et il conserve cette valeur /v/ en grec moderne).




B. Évolution de b, bl, br en position forte

En position forte, la lettre latine b aboutit à /b/, jamais à /v/ (dans les dialectes romans où b et v ne sont pas confondus). Donc elle devait être prononcée /b/ et non /β/ en latin. Voir cependant les spirantisations anciennes de b- ci-dessous.


En position post-consonantique, quelques exceptions existent : verbam > fr "verve", verbena > fr "verveine", AO vervena / verbena (voir ci-dessous b après consonne).



1. Évolution de b, bl, br à l'initiale
latin

occitan
b-
b-
bācă(m)

baga "baie (fruit)"
bassŭ(m)

bas "bas"
bĕllŭ(m)

bèu "beau"
bĕ

bèn "bien"
bŭllī

bolir "bouillir"



bl-

bl-
blæsŭ(m)

AO bls "blois" (qui articule mal)
blandī

AO blandir "courtiser"
blasphēmā

blasmar "blâmer"
blĭtŭ(m)

blet "betterave"



br-

br-
brāchĭŭ(m)

braç "bras"
brancă(m)

branca "branche"
brĕvĕ(m)

brèu "bref"
Brĭttānĭă(m)

Bretanha "Bretagne"






Tableau ci-dessus : évolution de b, bl, br initiaux.



Spirantisations anciennes de b-

Le b initial (b-), sans doute normalement prononcé [b], devait être spirantisé après un mot se terminant par une voyelle (intervocalique syntactique) (PHL4:87-88). Pour preuve, au Ier siècle après J.-C., où v /w/ a été prononcé /β/ (/w/ > /β/), certains mots montrent une confusion entre b- et v- dans l'orthographe. (La confusion existe aussi à l'intérieur des mots en intervocalique : confusion b, v intervocaliques).



Attestations antiques

Ci-dessous, certaines inscriptions latines antiques attestent d'une confusion de b et v initiaux après des mots se terminant par une voyelle. Cela indique très probablement une spirantisation de b initial, en même temps qu'une évolution /w/ > /β/ à l'initiale.

v- est écrit à la place de b- après mot se terminant par une voyelle (CIL in PHL4:88) :
- patronæ vene merenti     (pour patronæ bene merenti) ;
- habe vene valeas     (pour ave bene valeas).

b- est écrit à la place de v- après mot se terminant par une voyelle (CIL in PHL4:88) :
- Vitalio baliat    (pour Vitalio valeat) ;
- a bobis     (pour a vobis) ;
- qui bixit    (pour qui vixit).


Cependant il faut bien constater qu'aujourd'hui, l'italien, l'occitan, le français, respectent le b- et v- étymologiques ; Max Niedermann explique (PHL4:88) : "(...) la prononciation comme occlusive [/b/], qui s'était toujours maintenue après une finale consonantique du mot précédent et aussi lorsque le b initial était suivi d'une consonne [br-, bl-], semble avoir été rétablie par suite d'un nivellement analogique." C'est-à-dire que les mots en b-, bl-, br- qui suivaient les mots terminés par une consonne ont fini par imposer leur prononciation [b] même après les mots terminés par une voyelle.







2. Évolution de b, bl, br après consonne


Dans la grande majorité des cas, b après consonne évolue en /b/ et non en /v/.


Dans quelques rares cas, rb > rv (verbŭm > fr "verve", verbēnăm > AO vervena / verbena, "verveine". Voir la discussion dans cŏrvŭs > cŏrbŭs.

latin

occitan
-Cb-
-Cb-
-Cp (en position finale après apocope)
albă(m)

alba > auba "aube"
Ambarrĭŭs + -ācŭm > Ambarrĭācŭm

Ambeirac "Ambeyrac" (12), Ambérieux (01, 69)... (-ĭācŭm)
ambō + dŭŏs

AO ambeds, amds, abds "tous les deux"
cambă(m) / gambă(m)

camba / gamba "jambe"
carbōnĕ(m)

carbon "charbon"
cŏrbĕ(m)

AO cǫrp "corbeille"
Narbōnĕ(m)

Narbona "Narbonne"
sămbūcŭ(m)
(voir variante săbūcŭ(m) ci-dessous)

sambuc "sureau"



-rb-
(évolution rare)

-rv-
verbēnă(m)
AO vervena / verbena "verveine"
verbu(m)
niç vèrva / AO vȩrbafr "verve"



-Cb'l-
(voir aussi épenthèse de b)

-Cbl-
ambŭlā

AO amblar "aller à l'amble"
(et peut-être anar "aller")



-Cbr-
(voir aussi épenthèse de b)

-Cbr-
ŭmbră(m)

ombra "ombre"






Tableau ci-dessus : évolution de b, bl, br post-consonantiques.




C. Évolution de b intervocalique
Remarque : je ne parle pas ici de b intervocalique suivi de ĕ/ĭ ou ŏ/ŭ en hiatus, ces voyelles s'étant consonifiées très tôt en /y/ et /w/. Voir évolution de b + ĭ, ĕ en hiatus.


1. Vue d'ensemble sur l'évolution de b intervocalique


Schéma général : (avec la valeur de b latin adoptée dans le site)


Hors contact avec o, u :

Voir la carte 0561 "fève" de l'ALF (< lat făbăm)

b /β/       > v /v/ à l'est,  b /b/ à l'ouest (de l'Hérault et de la Lozère à la Gascogne)
(carte ALF "fève")



u /w/ à l'intervocalique en Gascogne (avec une variante /β/, /b/ dans 64 et sud 40) (1)



-u /w/ en position intervocalique devenue finale, dans tout le domaine occitan
(trau < trăbĕm "poutre") (2)


En contact avec o, u :

b /β/       > /β/ intervocalique >

    prŏbăt /pròβat/ > /pròat/ (> AO proa)



/β/ intervocalique > (cause discutée) /v/

    prŏbăt /pròβat/ > /pròvat/ (> AO prova)

(1) En gascon, voir l'orthographe du même aboutissement pour v latin > u.

NOA, §24 : "Ainsi, lorsque le gascon prononce [w] un <-v-> étymologique, issu d'un <b> latin, placé entre deux voyelles, l'aranais notera <-u-> (par ex. haua (fève), cantaua (je chantais),...). Ce choix fut encouragé par J. Taupiac qui y voit le moyen de bien différencier un <-v-> intervocalique, noté ici <-u->, du <-v->, également intervocalique de alavetz (alors) ou de civilisacion (civilisation),... mais prononcé dans ce cas [β]. (...)"

(2) L'aboutissement trau < trăbĕm couvre le domaine occitan depuis les vallées italiennes (ALF "poutre") jusqu'à Sauveterre-de-Béarn (64) ([traːo] (ALF "fenil"), par Valence ([trao], Marseille, l'Ardèche, le Cantal, Arrens (65) (FEW 13/2:135b).



Par ailleurs la carte ALF "suif" (< sēbŭm) est disponible mais l'étymon latin avait deux formes : sēbŭm et sēvŭm, donc les descendants actuels peuvent provenir de l'une ou de l'autre, et de plus b ou v peuvent s'être amuïs en latin vulgaire.



2. Évolution de b hors contact avec o, u

Schéma général : (avec la valeur de d latin adoptée dans le site)


Hors contact avec o, u :
/β/ intervocalique > /v/ à l'est,
b /b/ à l'ouest (de l'Hérault et de la Lozère à la Gascogne),
u /w/ à l'intervocalique en Gascogne (avec une variante /β/, /b/ dans 64 et sud 40)

    
Voir carte0561 de l'ALF "fève"  (făbăm /faβa/ > /fava/ > fava)




/β/ > -/ʋ̯/   (si /β/ parvient en position finale par apocope)


Détails :


À l'est du domaine d'oc, s'il n'est pas en contact avec o, u, /β/ évolue en /v/ comme en français (GIPPM-2:116). Cette étape se serait réalisée dans la deuxième moitié du IIIe siècle. Voir le développement à la lettre v : /β/ > /v/. Il s'agit d'un "raffermissement articulatoire" (ou d'un "renforcement", ou d'une "fortition").

À l'ouest du domaine d'oc (de l'Hérault et  la Lozère à la Gascogne), le "rafermissement articulatoire" est poussé jusqu'à /b/ (causes à rechercher).

En domaine gascon, /β/ évolue en /w/ (causes à rechercher).




Exemples :

latin

occitan
-ba-
-va- /va/, /ba/...
-ābăt (cantābăt)
-ava (cantava) "il chantait"
ab antĕ > abantĕ
avant "avant"
Căbellĭōnĕ(m)
Cavalhon "Cavaillon"
căbăllŭ(m)
cavau (chivau) "cheval"
făbă(m)
fava "fève"
tăbānŭ(m)
tavan "taon"



-bĕ-
-vè- /vè/, /bè/...
cĕrĕbĕllŭm
cervèu "cerveau"
hībĕrnŭ(m)
ivèrn "hiver"






-bē-, -bĭ-

-ve- /vé/, /bé/...
dēbē
dever "devoir"
hăbēbāmŭs > hăbēāmŭs
aviam "nous avions"
hăbē
aver "avoir"






-bī-

-vi- /vi/, /bi/
*Sābīnĭācŭ(m)

Savinhac (1)






En position finale (voir b, v parvenus en position finale)


-u
trăbĕ(m)

trau "poutre"






Tableau ci-dessus : évolution de -b- intervocalique au contact de a, e, i (devant a, e, i et hors contact avec o, u)


(1) *Sābīnĭācŭm > Savinhac est donné par TGF1:478 pour expliquer l'origine des noms de lieux Savignac dans le sud-ouest, Savigny en français (et Sévigné, etc.)



Convergence de b, v, f intervocaliques


La consonne /β/ apparaît aussi :

- à partir de /w/ au Ier siècle après J.-C., voir évolution de waw primaire.

- à partir de f primaire, qui est rare, voir sonorisation de f.


Ainsi dans tout l'Empire Romain, à partir du Ier siècle après J.-C., le destin de b intervocalique et le destin de /w/ se confondent. Remarquons que /β/ est resté tel quel dans des dialectes espagnols, sardes, et du sud de l'Italie.




Ier siècle

IIIe siècle
Ve siècle
actuel
b (*[β])


[β]

>      [v]

>

[v]
fava
lavar
devesa

făbăm

v (*[w])
>       [β]
lăvārĕ




f  (*[f])
dēfe(n)săm
>


>         [v]






Convergence de b, v, f intervocaliques (hors contact avec o, u, où la consonne a tendance à s'amuïr)







Amuïssement de b par dissimilation de labiales

Dans hăbēbās ci-dessous, le schéma b-b évolue en b- (GIPPM-3:171). Je pense qu'il s'agit d'une dissimilation de labiales, comme pour vivanda > vianda.


hăbēbās > *habeas (> *habias... > aviás "tu avais")


Voir aussi ci-dessous : vĭbrārĕ > vīrārĕ.


Voir aussi vībŭrnŭm / vībŭrnăm > fr viorne ; March viorno ; piém viurn, viurna ; esp viorna ; cal vugurnu montre sans doute un g épenthique (ci-dessus) (variantes provenant de FEW 14:406a)..





3. Évolution de b en contact avec o et u

Schéma général : (avec la valeur de b latin adoptée dans le site)


En contact avec o, u : /β/ intervocalique >

prŏbăt /pròβat/ > /pròat/ (> AO prǫa)



/β/ intervocalique > (cause discutée) /v/

prŏbăt /pròβat/ > /pròvat/ (> AO prǫva)


Détails :


Au contact de o, u, la consonne /β/ évolue selon les deux voies ci-dessous.


(1) Parfois /β/ disparaît : c'est sans doute la voie populaire la plus fréquente.


Pour la Gaule du nord, F. de La Chaussée (IPHAF:51) distingue :
- devant o, u : entre la seconde moitié du IIIe siècle et le début du IVe siècle : /β/ > /w/, qui s'efface entre la fin du IVe siècle et la fin du Ve siècle. Alors que /w/ au contact de o, u a disparu plus tôt.
- après o, u : l'évolution semble la même que hors contact avec o, u (prŏbāre > "prouver", gŭbĕrnăt > "gouverne").
Cependant les cas *nūbăm > "nue" et *rōbīcŭlăm > "rouille", où il y a bien amuïssement de b après o, u, permettent de douter de cette distinction. Je pense qu'en français, l'évolution est semblable à l'occitan.


Je ne pense pas qu'on puisse distinguer les cas "b est devant o, u" et "b est après o, u", comme tente de le faire pour la Gaule du nord F. de La Chaussée (juste ci-dessus). Les formes recensées dans le tableau ci-dessous ne montrent pas cette distinction. Je renvoie à la citation de Jules Ronjat (juste ci-dessous).



(2) Parfois /β/ évolue en /v/ pour des raisons difficiles à préciser.


Je cite Jules Ronjat (GIPPM-2:116) pour le b intervocalique : "Quant à l'effet d'une précession ou séquence labiale, il est souvent fort difficile, même dans l'état moderne, attesté en général avec une localisation plus précise que pour le vpr., de distinguer les divergences dialectales, les restitutions plus ou moins savantes de la consonne intervocalique, les résolutions d'hiatus, les analogies, les emprunts, etc.".


Dans le tableau ci-dessous, les mots avòrta "(il) avorte", evòri "ivoire", avògol "aveugle" sont peut-être des mots influencés par la voie savante car ils concernent des thèmes relativement savants. Mais lavora "il travaille, il laboure", nivol "nuage" concernent des thèmes moins savants (la terminaison -ol est discutée : savante ou populaire). Il me semble que *nībŭlŭm > nivol / niu (AO niol) "nuage", mot très courant, pourrait fournir un modèle de répartition géographique / v. Mais la présence de v peut alors toujours s'expliquer au moins par : une évolution dialectale de /β/, ou une résolution d'hiatus, après amuïssement.


Exemples :


latin

occitan



-bŏ-

-vò-
abŏrtăt

AO aǫrta, avǫrta "avorte"
ĕbŏrĕŭm
evòri "ivoire" (1)
ab ŏcŭlis > *abŏcŭlŭm
AO avògol "aveugle" (2)



-bō-, -bŭ-

-o- (-vo-)
ĕlŭ(m)

ȩvol "hièble"
lăbōrăt

lavora (d, a), laora, laura (l, niç) "(il) travaille ; (il) laboure"
*nībŭlă(m)

AO nivola, niola, niula "nuage, brouillard"
nūbĭlŭ(m) > *nībŭlŭ(m)

nivol, niu "nuage"
săbŭrră(m)

saorra, saurra etc., AO savǫrra "lest, sable"
săbŭrrā

(saorrar), saurra "lester"
sŭbŭmbrā (vers l'an 400)
? sombrar , dér sombre



-bū-

-u- (-vu-)
*hăbūtŭm

agut (pr) ; agut, avut, abut (l) ; augut (g, niç) ; auut (bord) ; ajut (quer) (3)
săbūcŭm
(voir variante sămbūcŭm ci-dessus) (4)

sahuc (g), sauuc (bord), saüc (l) ; sagut, chagut (g)... "sureau" (4)



-ŏb-

-ò- (-òv-)
prŏbăt
AO prǫa, prǫva "(il) prouve"



-ōb-, -ŭb-
-o- (-ov-)
gŭbĕrnŭ(m)
govèrn "gouvernement"
*rōbīcŭlŭ(m)

AO roïlh, rovilh "rouille"
sŭbĭndĕ
AO son, sovn "souvent"



-ūb-

-u- (-uv-)






Tableau ci-dessus : évolution de -b- intervocalique au contact de o / u.


(1) ĕbŏrĕŭm > evòri : par la voie demi-savante ; par la voie populaire, on aurait obtenu evuèr, voir cŏrĭŭm > cuer "cuir".

(2) ab ŏcŭlis > *abŏcŭlŭm > avògol : c'est une voie demi-savante ; par la voie populaire, on aurait obtenu avuèlh, voir ŏcŭlŭm > uèlh "œil".

(3) pour *hăbūtŭm > agut, une analogie avec habuit > *agwit a joué, voir système verbal vélaire.

(4) săbūcŭm "sureau" a de nombreux aboutissements dialectaux dans le domaine d'oc occidental (TDF) mais ces aboutissements montrent que b intervocalique s'est amuï, puis l'hiatus ainsi créé a été souvent résolu par l'insertion d'une nouvelle consonne  (GIPPM-2:120). Dans le domaine d'oc oriental, les variantes dialectales proviennent de la variante latine sămbūcŭm ; cette variante serait d'origine étrurienne selon Bertoldi in FEW 11:9b, comme lambrusca pour labrusca.






D. Évolution de bl intervocalique : *oblītāre, tăbŭlă

(Je dois remanier cette partie !)


Le groupe -bl- n'est primaire que dans un cas : *oblītāre (IPHAF:150). Ce verbe latin a évolué en oblidar (provençal) et "oublier" (français). Donc on peut proposer que -bl- /βl/ a été renforcé en /bl/. Dans toutes les variantes dialectales occitanes connues, passées et actuelles, on a -bl-. Certaines variantes montrent même un m antécédent : omblidar, emblidar (g, quer). Cela laisse penser à un phénomène d'analogie avec l'épenthèse de b (cumulare > comblar, simulare > semblar, tremulare > tremblar).


Le -bl- secondaire provient des post-toniques -bŭlă/ŭs (tăbŭlăm > "table", taula), de -bŏlă/ŭs (dĭăbŏlum > diable) ou bien de -bĭlĭs (ămābĭlĕm > amable) (il faudrait étudier s'il y a d'autres cas, par exemple en prétonique). Pour comprendre le groupe -bl- secondaire , il faut avoir à l'idée plusieurs phénomènes : les syncopes, l'amuïssement ou la fortition de β, la diphtongaison romane spontanée.


On trouve -bl- secondaire par exemple dans "table" (< tăbŭlăm), "étable" (< stăbŭlŭm), "sable" (< săbŭlŭm), "hièble" (< ĕbŭlŭm). Cependant en provençal, on a : taula (< tăbŭlăm). Il existe aussi d'autres aboutissements de tăbŭlăm : "tavle" (ancien dialecte du Ponthieu dans la Somme), tavola (italien). On peut donc considérer quatre scénarios.

(Il y a aussiTafel en allemand, hollandais... ; ces cas ne seront pas abordés ici).



latin

langues romanes

>
oc. taula
tăbŭlă(m)
>
it. tavola
>
fr. table

>
fr.po. tavle

Tableau. Les quatre types d'aboutissements de tăbŭlăm dans les langues romanes.



latin

langues romanes

>
oc. -able (lausable)
-ābĭlĕm
(laudābĭlĕm)
>
it. -evole (lodevole),
port. -ável (louvável)
>
fr. -able (louable)

>
fr.po. -avle (agreavle)

Tableau. Les quatre types d'aboutissements de -ābĭlĕm dans les langues romanes (il est possible que -bĭlĕm soit apparenté à -bŭlŭm : CNRTL "-able", cela pourrait expliquer it. -vole ?)

(fr.po. : agreavle).




Occitan :

nībŭlŭm > nivol, niu

nībŭlăm > nivola, nieula,

nĕbŭlăm > nèbla, (nèpla), nevòla, nievòla, nèula

-ābĭlĕm > -able (sauf dĕbĭlĕm > AO dẹvol)




> βŭlă
> /taβʋla/ > tawola

taula [tawla]
> tavola

tavola (1)
> /taβla/ > tabla

table
> tavla

tavle


Tableau : les quatre scénarios d'évolution de tăbŭlă(m)


- évolution de type "table" (français) :


Certains auteurs décrivent un un redoublement (gémination) du b, qui aurait eu pour conséquence une résistance à la spirantisation de -bl- en -βl-. On aurait :


tăbŭlam (latin classique) > tabla (latin populaire) > tabbla (IIe et IIIe siècle) > tabla (après la 2e diphtongaison ou diphtongaison française, du VIe siècle, sinon on aurait eu "tèble") (PHF).


Pour (IPHAF:150) le scénario est différent :


tăbŭla(m) > (1) βŭlă > (2) taβla > (3) tabla


(1) tăbŭla(m) > tăβŭlă : la spirantisation de b intervocalique a lieu avant la syncope. L'argument de IPHAF est : si la syncope avait précédé la spirantisation, ĕbŭlŭm aurait donné èble ; or il a donné "ièble" ("hièble" : h permettait d'éviter la lecture erronée "jèble" CNRTL). Si le scénario avait été ĕbŭlŭ(m) > èblu > èβlu, la diphtongaison romane spontanée (è > iè) n'aurait pas pu se réaliser car βl fait entrave. En effet, non occlusive + l fait entrave (mĕrŭlăm > merle et non "mierle" en français) (IPHAF:37).

(1 bis) C'est à ce stade que vers le début du IIIe siècle, dans la Gaule du nord : èβŭlŭ > ièβŭlŭ (diphtongaison romane spontanée, qui n'a pas lieu dans le sud de la Gaule).

(2) βŭlă > taβla : cette syncope fait partie de la première syncope parmi celles qu'on pourrait appeler gallo-romaines, c'est-à-dire la syncope devant l (vers le début du IIIe siècle : merulam > merla, soliculum > soliclu, oculum > oclu ; IPHAF:181).

(3) taβla > tabla : la réapparition du b serait due à un effort pour bien prononcer le l ; elle serait apparentée à l'épenthèse de b comme dans cŭmŭlat > comble.



- évolution de type taula (occitan), taule, tôle (dialectes d'oïl) :

Selon GIPPM-2:218, pour l'occitan : « bl, br passent partout à [wl, wr] ». Cependant de nombreuses variantes dialectales existent avec bl ou br : sabla, estable, labra... en regard de saula, estaula, laura... Pour GIPPM-2 on aurait donc une simple évolution bl > wl en domaine occitan.


Mais avec l'étude de IPHAF:150, on peut proposer une étude plus fine.

À l'étape βŭlă ci-dessus, βŭ (ou βó après la mutation vocalique) évolue en w. Donc βŭlă > tawla.






- évolution de type tavle :




L'hypothèse proposée par l'IPHAF (p. 150) semble plus satisfaisante : la datation relative de la spirantisation de b par rapport à la syncope (tabula > tabla) est variable selon les régions.


ebulum > eβulu (1er siècle) > ièβulu (début 3e s.) > ièβlu (3e s.)





tabula "table", sibilare "siffler", parabola "parole" (à continuer ici).





E. Évolution de br intervocalique



latin LPC

occitan
-bra

-ura (-bra)
labră(m)

labra / laura
lībră(m)

liura



-brĕ, -brŭ

-bre (-ure)
alibrŭ(m)

alibre "aube d'une roue de moulin"
colŭbrĕ(m)

colòbre "couleuvre"
Κύπρος "Chypre" > *cŭbrŭ(m) (1)

cure > cire "cuivre" (1)
fabrŭ(m)

fabre (g, lim faure) "forgeron"
fĕbrĕ(m)

fèbre "fièvre"
lĭbrŭ(m) (2)

libre "livre"



-b're, -b'

-ure / -bre
cadavere(m)

cadabre
scrīb(ĕ)rĕ

escriure



-br-

-r-
(dissimilation de labiales)
vĭbrārĕ > *vībrā (2)
virar



Tableau ci-dessus : évolution de br intervocalique.


(1) Pour *cŭbrŭm "cuivre" : FEW 2:1615a (trad.all.) "L'AO coure (au lieu de *cobre) ne peut s'expliquer que si cŭprŭm était déjà parvenu sous la forme *cŭbrŭm dans le sud de la Gaule. L'évolution -pr- > -br- permet de déduire que le mot a été emprunté directement au grec (cf. pyxis > buxida [> "boîte"]). L'AO coure est ensuite devenu coire par dissimilation."


(2) Pour vĭbrārĕ > *vībrārĕ, l'allongement du i se serait réalisé par influence de lībrārĕ "peser avec la balance" (CNRTL "virer"). Je pense qu'on peut proposer (à plus forte raison) la même explication pour lĭbrŭm > libre "livre" (voir dans le tableau lībră "livre romaine (poids))", alors que CNRTL "livre" considère le mot comme un emprunt. Il faut aussi étudier l'influence possible de lībĕr, lībĕră, lībĕrŭm "libre".





III. Évolution de d, dr



A. Nature du d latin



À l'intervocalique, comme expliqué ci-dessus, classiquement on considérait que la consonne d était prononcée comme en français puis qu'elle se spirantisait en /ð/. Les linguistes la considéraient comme la plus résistante aux spirantisations, et sa transformation se réalisait donc après celle de b et de g (IPHAF:45). Pour la Gaule du nord, F. de La Chaussée proposait comme date de cette spirantisation : entre la fin du Ve siècle et la fin du VIe siècle.


Mais ce scénario est complètement remis en question par X. Gouvert (PPDP:38-49), qui propose une prononciation /ð/ à l'intervocalique depuis les origines du latin.


C'est le scénario que j'adopte dans le site : d intervocalique vaut /ð/ dès le latin LPC.


Donc :

- en position intervocalique (position faible), d était sans doute prononcé /ð/. Pour la muta cum liquida dr intervocalique, il est probable que la prononciation était /ðr/.


- en position initiale ou post-consonantique (position forte), d devaient être prononcé /d/ (voir juste ci-dessous). De même pour la muta cum liquida dr en position forte.


Attestation antique

Ci-dessous la confusion entre les caractères latins z (normalement prononcé /dz/) et d pourrait montrer que les deux consonnes sont voisines.

Prob,13: septizonium non septidonium "le bon mot est septizonium, pas septidonium"

Un septizonium est un type de monument, dont on trouve les trois orthographes septizonium, septidonium, septizodium. L'inscription septidonium se trouve notamment à Cincari en Tunisie. La forme originelle pourrait être en effet septizonium.





B. Évolution de d, dr en position forte

En position forte, la lettre latine d aboutit à /d/. Donc elle devait être prononcée /d/ et non /ð/ en latin.



1. Évolution de d, dr à l'initiale


latin

occitan
d-
d-
dēbĭtŭ(m)

deute "dette"
dĕcĕ(m)

dètz "dix"
dĕntĕ(m)

dènt "dent"
dīcĕrĕ

dire "dire"
dŏnā

donar "donner"
dŭplŭ(m)

doble "double"



dr-

dr-
drăcōnĕ(m)

dragon "dragon"
drăppŭ(m)

drap "drap"
d'r-

dr-
dīrĕctŭ(m)

drech "droit"







Tableau ci-dessus : évolution de d, dr initiaux.



2. Évolution de d, dr après consonne


latin

occitan
-Cd-

-Cg-
cardōnĕ(m)

cardon "chardon"
mandā

mandar "envoyer"
mĕrdă(m)

mèrda "merde"



-C'd-
-Cd-
gaul -dūnŭm "forteresse"
Uxellodūnŭm "enceinte fortifiée" > Exoldunum (1)

-dun
Issodun (23), Issoudun (36) (1)
călĭdŭ(m)

caud, AO caut "chaud"
laridŭ(m)

lard, AO lart "lard"






-Cd'r-
(voir aussi épenthèse de d)

-Cdr-
abscŏndĕrĕ

escondre "cacher"
fĭndĕrĕ

fendre "fendre"
pĕrdĕrĕ

pèrdre "perdre"
prēndĕrĕ

prendre "prendre"
tŏndĕrĕ

tondre "tondre"



Amuïssement de d
Vĭndască(m)

Venasca "Venasque" (84)






Tableau ci-dessus : évolution de d, dr post-consonantiques.


(1) Pour Uxellodūnŭm, voir TGF3:172 :

Issodun "Issoudun-Létrieix" (23) : XIIe siècle : Exolduni ;

Issoudun (36) : année 984 : Uxelodunum, année 1190 : Exoldunum.




C. Évolution de d intervocalique

Remarque : je ne parle pas ici de d intervocalique suivi de ĕ/ĭ ou ŏ/ŭ en hiatus, ces voyelles s'étant consonifiées très tôt en /y/ et /w/. Voir ci-dessus évolution de d + ĭ, ĕ en hiatus (ĭnŏdiăt > enuia, enueja).

1. Schéma général pour d intervocalique : d > /z/

Schéma général : (avec la valeur de d latin adoptée dans le site)


d /ð/ > /z/

d /ð/ > (une partie des dialectes nord-occitans)

d /ð/ > /d/ (large façade atlantique et irrégulièrement en Provence orientale)



Pour mémoire, Jules Ronjat (GIPPM-2:94-95) estimait que l'évolution occitane générale était -d- /d/ > /dz/ > /ð/. Voir aussi évolution de d en Aquitaine ci-dessous.



2. Détails de l'évolution de d intervocalique

L'assibilation de d est typique de l'occitan (du moins d'une grande partie sud du domaine d'oc)


En occitan, l'évolution générale d /ð/ > /z/ est une assibilation ; elle est datée du XIe siècle.

Au contraire, en français, en espagnol et en catalan, /ð/ s'est amuï : sūdārĕ /sʋːðaːré/ > fr "suer", esp suar, cat suar. Voir ci-dessous tableau de t et d intervocaliques.

En italien, /ð/ latin se serait renforcé en d > sudare (voir ci-dessus nouveau scénario pour b, d, g). Ce serait le cas aussi pour l'occitan de la façade atlantique (Aquitaine ci-dessous), et en Provence orientale (voir ci-dessous).



3. Évolutions dialectales particulières de d intervocalique

Aquitaine : d > /d/

En Aquitaine (façade atlantique : Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques, et Pyrénées jusqu'en Ariège, voir la carte1263 de l'ALF "suer"), on a : d > /d/. Ces régions ont sūdāre > sudar /suda/ et non susar. Dans le scénario adopté dans le site, ce /d/ est secondaire, comme dans les dialectes d'Italie centrale (et donc la langue italienne).



Je remarque que ce /d/ rejoint l'évolution bordelaise tĭ, tĕ en hiatus > /d/ et l'évolution bordelaise ce, ci en position faible > /d/. Avec la théorie de Jules Ronjat sur l'évolution générale du d dans le domaine d'oc (-d- /d/ > /dz/ > /ð/), on pouvait proposer une évolution /dz/ > /d/ en Aquitaine, comme pour tĭ, tĕ et ke, ki. Il est possible d'inverser ce scénario en posant un d originellement prononcé /ð/ : /ð/ > /dð/ > /dz/? > /d/. Seule la composante occlusive de l'affriquée aurait demeuré en Aquitaine, comme pour tĭ, tĕ en hiatus et ce, ci en position faible.





Cet aboutissement aquitain /d/ est cohérent avec le durcissement du d devenu final :

- nōdŭm > not /nʋt/ "nœud" ;

- crūdŭm, crūdăm > crut /krut/, cruda "cru, crue".

Cela prouve que l'aboutissement /d/ a précédé les apocopes, donc qu'il doit être antérieur aux VIIe, VIIIe siècles.


Il est remarquable que la carte1263 de l'ALF donne /suða/ dans six points d'enquête formant une bande nord-sud au contact des zones sudar et susar (de sar40 à lan65. Dans le scénario adopté dans le site, ce ð de /suða/ représenterait la prononciation originelle du LPC, au contact de la zone occidentale très majoritaire à /z/, et la zone aquitaine à /d/.



Provence orientale : d > /d/

En région niçoise et à pla06, la même évolution que l'Aquitaine existe pour d latin intervocalique : d > /d/ (GIPPM-2:129).

La carte1263 de l'ALF "suer" < sūdāre montre que pla06 dit sudar /suda/. Sur un territoire plus large, on dit not /nʋt/ "nœud", et sur un territoire encore plus large, jusqu'au Vaucluse), on dit /kru/, /krudo,a/ "cru, crue". .



Nord-occitan : d > ∅

En nord-occitan, souvent d > . Pour le vivaro-alpin nord, Jules Ronjat décrit ainsi cette zone d'amuïssement du -d- latin (GIPPM-2:123) : Fontan (06), mentonnais, alpin, dauphinois, vivarais nord, parler de Montregard, Riotord (43) et parlers voisins du Velay nord et du Forez. Il faudrait constituer une cartographie de cette zone.

À continuer : auvergnat, limousin.



Exemples :


Cădŭrcī > Caors "Cahors" (46) [kòw], [kaws], [kòws] (PCLO:49)

La Bredola (année 1079) > La Breòla "La Bréole" (04)

gaul Eburodūnŭm > Embrezun (SHon), Embrun/Ambrun "Embrun" (05).




4. Exemples (d intervocalique)


latin

occitan
-d-

-s- /z/
(cas général)



gaul V + -dūnŭ(m) "forteresse"
Eburodūnŭm, Baladūnŭm

-sun (-dun) (1)
(Embrezun, SHon "Embrun", 05, Balasú "Balazuc", 07)
ăd Aquīs

as Ais "à Aix"
ăd Aptăm

as Ate "à Apt"
Adām

AO Asam "Adam"
ădăquā

asaigar "arroser" (2)
*ădoblītā

lang asoblidar "oublier" (2)
ădŭmbrā

asombrar "ombrer" (2)
audī

ausir "ouïr"
caudăm > cōda

AO coza "queue"
crūdŭm, crūdăm

crus, crusa / cruda "cru(e)"
gaudērĕ > *gaudī

gausir "jouir ; user"
laudā

lausar "louer"
laudăt

lausa "il loue"
mĕdŭllăm

mesola "moelle"
pēdŭcŭlŭ(m) > *pēdŭclŭ
pesolh "pou"
rĕdemptĭōnĕm
AO rezemson "rachat ; rançon..."
rīdēmŭs
risèm "nous rions"
sūdā
susar "suer"
sūdăt
susa "il sue"
vĭdēmŭs

vesèm "nous voyons"
vĭdēre

g veser /vézé/ "voir"
vĭdērĕ > *vĭdĕrĕ

lang véser /vézé/ "voir"



Tableau : devenir du -d- intervocalique.


(1) Pour l'élément gaul -dūnŭm, la syncope a parfois entraîné une prononciation /d/ au contact d'une consonne antécédente, ce qui explique par exemple la différence d'aboutissement entre d'une part fr.pr. Inverdon ("Yverdon" Jur.suis.), Averdon (41), et d'autre part Embrezun SHon = Embrun "Embrun" (05) (< prototype gaul Eburodūnŭm) (voir TGF3:170, 173)

(2) Pour les verbes latins en ăd- + voyelle, voir DOM "adagar" (~ asaigar) : il existe des variantes AO nombreuses en ad- ; le DOM estime : "a. occ. ad‑ < lat. ᴀᴅ- n'est est pas moins «régulier» là où il s'est maintenu ou constitué à nouveau en unité morphologique (préfixe ou préposition dans les comp. adverbiaux). Comme en général les formes en ad‑ semblent prédominer (cf. Adams 417), c'est ad‑ qu'on retrouve dans les entrées correspondantes du DOM." A priori j'aurais dit que le "maintien" de ce -d- en occitan est un traitement dialectal de l'Aquitaine (voir variante actuelle g adaigar...), mais à étudier.




D. Évolution de d intervocalique en regard de celle de t intervocalique
1. Raisonnement sur l'évolution de d et t intervocaliques

Si on considère que la nature de d latin était /ð/ (nouveau scénario ci-dessus), cela résout notamment le problème du d primaire et du d secondaire, qui ne se confondent pas en occitan ni en espagnol. En effet les trois propositions suivantes se contredisent :


(1) "la sonorisation du t a lieu vers l'an 400 : t > d" ;

(2) "la spirantisation du d se réalise tardivement vers le VIe siècle : d > ð (puis > /z/)" ;

(3) "les aboutissements de t et d latins ne se confondent pas en occitan".


L'équivalent de ces trois propositions est dans l'œuvre de J. Ronjat :
- GIPPM-2:70 : sonorisation de t commençant au IIe siècle après J.-C. ;
- GIPPM-2:97 : spirantisation de d "après l'ébranlement de ´e" (au moment des apocopes) ;
- GIPPM-2:70 : t > d, et GIPPM-2:94-95 : d > /z/.


La proposition (3) est sûre ; elle concerne une grande partie du sud-occitan. Il faut donc revoir au moins l'une des deux premières propositions. X. Gouvert revoit la proposition (2) en repoussant très loin dans le passé l'apparition de /ð/. Mais on doit quand même garder à l'esprit que, concernant la proposition (1), il existe de grandes incertitudes sur la datation de la sonorisation de t selon la géographie.


Je cite X. Gouvert (PPDP:41) "Il est donc inexact de prétendre que "primaire ou secondaire (issu de t), d [intervocalique] passe à δ" en protofrançais (pace La Chaussée 1974, 50) : cela donne à croire que *[d] primaire aurait "attendu" la sonorisation de *[t] pour se spirantiser – qu'il y aurait donc eu un seul cycle de spirantisation des occlusives. En réalité, */-d-/ était déjà articulé *[ð] lorsque */-t-/ est devenu *[d], et les données occitanes et ibériques prouvent que ce *[ð] était amuï ou vocalisé quand */-d2-/ s'est spirantisé à son tour (cf. esp. caer, pie, ver en face de maduro, nadar, seda)."




2. d et t intervocaliques dans les graphies des plus anciens textes


a. d et t intervocaliques dans les plus anciens textes occitans


Chanson de Sainte Foi


Pour l'occitan, dans SFoi, considéré comme le plus ancien texte littéraire occitan, on trouve sur le plan étymologique deux types de d intervocaliques :


d primaire (très certainement prononcé /ð/) :

audi "j'entendis" (audī)

laudad "loué (vanté)" (laudā)

gaudir "jouir" (< gaudē)

judeu "juif" (< jūdæŭs)

veder "voir" (< vĭdē)

Rodens "Rhône" (< Rhŏdănŭs)

decadeguz "déchu" (< dēcădē + oc -gut)

...


d secondaire /d/ :

encontrada "contrée" (< *ĭncŏntrā)

ampledad "ampleur" (< amplŭs + -ā)

aiudez "(que vous) aidiez" (adjūtā)

emperador (< ĭmpĕrātōrĕm)

poder "pouvoir" (< *pŏtē)

madura "mûre" (< mātū)

pudent "puant" (pūtĕntĕm)

...


Le LGDR:28 commente : "un -d- étymologique demeure, il sera bientôt spirantisé. Sainte Foy présente cadegut pour cazegut, laudad pour lauzat, Rodens pour Rozens, veder pour vezer". Cette interprétation ne tient pas ("il sera bientôt spirantisé", pace R. Lafont) puisqu'en occitan, les d primaires et les d secondaires ont des destins différents. On est obligé d'admettre que les deux types de d étaient distingués à la lecture :

- Le d primaire était spirantisé depuis longtemps (/ð/), même depuis l'antiquité dans le scénario adopté dans le site. Il correspond au digramme dh de SerStra (ci-dessous), et à d d'Eulalie (ci-dessous). Ce /ð/ subit une assibilation typique de l'occitan (ci-dessus) dans le siècle où a été écrit SFoi. Il faudrait donc écrire : "le -d- étymologique, prononcé /ð/, sera bientôt prononcé /z/, si ce n'est déjà fait."

- Le d secondaire était prononcé, et est toujours prononcé /d/.



Passion de Clermont

Le texte PassClerm présente également des d primaires (veder, laudar, judeu...) et des d secondaires (aiude "aide", vide "vie", crident "ils crient"...). Il me semble que PassClerm est dans le même cas que SFoi ci-dessus : les deux d primaires et secondaires étaient distingués à la lecture.

 


Remarque : PassClerm présente à la fois des traits AO et des traits a.fr., probablement en raison de modifications lors des copies, mais globalement il est "plutôt occitan".

Il présente des infinitifs de la première conjugaison en -ar : 30 occurrences, et en -er : 17 occurrences. Je pense que le texte présente davantage de traits phonétiques occitans : on ne trouve que man, pan, sanz et non "main", "pain", "saint" ; vius, caitiu et non "vifs", "captif" ; vengues "qu'il vînt", aparegues "apparut", ton paire "ton père", apocope de type occitan pour Lazer "Lazare". Cependant : son cher amic "son cher ami"...

Pour "cité", on a la variante occitane ciutat et la variante a.fr. ciptet (voir v + consonne).

Étude à continuer.


Il faut signaler que d'autres textes, "davantage français", présentent des traits occitans : Léger, SerStra (ci-dessous).




b. d et t intervocaliques dans les plus anciens textes français


Pour le français, le stade /ð/ a existé aussi bien pour les d primaires que pour les d secondaires.



Serments de Strasbourg


Dans SerStra, /ð/ est retranscrit avec le digramme dh (IPHAF:53) :


d primaire (sans doute prononcé /ð/) est écrit dh

Lodhuvigs (< Lŭdŏvĭcŭs)


d secondaire > (VIe s. : spirantisation) /ð/, écrit dh

aiudha "aide" (dér < ădjūtārĕ "aider")

cadhuna "chacune" (< cătūnăm)

Ludher "Lothaire, Lohier, Loyer" (< Lotharĭŭm)


Séquence de Sainte Eulalie


Dans Eulalie, le même /ð/ est écrit d (IPHAF:53) :


d primaire /ð/, écrit d

adunet "elle rassembla" (ădūnārĕ)

empedementz "chaînes, entrave" (< ĭmpĕdīmĕntă)


d secondaire > (VIe s. : spirantisation) /ð/, écrit d

presentede "présentée" (-ede < -ātă)

une spede "une épée" prononcé sans doute /espéðə/ (< spăthăm)


En domaine d'oïl, ce /ð/ s'amuït dans le courant du IXe siècle, siècle où ont été écrits SerStra et Eulalie. Voir évolution de t (Clivage oc / oïl).






3. Tableau synthétique de d et t intervocaliques

Voici ci-dessous une proposition de l'évolution conjointe de t et d latins en Gaule et dans la péninsule ibérique.


LPC
≈ 400
Ve siècle

VIe siècle

actuel
suδare
suδare



fut.s-oc.ib.

suδare

> XIe s.
s-oc
susar


vida


vida

>
esp, cat, port
suar
vita(m) > vida

vida


>


fut.n-oc.oïl. 

suδare
viδa


> IXe s.

n-oc  ,   fr

suar     suer
viá      vie

Tableau ci-dessus : proposition de scénario d'évolution de t et d intervocaliques en domaine d'oc et en domaine d'oïl et en domaine ibérique. On voit que d et t ne se rejoignent pas en sud-occitan ni en domaine ibérique, mais ils se rejoignent en nord-occitan et en français.


Voir aussi ci-dessus la notation de /δ/ en très ancien français (SerStra).





E. Évolution de dr intervocalique

L'évolution de dr intervocalique est identique à tr intervocalique ; elle est typique de l'occitan. À comparer avec dr français.



latin

occitan
-dr-

-ir-



căthĕdră(m)

cadièira > cadiera... "chaise" (1)
quădrātŭ(m)

cairat (> carrat) "carré"
quădrŭ(m)

caire "coin, angle"






-d'r-

-ir-



crēdĕrĕ > *crēdrĕ

creire "croire"
fŏdĕrĕ > *fŏdrĕ

foire "fouir"
hĕdĕră(m) > *hĕdră(m)
ièira > iera, èira... "lierre" (1)
Īcĭodŭrŭ(m) > Iciodru
Içoire, Çoire "Issoire" (63) (2)
pēdĕrĕ > *pēdrĕ

AO pire "péter" (3)
sĕdērĕ > *sĕdĕrĕ >  *sĕdrĕ

AO sȩire "être assis ; s'asseoir"
vĭdērĕ > *vĭdĕrĕ > *vĭdrĕ

pr veire "voir"




Tableau : devenir de -dr- intervocalique.

(1) Pour căthĕdrăm > cadièira, hĕdĕrăm > ièira, on entre dans le cadre de la diphtongaison conditionnée par y issu de d + r : èy > ièy. Les variantes èure, èune s'expliqueraient par un croisement d'étymons (GIPPM-2:226).

(2) Pour Īcĭodŭrŭm > Içoire "Issoire", TGF1:176 donne bien « en pays occ., -ód(u)rum devient -oire, comme fodere devient foire "fouir" ».

(3) Pour pēdĕrĕ > AO pire "péter", le verbe actuel unique petar provient de *pēdĭtārĕ.



Voir aussi les d secondaires :

petra > pedra > pèira

patre > padre > paire





F. Évolution de d latin final

Le -d latin existe dans ăpŭd, ad, quĭd et quŏd (PHF-f3:659).


 ăpŭd  "chez ; auprès de", puis "avec"

Selon Pierre Fouché (PHF-f3:659), pour ăpŭd, "le d final est sans doute tombé dès l'époque latine" : /apʋd/ > */apʋ/. Voir ăpŭd (p intervocalique).




ad  "vers ; à"

Dans le cadre du nouveau scénario ci-dessus, aδ devait exister dès le latin classique devant un mot à initiale vocalique. Pour l'occitan, en suivant l'évolution du d intervocalique, il a donné az (écrit as en occitan moderne, resté dans les expressions figées comme as Ais "à Aix"). Devant consonne, aδ a dû évoluer très tôt en a. La variante az devant voyelle permettait d'éviter l'hiatus, et son emploi était renforcé par l'emploi d'autres monosyllabes en -z, voir quĭd ci-dessous, et et, aut, at (évolution de t final). Voir z, lettre euphonique.


Les exemples ci-dessous montrent les deux variantes AO a devant consonne et az devant voyelle : 


E s'ieu volia retraire ni comtar / los ondratz faitz, seynher, que·us ai vistz far, / poiria nos az amdos enujar, / a me del dire, a vos del escotar (RaimbVaq in DOM) = Et si je voulais retracer et conter / les honorés faits, seigneur, que je vous ai vu faire, / pourrait à tous deux ennuyer, / à moi du dire, à vous de l'écouter (CPOT 2:260, adapté).


Année 1353 : A XXI de juin, per far far portas novas a-z-amdos los celiers de l'ostal dals tres pilars, e-z-a l’ostal von esta l’evesque de Clarmont (...) (HLPA:95) = (prop.tradu.) Le 21 juin, pour faire faire des portes neuves aux deux celliers de la maison des trois piliers, et à la maison de l'évêque de Clermont (...) (Comptes de la tutelle de Douceline de Saze).


Année 1378 : (...) que coventava a restituir a-z-aquelos de Valrias, (...) fom arestats a-z-Avinhon per XV jorns (HLPA:42) = (...) qu'il convenait à restituer à ceux de Valréas, (...) furent saisis à Avignon pour 15 jours (Comptes du trésorier des États du Comtat).



Selon Pierre Fouché (PHF-f3:660), pour le français : "Quant à ad, il est devenu /aθ/, d'où a, devant un mot commençant par consonne, et aδ devant un mot à initiale vocalique. Dans la Sainte-Eulalie, on a en effet a devant consonne et ad devant voyelle. Mais cet état de choses s'est vite simplifié et a (écrit à) s'est généralisé dans toutes les positions."


Voir d retranscrivant /δ/ dans Eulalie ci-dessus.




quĭd  "quelle chose ; quoi" (forme du pronom interrogatif quĭs au neutre nom. et acc. singulier)

Dans l'Antiquité, la voyelle ĭ évolue en é (ĭ > é). Pour le français, Pierre Fouché (PHF-f3:660) donne le même processus que celui pour ad ci-dessus. Je propose cette synthèse conjointement pour l'occitan et le français :


● Devant consonne :

- en position atone, -d disparaît et quĭd aboutit à que /ké/ en occitan, "que" /kə/ en français) ;

- en position tonique, quĭd devient qué en occitan, "quoi" en français (a.fr. quei, quoi, voir le type "toile").


● Devant voyelle :

- en position atone :

en AO *queδ devient sans doute quez (quez n'est cité que comme conjonction dans DOM) ;

en a.fr. P. Fouché cite qued (queδ), mais dans le sens du pronom interrogatif, je ne trouve que que et qet (Jonas : Liberi de cel peril qet il habebat discretum qe super els mettreit; 203 in  CNRTL "que").

- en position tonique, P. Fouché semble donner queit pour l'a.fr..


En AO, la forme quez fut sans doute maintenue longtemps car elle avait l'avantage d'éviter l'hiatus ; elle passa comme "que" (emploi pronominal) : 1358 : Per la question que-z-era entre nos e mesier Loys Calviera (...) (HLPA:54), et fut renforcée par l'emploi des autres monosyllabes en -z : voir ad ci-dessus, et voir et, aut, at (évolution de t final). Voir z, lettre euphonique.






IV. Évolution de g, gl, gr

Remarque : je ne parle pas ici de g intervocalique suivi de ĕ/ĭ ou ŏ/ŭ en hiatus, ces voyelles s'étant consonifiées très tôt en /y/ et /w/. Voir ci-dessus évolution de g + ĭ, ĕ en hiatus.


Remarque sur g initial et après consonne

Pour g en position forte devant a : il est conservé (gallīnăm > galina) en sud-occitan, et palatalisé en nord-occitan (gallīnăm > jalina).




A. Nature du g latin


À l'intervocalique, comme expliqué ci-dessus, classiquement on considérait que g était prononcé comme en français (/g/), puis qu'il se spirantisait en /ɣ/. Pour la Gaule du nord, F. de La Chaussée proposait comme date de cette spirantisation : dans la première moitié du IIIe siècle après J.-C (IPHAF:45). 


Mais ce scénario est complètement remis en question par X. Gouvert (PPDP:38-49), qui propose une prononciation /ɣ/ à l'intervocalique, depuis les origines du latin.


C'est le scénario que j'adopte dans le site : g intervocalique vaut /ɣ/ dès le latin LPC.


Donc :

- en position intervocalique (position faible), g était sans doute prononcé /ɣ/. Pour gl, gr intervocaliques, il est probable que la prononciation était /ɣl/, /ɣr/.

Donc on aurait dans des paradigmes du type : ăgĕr /aɣer/, ăgrī /aɣriː/ "champ".


- en position initiale ou post-consonantique (position forte), g devait être prononcé /g/ (voir juste ci-dessous). De même pour les muta cum liquida gl, gr en position forte.





B. Évolution de g, gl, gr en position forte

En position forte, la lettre latine g aboutit à /g/. Donc elle devait être prononcée /g/ et non /ɣ/ en latin.


1. Évolution de g, gl, gr à l'initiale

Pour g initial, il n'est question ici que de g latin suivi de a, o, u. Pour ge-, gi-, voir ge, gi en position forte.


latin

occitan
g-
g-
gallŭ(m)

gal, gau "coq"
gaudĭŭ(m)

gaug "joie"
gŭbĕrnŭ(m)

govèrn "gouvernement"
gŭlă(m)

gola "gueule"
gŭrgĕ(m)
gorg "trou d'eau"
gŭttă(m)

gota "goutte"



gl-

gl-
glăcĭĕ(m)

glaç "glace"
glădĭŏlŭ(m)

glaujou "glaïeul"
glŭttōnĕ(m)

gloton "glouton"



gr-

gr-
grāmĭnĕ(m)

grame "chiendent"
grandĕ(m)

grand "grand"
grānŭ(m)

gran "grain"
Grātĭānŏpŏlĕ(m)
Grenòble "Grenoble"






Tableau ci-dessus : évolution de g, gl, gr initiaux (sauf ge-, gi-).




2. Évolution de g, gl, gr après consonne

Pour g après consonne, il n'est question ici que de g latin suivi de a, o, u. Pour ge, gi, voir ge, gi en position forte.

latin

occitan
-Cg-
(voir aussi -argues)

-Cg-
ăngŭstĭă(m)

angoissa "angoisse"
Bŭrgŭndĭă(m)

Borgonha "Bourgogne"
gŭrgĕ(m)
gorg, AO grc "trou d'eau" (1)
largŭ(m)
AO larc "large" (1)
-C'g-

-Cg-
aspărăgŭ(m)

espargue "asperge"
-C'c- > -C'g-
-Cg-
carrĭcārĕ > *carrigā

cargar "charger"



ngu + voyelle > /g/ (évolution de GV)
lĭnguă(m)

lenga "langue"



-Cg'l-

-Cgl-
angŭlŭ(m)

angle "angle"
cĭngŭlă(m)

cengla "sangle"



-Cgr-

-Cgr-
cōngrĕ(m)

congre "congre"



-Cg'r-

-Cgr-
bŭlgărŭ(m)

AO blgre "hérétique, voir a.fr. bogre"






Tableau ci-dessus : évolution de g, gl, gr post-consonantiques.


(1) Pour gŭrgĕm > grc, largŭm > larc, voir g devenu final.





C. Évolution de g intervocalique

Remarque : je ne parle pas ici de g intervocalique suivi de ĕ/ĭ en hiatus, ces voyelles s'étant consonifiées très tôt en /y/. Voir l'évolution de g + ĭ, ĕ en hiatus (ĭnŏdiăt > enuia, enueja).



1. Vue d'ensemble sur l'évolution de g intervocalique
    

Au regard de certains mots, l'occitan semble conserver le g intervocalique primaire (si on admet une prononciation /g/), contrairement au français :


- plāgă(m) > s-oc plaga, alors que > a.fr. playe > "plaie" (g > /y/) ;

- sanguĭsūgă(m) > s-oc sansuga, alors que > fr "sangsue" (g > ).


Cependant c'est très probablement la voie savante qui a "restitué", ou conservé le -ga- latin. Par ailleurs, pour l'étude de g intervocalique, il convient de distinguer les voyelles au contact.


En occitan, les aboutissements de g intervocalique par la voie populaire sont :

(1) i /y/ ;

(2) j /dj/ (en nord-occitan) ;

(3) , ce qui crée un hiatus, qui peut être résolu par synérèse ou par insertion de nouvelle consonne.


Il faut signaler que certains proparoxytons ont auparavant subi une syncope, dans le cas d'un contact de la pénultième avec r ou l. Cela a pu aboutir à /g/, qui ne se trouve plus en position intervocalique : aspărăgŭs > *aspărgŭs > espargue "asperge".


Je présente ci-dessous les différentes voies d'évolution de g intervocalique qu'on peut mettre en évidence pour l'occitan. Ces voies dépendent de l'environnement vocalique et des régions.



Voie 1 : g > i (plāgăm > plaia)
    

plāgă(m) */plaɣa/ > */playya/ > /playa/ (plaia)    (a, d)




Voie 2 : g > j (plāgăm > plaja)
    

plāgă(m) */plaɣa/ > */playya/ > /pladja/ (plaja)    (auv, lim

Voir devenir du yod provenant de g intervocalique.




Voie 3 : g > g (plāgăm > plaga) (voie savante)
    

C'est la voie savante : rétablissement ou maintien de g par voie savante. Voir les réserves mentionnées ci-dessous (évolution de g devant a). L'utilisation du signe ">" est abusive s'il s'agit vraiment de la voie savante, mais je l'utilise ici par praticité. Cette voie est difficile à distinguer de la voie 3 bis ci-dessous, et de la voie 5 bis (résolution d'hiatus au contact de o, u).



Voie 3 bis : agŭstŭm > agost (héritage) ?
    

agŭstŭ(m) */aɣʋstʋ/ > (renforcement dialectal ?) /agʋstʋ/


Cette voie, si elle existe, est très difficile à distinguer de la voie 3 (voie savante), et de la voie 5 bis ci-dessous (résolution de l'hiatus). Elle a été proposée par exemple par J. Ronjat (GIPPM-2:101, citation ci-dessous). Il s'agit du renforcement dialectal d'une ancienne étape ɣ ou w > g, au contact d'une voyelle postérieure (u latin et o). Mais pour FEW, le g dans agost est probablement inséré pour résoudre l'hiatus (ci-dessous).




a(u)gŭstŭ(m) > *aɣustu / *awustu > agost ?

(ɣ n'existe plus en France, mais voir les variantes d'oïl /awʋs/, /ayʋs/, a.fr. /awʋs/)

(voir aussi rūgăm > a.fr. rouwe, ruwe "rue" et dialectes d'oïl)



(GIPPM-2:101, à propos de agost "août") : "on verra dans -g-, plutôt qu'une reprise au latin par voie savante, une évolution romane de [ɣ]". 


Par ailleurs le même auteur ne prend pas position quand il parle à un autre moment de agost :  "comme g peut être une évolution dialectale de [w] (...) on ne peut pas décider en toute certitude s'il i a un traitement savant ou un traitement dialectal dans legum, rogazo(n), ruga, agost à côté de leüm, etc. .., dans agur à côté de aür < a(u)guriu, dans doga < *dōga." (GIPPM-2:99). Il aurait pu citer la troisième possibilité, celle d'une résolution d'hiatus par l'insertion de g (voie 5 bis ci-dessous).


Lorsqu'on cherche à mettre en évidence des régions où l'hiatus a été résolu par g, cela n'aboutit pas à une conclusion claire : ALF "août" < agustu(m), ALF "douve" < doga(m).




Voie 4 : g > v (héritage) ?
    


Il pourrait exister une évolution phonétique de type :


dōgă(m) > *doɣa > *doβa > dova "douve (planche courbe de tonneau)"


Pour l'occitan (liste à compléter) :


a(u)gŭstŭ(m) > var avost "août"

interrŏgārĕ > *enterovar > (var) entervar, entrevar "demander"

dōgă(m) > (var) dova "douve (planche courbe de tonneau)"

rŏgātĭōnĕ(m) > (var) rovason "(au pluriel) rogations (prières publiques du 25 avril pour les récoltes)"


Par ailleurs, voir ci-dessous le type rūgă(m) > g ruwa "rue".



En tant qu'évolution phonétique, cette voie est très hypothétique. En effet le v intervocalique concerné en occitan représente plutôt une consonne de résolution d'hiatus au contact d'une voyelle postérieure (o ou u latins), voir ci-dessous la voie 5 bis.


Sur le territoire de la Gaule ou dans les Alpes orientales, il a parfois été décrit une évolution phonétique de g latin en v ; cela affecte peu de mots (EGAWH:162-164). Hormis le premier exemple ci-dessous, tous ces mots montrent un contact de g avec une voyelle postérieure (o ou u latins), ce qui pourrait tous les faire rentrer en effet dans la catégorie 5 bis ci-dessous. De même pour les variantes gasconnes ruwa "rue", sancaruwa "sangsue".


Bagācŭ(m) > Bavay (commune du département du Nord)

dōgă(m) > douve "planche courbe de tonneau"

jŭgŭ(m) > juvu(m) > Jaufen (col du sud-Tyrol en Italie)

leucă(m), leugă(m) > leuva > lieue

lug > *luβ  (confusion *luɣ - *luβ étudiée dans EGAWH pour Lugdūnum "Lyon" ou "Laon", etc.)

rŏgāre > a.fr. rover "demander"

lĭgustĭcu(m) > levisticu > livêche (plante)



Selon Wolfgang Meid (in EGAWH:162), des fricatives auraient pu être remplacées par d'autres fricatives apparemment au hasard en gaulois tardif (donc dans les premiers siècles après J.-C.). L'évolution ɣ > β serait donc un effet de l'accent gaulois. Cette évolution aurait aussi existé notamment dans un contexte hollandais et dans un contexte alpin (EGAWH:163). On doit reconnaître que ce domaine est très mal connu.





Voie 5 : g > ∅ (dōgă(m) > doa ; săgīnŭ(m) > saïn) (hiatus)
    

Dans les mots latins en -oga-, -uga-, l'action des voyelles postérieures o et u a probablement amuï -g- très tôt (dès la fin du IIIe siècle (voir IPHAF:54 qui parle de "avant la spirantisation").

(Continuer pour les mots en gi, etc.)

Certains mots actuels montrent notamment la perte de toute trace de -g- entrent dans ce schéma : dōgă(m) > doa (lang , gasc), sanguĭsūgă(m) > sansua (gasc, auv...), etc. En français, il en est de même pour sanguĭsūgă(m) > "sangsue", rūgă(m) > "rue" (IPHAF:54).


On obtient donc un hiatus : voir Généralités sur les hiatus et leurs effets. Par exemple le hiatus peut être conservé tel quel (saïn), ou bien résolu par synérèse (diphtongaison par coalescence), exemple : săgīnŭ(m) > saïn > sai /say/ en limousin (GIPPM-2:103), τήγανον (téganon) > pr tian...



Voie 5 bis : g > v, g, r, d... (résolution de l'hiatus, par insertion d'une consonne).
    

Lorque l'hiatus se crée (si g /ɣ/ est au contact de o, u, i), il peut être résolu par l'insertion d'une consonne ; voir Épenthèse de consonne anti-hiatique.


- La consonne insérée peut être g /g/ (exemple : săgīnŭ(m) > saïn > saguin /sagi/ en rouergat, GIPPM-2:103), difficile à distinguer de la voie 3 et de la voie 3 bis.


FEW (25:925a) pour augŭstŭs : (j.m.c.g.) "L'évolution phonétique, particulièrement en domaine d'oïl où le résultat régulier moderne est /ʋ/, a entraîné diverses réactions pour maintenir un certain corps au mot. L'insertion d'une consonne -w-, -v- ou plus rarement -y-, supprime l'hiatus entre les voyelles des syllabes initiale et tonique et évite la contraction ou la synérèse ; il semble bien que le -g- d'un certain nombre de formes occitanes relève du même processus (GrammontPhon 234, GIPPM-2 99-101), les rares attestations anciennes de -g- en domaine d'oïl étant dues plutôt à l'influence de la forme latine classique".



- La consonne insérée peut être aussi v au contact de o, u, possibilité difficile à distinguer de la voie 4. Au contact de o, u, le v anti-hiatique est traité à Restitution de v par résolution d'hiatus par épenthèse.

Ce cas est semblable au v, consonne euphonique fréquente à l'initiale : v-òc "oui", v-onte "où" (AO vn), v-ónher "oindre", v-uei "aujourd'hui", v-uech "huit". (À mieux étudier).


- Ce peut être aussi, rarement :

d : rŏgātĭōnĕm > prov.rh. rodason ;

r : *săgīmĭnĕ(m) > prov.rh. sarin ;

...







2. Évolution de g devant a

Devant a, g intervocalique latin peut suivre toutes les voies décrites ci-dessus


voie 1 : plāgăm > v-a plaia, dōgăm > v-a doia ;

voie 2 : plāgăm > auv, lim plaja, dōgăm > lim doja ;

voie 3 (ou 3 bis) : plāgăm > prov plaga ; prov, niç doga ;

voie 4 : dōgăm > prov, v-alp... dova ; rūgă(m) > g ruwa "rue" (-ga > -wa) ;

voie 5 : dōgăm > lang , gasc doa ;

voie 5 bis : dōgăm > prov, v-alp... dova.


L'évolution de g intervocalique devant a montrerait une forte manifestation de la "voie savante", sans qu'on puisse être plus précis sur cette notion (voir dans la partie 1 : la voie héréditaire et la voie savante). En effet, par exemple pour -iga-, les sources écrites en AO semblent bien attester un amuïssement de g ou d'une évolution > y : à l'écrit, on ne trouve (dans les plus anciennes sources facilement disponibles) que castiar, chastiar < castīgārĕ "châtier", et fadiar < fătīgārĕ "fatiguer", même si un y pouvait se prononcer sans être écrit : castiyar, fadiyar (GIPPM-2:99). Autre exemple, EPF (p. 216) donne Burdĭgălăm > Burdiale "Bordeaux" (sur les monnaies mérovingiennes).


Concernant l'actuel castigar "châtier", HLPA donne : castiar (année 1350), castejar (année 1405), castigar (année 1450). Dans le scénario le plus probable, les variantes castiar et castejar sont des formes héritées du latin ; au contraire de castigar, qui est une forme empruntée au latin (castīgārĕ), plus tardive que les formes héritées. On pourrait comparer ce cas aux deux mots français "loyal" et "légal", tous deux issus du latin lēgālĭs, l'un par la voie héréditaire, et l'autre par la voie savante, mais les deux mots ont acquis des sens différents (de façon définitive seulement au XVIIe siècle).


On peut imaginer une voie ayant toujours conservé "voyelle + ga" dans certains milieux cultivés ; ou peut-être seulement pour certains mots implantés dans un contexte religieux. C'est tout le problème de comprendre ce que recouvre "la voie savante" dans ces cas. Par exemple, contrairement à castigar, plaga (plagua) est attesté très anciennement : PassClerm, GuilhPeit.


Concernant l'évolution populaire :



a. -aga-, -ega-, -iga-
   


Pour -aga-, -ega-, -iga- : F. de La Chaussée (IPHAF:54) assure l'évolution : /g/ > (IVe s.) /ɣ/  > /y/ > /yy/ (en Gaule du nord).


 



latin

occitan
français
-aga-
>
>

-aya- / -aja-
-aga-





frāgă(m) >
>

prov fraga , g hraga
a fraja, fraia 
(dial. freye) fraise





*exmagā
>
>

prov esmaiar ,
lim esmajar
bord esmagar 
(1)





pāgānŭ(m)
>
>
>

paian
pagan
pacan
payen (paysan)





plāgă(m) >
>

v-alp plaia ,
auv, lim plaja
prov plaga 
plaie





văgā >
>


vagar,
AO : vaiar 
e.l. vaguer (errer)









-(e/i)ga-
>
>

-(e/i)ya- / -eja-
-(e/i)ga-





castīgā
>
>

lang c(h)astiar ,
AO castejar ;
castigar
châtier





fătīgā
>
>

AO fadiar ;
fatigar
e.l. fatiguer





lēgālĕ(m) >
>

 leiau,
gasc lejau ;
legau
loyal ; e.l. légal





lĭgāmĭnĕ(m)
>
>

prov liame,
lang, lim, v-alp liam ,
gasc legam
lien





lĭgārĕ, līgārĕ ? (2) >
>

liar
ligar
lier





nĕgā
>
>

v-alp neiar, nejar ;
negar
nier





rēgālĕ(m)
>
>

reiau,
reau dans Pèg Reau (gar84),
rejau dans Montrejau (31),
real (gasc)
royal





τήγανον (téganon)
>
tian
("tian", plat de cuisine)

















Tableau. Évolution de -aga-, -ega-, -iga-.

(1) S'esmaiar = être en émoi ; s'inquiéter.

(2) La forme līgārĕ a peut-être existé, voir Fouché in CNRTL à "lier" (hypothèse proposée en raison de l'ancienneté de la forme "il lie"). 

(3) Pour sanguĭsūgă(m) > (lang) sansura, FEW 11:182b donne une réfection de -ūgă en -ūră.



b. -oga-, -uga-
   

Pour -oga-, -uga-, les aboutissements de g en occitan sont très variables. On aboutit à i, j, g, v, d. À mieux étudier.


Pour la Gaule du nord, François de La Chaussée estime :


(IPHAF:54) "Dans le cas où ga était précédé d'une voyelle vélaire o, ʋ, il n'est pas certain que son évolution, qui se produit relativement tôt, ait comporté une étape ɣ : le g disparaît dès la fin du IIIe siècle; il est vraisemblable qu'il s'agit d'un amuïssement".


Il faut remarquer que dans la nouvelle conception de g ci-dessus, on avait /ɣ/ dès le latin. En occitan, les types (v-alp...) doia, (lim) doja (< dōgăm) attestent sans doute du maintien /ɣ/ > /y/, /yy/, voir ci-dessus voie 1, voie 2.


Toujours pour la Gaule du nord, Tobias Scheer donne une évolution g > v :


(PH-2020:411-412, remarque 3) : "Le cas o+g+a est particulier en ceci qu'il aboutit à ova : rogāre > rover "demander", 3s rogat > rueve '(il) demande', doga > dove FC douve, corr(o)gāta > corvee FC corvée, interr(o)gāre > enterver 'interroger' (mais doga produit également une forme sans v, AV doue. Différentes hypothèses ont été envisagées quant à l'origine du v, la plus plausible étant l'épenthèse selon le modèle potere > AF pooir > AF povoir FC pouvoir (références)."


En effet, voir l'épenthèse de consonne (consonne anti-hiatique), waw épenthiques dans les hiatus secondaires. Pour *pŏtē> "pouvoir", voir français "pouvoir".



Aboutissement -wa :


Dans une zone à cheval sur 33, 40, 47, l'évolution -ūgă(m) > -uwa est notée (carte ALF 1189 "sangsue") :


rūgă(m) > g ruua /ruwe/ "rue" (aussi a.fr. ruwe, wal.or. rûwe, rowe, rawe).

sanguisūgă(m) > sancaruwa "sangsue"

(la terminaison en -ru- serait influencée par le mot latin classique hĭrūdo selon FEW 11:183a "die formen unter δ")


Remarque : pour écrire "étroitement" ces mots occitans, il vaut mieux employer w : voir w.



Dans les dialectes d'oïl : 

rūgă(m) > a.fr. ruwewal.or. rûwe, rowe, rawe "rue" (FEW 10:543b)

sanguisūgă(m) > wal.oc. sansouwe, sangsowe, sangsawe "sangsue" (FEW 11:180b, ALF carte 1189)

dōgă(m) > wal.oc. dèwe "douve, planche courbe de tonneau" (FEW 3:114b)


Dialectes franco-provençaux :

sanguisūgă(m) > sav. sensèwa (FEW 11:180b)



latin

occitan
français
-(o/u)ga- >
>
>

-(o/u)ya- / -(o/u)ja-
-(o/u)ga-
-(o/u)va-
-(o/u)a-
-(o/u)da-





corrŏgātăm [ŏpĕrăm]
>
>
>
>

AO corroada, coroa
OM corvada, corvèia : franc. ?
corvée
(a.wall.) courouwee
ALF:327 "corvée" : wall [kòrwèy]..., 55 [krʋway]...
70 [kòrva], [krʋva]...





dōgă(m)
>
>
>
>

doia (v-alp...)
doja
(lim)
dova (prov, v-alp...)
doa (lang , gasc)
doga (prov, niç)
douve





interrŏgā
>
>

AO entervar, entrevar
e.l. interroger





*nūgālĭă(m)
>
nualha (AO) (paresse)





rŏgātĭōnĕ(m)
>
>
>
>

rogason
rovason
rodason (prov.rh.)
rason (lim)
e.l. rogation





rūgă(m)
>
>
>
rua (lim)
riá /ryò/ (v-alp)
ruga (prov ?)
rue





sanguĭsūgă(m) > >
>
>

sansuia (AO)
sansuga
sansuja
(lim)
sansua (gasc, auv...)
sancaruwa
(g)
sensèwa (fr.pr.sav.)
sansuva (fr.pr.su.)
sansura (lang) (3)
sangsue









Tableau. Évolution de "voyelle + ga"

(1) S'esmaiar = être en émoi ; s'inquiéter.
(2) La forme līgārĕ a peut-être existé, voir Fouché in CNRTL à "lier" (hypothèse proposée en raison de l'ancienneté de la forme "il lie"). 
(3) Pour sanguĭsūgă(m) > (lang) sansura, FEW 11:182b donne une réfection de -ūgă en -ūră.



3. Évolution de g devant e et i

Précisons qu'on ne parle pas ici de g +  ĭ, ĕ en hiatus, (partie Premières palatalisations).



Pour ge latin : GIPPM-2 (p. 102) estime qu'il y a un traitement dialectal avec deux voies (voir définition des voies décrites ci-dessus) :

voie 1 : flăgĕllŭm > flaièu (măgĭstrĕm > AO maiestre)

voie 2 : flăgĕllŭm > flagèu (măgĭstrĕm > AO majestre)


Je pense qu'il faut rajouter la voie 5 (g > ) :

voie 5 : măgĭstrĕm > AO maestre (flăgĕllŭm > *flaèu > pr.rh. flèu).



flăgĕllŭm "fouet"

(ALF:580 "fléau, fléaux (instrument pour battre les céréales)" : malgré les zones où escossor (< excŭssōrĭŭm) est présent, et les quelques zones restreintes où le fléau n'est pas connu, on peut dégager les faits généraux suivants :

(a.fr.) flael,

À l'ouest du Rhône : flagèu, flachèu dominant


flagèu, l flagèl, niç flaièu ; prov.rh. flèu,




fŭgĕrĕ > *fūgĕrĕ


lēgĕm (lex)


*nē gĕntĕ(m)


nĭgellă, nĭgellŭs


*păgĕllŭ(m)


pāgĕnsĕm (< pāgĕnsĕm)


rēgĕm (< rex)


sagellŭ(m)




dĭgĭtālĕ(m)


dĭgĭtŭ(m)


*fāgīnă(m)


frĭgĭdŭ(m)


fugirĕ


măgĭs


măgĭstrŭ(m)


mūgĭlĕ(m), *mūgĭnĕ(m)


rēgīnă(m)


săgīnă(m) > *săgīmĭnĕ(m)


*săgĭttă(m)


*trāgīnārĕ


vāgīnă(m)


 vĭgĭlĭăm






Pour gi latin : GIPPM-2 (p. 102) "presque aucun parler n'a en traitement populaire un continuateur quelconque de g". Les mots conservant un vestige de g sont donc issus d'évolutions savantes, d'emprunts, ou d'analogies. Par exemple, AO regina "reine" dans le tableau ci-dessous serait "analogique du continuateur de rēgāle", et regina (niç) est "probablement un emprunt à l'italien".


Je cite IPHAF:54 concernant la Gaule du nord : "g [devant e, i] primaire s'est spirantisé dans la première moitié du IIIe siècle. Presque aussitôt, par assimilation à la voyelle antérieure subséquente, la spirante dorso-palatale ɣ [devant e, i] avance son lieu d'articulation et devient la spirante prédorso-palatale, autrement dit y - qui se gémine automatiquement selon le système phonique du latin [donc aboutit à yy]." Voir les fausses palatalisations ci-dessous.



latin

occitan

français
ge >
ie, ge
e
flăgĕllŭ(m) >
flagèu, l flagèl,
niç flaièu ;
prov.rh. flèu,
...

fléau
fŭgĕre > *fūgĕre

prov fúger, g húyer
(fuir)
lēgĕ(m) >
lei,
l leg /lé/,
(AO leg)

loi
*nē gĕntĕ(m) >
neiènt
(AO neien, neen, nien)

néant
nĭgellă(m) >
nièla (et AO nigella)

nielle
*păgellŭ(m)
>
paièu (Var)
pagèu


occ. pageau (poisson)
pāgēsĕ(m)
(< pāgĕnsĕm)

>
lang, rouerg, béar pagés
(paysan)
rēgĕ(m)
>
rei

roi
sagellŭ(m)
>
>
sèu
sagèu

sceau






gi



dĭgĭtālĕ(m)
>
dedau

dé (pour le doigt)
dĭgĭtŭ(m)
>
det

doigt
*fāgīnă(m)
>
faguina, faina

fouine
frĭgĭdŭ(m)
>
freg

froid
fugire
>
fugir

fuir
măgĭs >
prov mai , lang mais ,
v-alp mas

(plus, davantage)
măgĭstrŭ(m)
>
mèstre, auv mèistre ,
AO : maiestre, maestre, maistre, maïstre, mastre

maître
mūgĭlĕ(m), *mūgĭnĕ(m)
>
muge, mujol
mulet (poisson, < mŭllŭm)
rēgīnă(m)
>
reina,
béar, gasc, niç regina

reine
săgīnă(m) > *săgīmĭnĕ(m)
>
prov, lang saïn
béar sayin,
gasc sagin,
prov.rh. sarin,
rouerg saguin,
lim sai

saindoux
*săgĭttă(m)
>
béar saieta ,
for essaieta ,
sageta

(flèche)
*trāgīnāre
>
traïnar, trainar

traîner
  vāgīnă(m)
>
gaina ,
AO : gaïna, gazina

gaine
vĭgĭlĭăm
>
velha, vilha

veille

Tableau. Évolution de "age, agi". Pour GIPPM-2 (p. 102), le son gi, les mots conservant un vestige du g ne sont pas issus d'une évolution populaire.




4. Évolution de g devant o et u

Devant o et u latins, l'évolution de g intervocalique est généralement :


- soit un amuïssement, voir ci-dessus la voie 5 ; c'est l'évolution la plus fréquente ;

- soit une conservation par la voie savante : voie 3 (voir ci-dessous vigolar) :

- soit une conservation apparente (agost "août"), voir ci-dessus la voie 3 bis ;

- soit un aboutissement v (avost "août"), voir ci-dessus la voie 4.





Pour la Gaule du nord, F. de La Chaussée (IPHAF:55) propose de dater l'amuïssement de g devant ŭ relativement aux étapes de l'évolution ŭ > ó (voir ci-dessus ŭ > ó), en étudiant quelques cas présentés ci-dessous. La consonne g se serait amuïe :

- avant l'ouverture de ŭ final en ó (qui a lieu au Ve siècle), grâce à l'étude de fāgŭm > fau ;

- après l'ouverture de ŭ tonique en ó (qui a lieu fin IIIe, début IVe siècle), grâce à l'étude de augŭstŭ(m) > aost.



En Italie, l'exemple In Agone > Nagone > Naone > Naona > Navona (piazza Navona "place Navone" à Rome) montre le phénomène d'amuïssement de g puis d'épenthèse de v (voir MLAVPPCA:29, PNPIX:11).


Ci-dessous je présente les études selon la position de go, gu en fonction de l'accent tonique. 




a. go, gu en position tonique


Pour a(u)gŭstŭm, *lĕgŭmĭnĕm (< lĕgūmĭnĕm), g /ɣ/ s'amuït soit avant, soit après la mutation ŭ > /ó/, ce qui explique des variantes dialectales.


Pour a(u)gŭrĭŭm, si l'AO et l'AF notent effectivement /u/ par ü, je n'ai pas trouvé d'explication à l'évolution ŭ > /u/ dans AO aür (bonaür "bonheur"), dans AF öur, eür ("bonheur"). Une variante a(u)gūrĭŭm a pu exister, ou bien on peut imaginer augŭrĭŭm > *auŭrĭŭm > *aūrĭŭm, comme dans prĕhĕndĕre > preendere > prēndĕre. Même (GIPPM-2:101) ne soulève pas le problème. Autre problème : r dans -rĭŭm aurait dû se palataliser > /i̯r/.



α. augŭstŭs



augŭstŭ(m) > agŭstŭ(m)   



/aɣʋstʋ/


- français (d'après IPHAF:55, développé) :


(d'après IPHAF, l'amuïssement de g ne s'est pas fait au stade /aɣʋstʋ/ sinon on aurait obtenu /aʋst/ > /ost/ ; IPHAF:55 ne précise pas la valeur du o ; on peut dire qu'il s'agit de ò : ò < au)

> (vers l'an 300 : mutation ʋ > ó en position tonique) /aɣóstʋ/
> (amuïssement de ɣ => hiatus ; non résolu par synérèse) /aóstʋ/
> (Ve s. : mutation ʋ > ó en position finale) /aóstó/
> (VIIe, VIIIe s. : apocope) /aóst/
> (XIIe, XIIIe s. : amuïssement de s devant consonne) /aót/
> (XIVe siècle : évolution ó > ʋ) /aʋt/
> (amuïssement de a prétonique, de -t) /ʋt/ > /ʋ/ fr. "août"




- occitan (propositions personnelles) :


voie 1 (l'amuïssement de g s'est fait au stade /aɣʋstʋ/)

> (vers l'an 300 : amuïssement de ɣ) /aʋstʋ/

> /óst/ (commme pour ăvŭncŭlŭm > ăŭncŭlŭm > oncle) AO (ost, hostavpo : st, hst)
(niç) ost /ʋst/...


voie 2 (l'amuïssement de g s'est fait au stade /aɣóstʋ/)

> (vers l'an 300 : mutation ʋ > ó en position tonique) /aɣóstʋ/
> (vers l'an 300 : amuïssement de ɣ => hiatus ; non résolu par synérèse) /aóstʋ/


voie 2a (maintien de l'hiatus)


> (VIIe, VIIIe s. : apocope) /aóst/
l aost


voie 2b (résolution de l'hiatus)

> (époque indéterminée : insertion d'une consonne ; éventuellement influence de la voie savante pour le rétablissement de g)
pr avost, l agost

 




β. lĕgūmĕn


Remarques :

- voir les proparoxytons en m-n (lĕgūmĭnĕm) ;

- il faudrait étudier plus soigneusement la supposée évolution lĕgūmĭnĕm > *lĕgŭmĭnĕm ci-dessous pour expliquer les types liome, liòme (abrègement de ū, peut-être devant mn par entrave, voir frigdum "froid" ?).


lĕgūmĭnĕ(m) (propositions personnelles)



/léɣʋ:miné/
> /léɣʋ:méné/
> (amuïssement de ɣ) /léʋ:méné/



français :

> (début IVe s. : syncope entre m et n, type hŏmĭnĕm) /léʋmné/, /léʋn/...

> (vers le VIIIe siècle : antériorisation du /ʋ/) /léumné/, /léun/... leün, leüm


occitan :

> (VIIIe s. apocope de type occitan, voir type asinum) /léʋmén/ > /léʋmé/ > /léʋm/ (1)
> (vers le VIIIe siècle : antériorisation du /ʋ/) /léum/ AO leüm (1)
> (influence savante ou résolution du hiatus par insertion de g) /légum/
AO  legum > ? OA legume (2)

(1) : la disparition du -e s'oppose à sa conservation dans ase, Estève...
(2) : legume apparaîtrait ainsi comme un aboutissement populaire, ou presque populaire ; remarque : AO legumi est un mot fantôme (http://stella.atilf.fr)




lĕgūmĭnĕ(m) > *lĕgŭmĭnĕ(m) (type alternatif avec u bref déduit dans GIPPM-2:100)
 /léɣʋméné/


> (vers l'an 300 : mutation ʋ > ó en position tonique) /léɣóméné/


> (amuïssement de ɣ) /léóméné/



> (VIIIe s. apocope de type occitan, voir type asinum) /léómén/ > /léómé/





voie 1 (conservation de l'accent)



  voie 1a

> (dissimilation faible : éó > ió) /liómé/
> (XIVe s. : évolution ó > ʋ) /liʋmé/
> (synérèse) /li̯ʋmé/ d liome /li̯ʋmé/, liom /li̯ʋm/ (1)


  voie 1b

> (dissimilation forte : éó > iò) /liòmé/ liòme, liòm (2)


voie 2 (déplacement de l'accent)
> (XIVe s. : évolution ó > ʋ) /léʋmé/, (dissimilation possible éʋ > iʋ) /liʋmé/
> (synérèse et bascule de diphtongue) /léʋ̯mé/, /liʋ̯mé/
lim leume
> (triphtongaison éu > iéu ou iu > iéu) /li̯éʋ̯mé/
pr lieume




(1) : Le TDF donne "lioume, lioum" (d). J. Ronjat estime que la graphie de ce mot montre une diphtongue mais qu'on peut hésiter sur l'emplacement de l'accent tonique : sur i ou sur ou (GIPPM-2:100-101). Je pense que la graphie de F. Mistral l'exprime sur ou. Donc : "lioume" = gr.cl. liome est prononcé /li̯ʋmé/.
(2) : J. Ronjat (GIPPM-2:100), donne sans source les variantes "liome" : "probablement trisyllabe, attesté à Marseille, Apt et Manosque", et "liom" disyllabe, "attesté dans la région niçoise".




latin

occitan

français
go



Hūgōnĕm
>
Ugon

(Huon)






gu



ăgūrŭ(m) (< ă(ŭ)gŭrĭŭm) (1)
>
>

aür (bonaür, malaür)
aguri...

heur (bonheur, malheur)
a(u)gŭstŭ(m)
>
>
>

lang aost
prov avost
lang agost

août
lĕgūmĭnĕ(m)
>
>
>

v-alp leume, lieume ; lèum
v-alp liome, liom (2)
legume

a.fr. leun, fr légume
*lĕgŭmĭnĕ(m) >
liòm, liòme (3)






Tableau. Évolution de "voyelle + go, gu en position tonique".

(1) ăgūrŭ(m) : GEAF.:24.
(2) Prononciation non précisée dans le TDF (liome : /li̯ʋmé/ ou alors /liʋmé/ avec hiatus ?...)
(3) Variante donnée dans GIPPM-2:100 : liom (région niçoise ; avec hiatus, mais valeur du o non précisée : /ó/ ou /ò/ ?), liome (Marseille, Apt, Manosque, probablement trisyllabe, valeur du o non précisée). 





b. go, gu en post-tonique finale

L'évolution de go, gu en post-tonique finale est discutée mais un consensus se dégage pour un amuïssement précoce de g suivi de résolution de l'hiatus par synérèse. Le seul mot qui permette des déductions générales est fāgŭs "hêtre", car il est largement répandu dans les dialectes de France.


Voir conservation du timbre /ʋ/ dans les diphtongues de coalescence.



Le cas doit être comparé au destin de -a en domaine d'oïl, où /k/ > /g/ > /ɣ/, voir notamment les toponymes en -ācŭm.



fāgŭ(m) "hêtre"

W. von Watburg : difficultés d'étudier -gu

FEW (3:373b) : trad.all. "Comme l'évolution de g devant -u n'est pas encore totalement clarifiée, il est difficile d'apprécier l'évolution phonologique de fagu. Les formes de type fay se trouvent largement répandues dans les noms de lieu (Proj wall 26 ; Longnon 161) ; peut-être remontent-ils à fageus, qui serait aussi à l'origine des dérivés fayard et autres."


J. Ronjat : -gu > -wu > -w

Pour l'occitan fau /faw/ "hêtre", J. Ronjat pense que la finale actuelle -u "peut représenter normalement le continuateur de lat. g" (GIPPM-2:101). Cette position est fondée sur une évolution hypothétique : -g- intervocalique > -ɣ- > -w-. Cette évolution en -w- est complètement abandonnée par P. Fouché, F. de La Chaussée, mais à ne pas perdre de vue.


P. Fouché et F. de La Chaussée : -gu > -u

Pour le français dialectal fou "hêtre", a.fr. fǫ, f, fou, P. Fouché (PHF-f3:629) estime que g s'est amuï () et qu'on a eu :

fāgŭ(m) > fāŭ > /faʋ̯/ > (monophtongaison au > ò, et ò > ó > ou) > fo, voir "fouet", proprement "petite baguette de hêtre" : fou + -et.

F. De La Chaussée (IPHAF:55) reprend ce scénario.



Datation de l'amuïssement de g par rapport à l'ouverture >

François de La Chaussée (IPHAF:55) utilise ces formes a.fr. fǫ, f, fou < *fau < fāgŭm "hêtre" pour prouver que l'amuïssement de ɣ devant ŭ latin s'est réalisé avant l'ouverture de ŭ final en ó (ci-dessous voie 1 pour fāgŭs). Il reprend le scénario de Pierre Fouché (PHF-f3:629).



C'est le raisonnement utilisé également par P. Fouché pour cæcŭm > a.fr. cieu "aveugle", græcŭm > a.fr. grieu "grec" (PHF-f3:630) :


"Dans les continuateurs de graecu et caecu, la chute de [ɣ] est aussi antérieuse à l'ouverture de ŭ en , comme en témoigne le dernier élément de la diphtongue ieʋ̯ dans le français le plus ancien grieʋ̯ et cieʋ̯."


Mais cela pose problème, car si on avait eu : /faɣʋ/ > /faɣó/ > /faó/, on aurait encore abouti à *fau > a.fr. fǫ, f, fou, oc fau, voir ao > au. Ce problème de datation reste donc à résoudre. J'admets cependant que la datation de F. de La Chaussée est juste, c'est une hypothèse de travail.



Pour l'occitan, l'amuïssement de g me semble plausible de la même manière que le français, plus plausible que le scénario de J. Ronjat, car il est en cohérence avec le comportement de g devant u pour l'évolution de en position toniqueg s'est amuï : ăgūrŭm > AO aür, AF heur, agŭstŭm > oc aost, avost, fr "août".

Voir la même hésitation pour le type teule (< tēgŭlŭm) ci-dessous.


Voici le scénario qu'on peut proposer pour l'occitan fau "hêtre" :

(repris du scénario fāgŭm > a.fr. fou "hêtre", PHF-f3:629, IPHAF:55, développés).



 fāgŭ(m)  /fa:ɣʋ/



voie 1

> (amuïssement de g devant ŭ) /faʋ/
> (diphtongaison par coalescence) /faʋ̯/ AO, pr fau, auv /fo/, bord hau, AF, fr.dial. fau, fou "hêtre" (voir "fouet")


voie 2 (conservation du g)
> (mutation ʋ > ó) /faɣó/
> (amuïssement de la finale) /faɣ/
> (? durcissement de g devenu final) /fak/. g hac (1) (f- > h-)



(1) La variante g hac ne doit pas être confondue avec les occurrences AO fag, fach, qui proviennent sans doute de fāgĕŭs (voir /-dj/ final renforcé en /-tch/, écrit /-g/). La variante hac est en cohérence avec frāgăm > g araga, hraga, fraga (ALF:608 "fraise"), līgārĕ > ligar (ALF:767 "lier").





Étudier aussi jŭgŭm "joug".




latin

occitan

français
go



ĕgŏ > eo
>
eu > ieu

a.fr. gié, jeo, jo ; je






gu



fāgŭ(m)
>
>

fau (pr), hau (béar),
fai (l), hai, hac (g)

a.fr. et dial fau, fou "hêtre"
*fragŭ(m)
>
>

AO frau "terre inculte"

jŭgŭ(m)

(à étudier)

joug





Tableau. Évolution de "voyelle + go, gu en post-tonique finale".




gŏ, gŭ en post-tonique finale de proparoxyton : toponymes en -măgŭs

Les toponymes d'origine gauloise en ´măgŭs "marché" ont sans doute également subi une perte précoce de g intervocalique, voir toponymes en -măgŭs (> Condom, Riom).




c. en post-tonique interne : rēgŭlă, tēgŭlŭm, cŏāgŭlăt...


À chercher : Y a-t-il d'autres consonnes que l après post-tonique interne ?

α. Vue d'ensemble sur les aboutissements de -gŭla en post-tonique


En occitan, la terminaison ´gŭlă a les aboutissements suivants :

-lha (rēgŭlăm> relha "soc de charrue") ;

-ula (rēgŭlăm> n.d.l. La Reula, voir surtout tēgŭlum > teule "tuile", que je regroupe avec -vola : dauph tivola, tievola, voir aussi piém tivola, tivula) ;

-gla (rēgŭlă > regla), -gola (vĭgĭlăt > *vĭgŭlăt > AO vigola) qui représentent la voie demi-savante : emprunt au latin, avec quelques transformations populaires ;

-gula, qui représente des emprunts assez tardifs au latin, sans respect de l'accent tonique, mais surtout en conservant la lettre u latine : rēgŭlăt > regula, alors que par la voie populaire ŭ > o. (L'accent tonique n'est pas très parlant car il peut basculer : type mastega).



Je concentre mon étude ci-dessous sur les deux premiers types, les types hérités -lha et -ula (ce dernier est considéré comme ayant subi une influence savante).



Les répartitions géographiques sont très différentes selon les étymons, qui ont sans doute des histoires de diffusion différentes dans la période romaine ; voir ci-dessous tēgŭlă "tuile" et rēgŭlă "règle" dans la Romania.




β. Type -lha (< -gŭla)

A priori, le type -lha est le plus naturel, car il entre dans un schéma largement développé dans la Romania : syncope -gVl- > -g'l- puis palatalisation : -g'l- > -λ- (et variantes), voir palatalisation de gl intervocalique.




γ. Type -ula (-vola)  (< -gŭla)



Le type -ula est ressenti par les linguistes comme le fruit d'une influence savante. Deux scénarios sont possibles ; le second est plus probable que le premier :



- syncope gŭl > gl puis vocalisation de g en u

Ce scénario est soutenu par J. Ronjat, qui estime que les mots occitans en -ula proviennent de "mots moins anciens" (moins anciens que rēgŭlă > relha):


GIPPM-2:239 : "Des mots moins anciens offrent un traitement ul, il < g'I, tʃ'I : n. de l. aq., la Rèulo < (il)la rēg(u)la (il y avait des couvents dont la règle était célèbre) ; un peu partout avec var. dial. n'intéressant pas g'I, « tuile » téulo et -e < tēg(u)la, -u ; vpr. graile < grac(i)le. (...) Le traitement de -g- est le même qu'en finale rom., dans fau < fāgu (§ 279), -tʃ'I- > -il- (...)".



- amuïssement de g puis diphtongaison par coalescence de ŭ avec la voyelle précédente.


(PHF-f2:303) : "Par suite de la chute précoce de -b- et de -g- au contact de ŭ, ces trois mots [sēbŭ, rēgŭlă, tēgŭlă] sont devenus *sʋ̯, *rẹʋ̯la et tẹʋ̯la. (...)"


PHF-f3:718 (j.m.c.g.) "Si rēgŭla a passé par l'étape *ɣla pour donner le v. fr. reille "poutre, verrou", c'est par un intermédiaire rē(g)ŭla qu'il est devenu en v. fr. riule, rieule. C'est de même par tē(g)ŭla que s'expliquent les formes du v. fr. tiule, tieule et le fr. mod. tuile (p. 330). Il n'y a pas eu non plus de groupe -ɣl- dans *gra(g)ŭla (< pour gracŭla) > fr. occid. grole ["corbeau"] ni dans *sȩ(g)ulu (< saeculu) > v. fr. seule (Sainte-Eulalie) et sieule. Toutes ces formes, à part le v. fr. reille, témoignent d'une évolution à demi savante."


W. von Wartburg parle d'une influence ralentissante du latin (hemmender Einfluss des Lateins), sans s'expliquer davantage, mais son idée semble rejoindre cette de P. Fouché :


FEW 10:223b (trad.all.) : (rēgŭlă) "À côté des formes purement populaires apparaissent dès le XIe siècle d'autres formes qui témoignent d'une influence ralentissante du latin (type a.fr. riule). Elles sont limitées presque uniquement au français."


(SSÉPO:4 rēgŭlă> Reula)


FEW 13/1:157b (trad.all.) : (tēgŭlă) "En gallo-roman, la voie purement populaire n'existe pas, sinon la palatalisation aurait dû être représentée [> teille, telha]. Comme pour regula en partie, une influence ralentissante du latin s'est fait ressentir."




Le scénario de J. Ronjat ci-dessus est possible (voir par exemple phlegma > fleuma). Mais :


(1) les évolutions de en position tonique montrent que dans des conditions voisines, g s'est amuï : ăgūrŭm > AO aür, AF heur, agŭstŭm > oc aost, avost, fr "août".

(2) les aboutissements dauph tivola, tievola et piém tivola, tivula (< tēgŭlăm) montrent une conservation de la pénultième et sans doute un amuïssement de g avec résolution d'hiatus par v épenthique (voir Stimm in FEW 13/1:157b). Pour dauph tivola, tievola, il y a basculement d'accent.



Il me semble donc plus probable qu'il y ait eu un amuïssement de g devant ŭ pour obtenir eul : ralentissement, sans doute par influence savante, de la syncope -gŭl- > -g'l- ; par la suite g se serait amuï et u serait resté.


On est ainsi peu éloigné du schéma conservateur italien tegola (voie mi-savante selon LDIL:45).






δ. Étude de tēgŭlă, *tēgŭlŭm "tuile"


(variantes dialectales issues de FEW 13/1:157b)

type telha (ce type n'existe pas dans le domaine gallo-roman et catalan ; je donne les équivalents dans les autres langues romanes)


- esp teja

- port telha

- it : (voie populaire) teglia (XIVe s.), tegghia "specie di tegame" , a.tosc. teddia (1) ;

- cors téghja,

- Amaseno /tiɫa/ "pietra larga (centro di focolare o usata dai ragazzi per prendere uccelli)" ;

- sard.camp. tella ;

- roum țiglă /ʦiglə/


(1) pour l'italien, téglia, tégghia, teddia, tgghia, l'étymon serait une variante *tĕgŭlăm (FEW 13/1:157b).


type teula (et équivalents)

Dans le domaine gallo-roman et catalan, c'est uniquement le type -ula, -ola qui est représenté. La forme teula est attestée au VIIIe siècle dans le nord de la France (FEW 13/1:157b).


tēgŭlăm "tuile" >

- a.fr. tiule > (métathèse) "tuile" ;

- oc teula "carreau de terre cuite ; tuile" ;

- dauph tivola, tievola ;

- cat teula ;

- Alghero teura ;

tēgŭlŭm >

oc teule "tuile"


également en Italie :

- Sillano /téʋl/, Lucques tieulo ;

- sard.log. teula ;

- piém tivola "specie di mattone", Castellinaldo tivula "quadrella" ;


http://calitranoitaliano.altervista.org :

- Calitri teula, tecula "tegola, embrice, coppo" ;

- Castro-dei-Volsci tivula "pietra larga e piana" ;

- Calitri tìv(e)l(e) "scaldino da letto : mattone riscaldato, sistemato entre un panno" ;

- Calabre : tivula "lastra di pietra".




Scénarios d'évolution de tēgŭlă


Occitan :


tēgŭlă(m) /té:ɣʋla/


> (absence de syncope de la post-tonique) */té:ɣʋla/
> (vers le IVe siècle ? : amuïssement de ɣ) */téʋla/


voie 1 (résolution du hiatus par synérèse)
> (synérèse) /téʋ̯la/ oc. teula


voie 2 (résolution du hiatus par v épenthique) */tévʋla/
> (basculement d'accent tonique) */tévʋ̯la/  (1)
 → dauph tivola, tievola



(1) Cette voie est peut-être un emprunt au piém, et le i doit être expliqué. 





ε. Étude de rēgŭlă "règle ; barre"


Aboutissements de rēgŭlă dans les langues romanes


type relha (et équivalents)

(variantes dialectales issues de FEW 10:223a)


- oc relha "soc d'araire" ;


également le sens "soc d'araire" est présent dans presque toute la péninsule ibérique (FEW 10:223a) :

- cat rella ;

- arag /réɫa/ ;

Salam arreja ;

- Sanab /rréɫa/ ;

- port relha ;


- a.fr. reille "barre" > angl rail > fr rail ;

- a.fr. rille "longue bande de lard" > dér rillettes, rillons ;

- rom /réɫa/ "traverse de luge" ;

- lad /rédja/ "barre de fer" ;

- mil reggia "bande de fer" > it reggetta "feuillard" ;

- a.ar. rellia "grille" ;

- port rejas "grille" ;

- esp rejas "grille" (origine discutée selon FEW 10:224b, note 32 : anciennes graphies rexas) ;

- ast reyas "rayons de roue".


type reula

top.oc. du sud-ouest de la France :  Reula (Gironde : "La Réole", Haute-Garonne : "Laréole", Pyrénées-Atlantiques "Larreule", Hautes-Pyrénées "Larreule").








Scénarios d'évolution de rēgŭlă


rēgŭlă(m) /ré:ɣʋla/


voie 1 (type relha)
> (vers l'an 200 : syncope de la post-tonique au contact de l) /réɣla/

> (1e moitié du IIIe s. : palatalisation de -gl-) /réλa/ oc. relha


voie 2 (type reula : amuïssement probable de ɣ)
> (amuïssement de ɣ) /réʋla/

> (diphtongaison par coalescence) /réʋ̯la/
 → top.oc. La Reula, a.fr. riule


Pour les top.oc. ci-dessus, on peut citer dans le sud-ouest de la France :  Reula (Gironde : "La Réole", Haute-Garonne : "Laréole", Pyrénées-Atlantiques "Larreule", Hautes-Pyrénées "Larreule"). Mais pour le type -eula, c'est surtout teule "tuile", qui est largement représenté dans le domaine occitan.




L'ancien occitan connaît (Béziers, Montagnac) vigolar "faire vigile, passer la nuit ou partie de la nuit en prières dans une église" (FEW 14:437b).

Je pense qu'on ne peut interpréter ce verbe que par la voie demi-savante.

vĭgĭlārĕ > *vĭgŭlārĕ > AO vigolar .





ζ. Tableau d'exemples (-gŭlă)


latin

occitan

français
  ´gŭl-
-lh-, -ul-
-gl-, -gul-

-il-, -iul, -uil-
-gl-, -gul-





*brăgŭlăt

bralha, (g, lim) braulha

(il) braille
āgŭlăt

calha, toul caula

(il se) caille, (il) coagule
*frāgŭlă(m)

a fralha, a, cat fraula (1)
(fraise)
jŭgŭlăt

a julha

(il) jugule
*răgŭlăt

ralha

(il) raille
rēgŭlă(m)

relha, top.oc. La Reula (2), règla

a.fr. riule
règle
tēgŭlŭ(m) >
teule

a.fr. tiule, fr tuile
trāgŭlă(m)

tralha ;
lim, rouerg traula (3)

traille
*trāgŭlăt

> dralha "chemin pour les troupeaux"






Tableau. Évolution de "voyelle + go, gu en post-tonique interne" (en rouge : voie savante).


(1) pour * frāgŭlă, aussi > cat fraula, it fragola.

(2) pour  top.oc. La Reula : sud-ouest de la France (Gironde : "La Réole", Haute-Garonne : "Laréole", Pyrénées-Atlantiques "Larreule", Hautes-Pyrénées "Larreule").

(3) pour tralha : traille, câble qui sert à conduire un bac ; traula : lim "chasse d'un métier de tisserand", rouerg "grand tonneau".




d. go, gu en prétonique interne


Rēgŭlārĕm > AO reglar "régulier", a.fr. riuler, reuler, "[formes] francisées d'après ruile, reule, voir règle" (CNRTL "régulier").


Le latin frīgŏrōsŭm "froid, glacial" ne serait pas connu en gallo-roman du sud de la Gaule selon FEW, 3:802. Cependant il donne pr frigorós "frileux", bdauph esfrigolit "frileux", bru05 infregorit "frileux" etc. La phrase de FEW, 3:802 semble donc inappropriée : "le sud [de la France] ne l'a emprunté au français qu'aux temps modernes". 


Les formes occitanes montrent donc sans doute une influence savante, avec conservation de g.




G. Évolution de gl intervocalique


Voir palatalisation de kl, gl intervocaliques (troisièmes palatalisations).





H. Évolution de gr intervocalique


latin

occitan

français
gra

/i̯ra/

/i̯r/





flăgrăt

flaira

flaire
mĭgrăt

(AO) mira > (a) meira "change (de lieu)"
(migre)
nĭgră(m)

nièira > niera "puce"
noire





gru, gre (dern) ?
/gr/ ?

/i̯r/





nĭgrŭ(m)

negre

noir















Tableau ci-dessus. Évolution de gr intervocalique. L'orthographe du français conserve l'ancienne prononciation. Pour gru, gre, la conservation de /gr/ pourrait être populaire et non savante.


 

 

Neutralisation de l'opposition /éi̯/ - /èi̯/


En position tonique, la diphtongue /éi̯/ n'existe pas en provençal, ni même dans tout l'occitan (GIPPM-1:136). Elle est remplacée par la diphtongue /èi̯/ : on dit qu'il y a neutralisation de l'opposition de diphtongues /éi̯/ - /èi̯/. Voir diphtongues toniques.


Jules Ronjat précise que le /é/ étymologique est conservé devant y (qu'il appelle [y] explosif, mais qui de nos jours est distingué de /i̯]/, voir ci-dessus nature du yod) : conselha, solelha.


Selon P. Sauzet, chaque fois qu'une évolution phonétique a mené à /éy/ en occitan, la séquence est devenue /èy/. Mais cela n'aurait pas eu lieu en gascon (à continuer).