Certains mots occitans ont une évolution apparemment non
Ainsi de façon générale, en début de mot dans le domaine d'oc (ou certains dialectes du sud d'oïl), certaines consonnes ont apparemment subi des transformations typiques de la position intervocalique :
- sonorisation ;
- pour les muta cum liquida
parfois une sonorisation : *clārĕăm
> glaira ;
- pour les muta cum liquida
cl-, gl-, parfois une
palatalisation (> /
Le phénomène est très rarement
décrit pour le français (1), et pourtant le tableau
ci-dessous montre que les cas sont à peine plus fréquents en occitan.
Il est probable que le phénomène
affectât le domaine d'oc comme le domaine d'oïl.
(1) Voici quelques remarques
d'auteurs pour le français (à ma connaissance, aucune explication
générale n'est donnée à ces phénomènes en français, on trouve
seulement quelques explications au cas par cas) :
- căvĕŏlăm > /gawyòla/ > /gayòla/ > "geôle" : IPHAF:144 : « ce dernier mot est certainement dialectal : traitement insolite de k-, non-diphtongaison de la tonique. » (sans explication sur le "traitement dialectal") ;
- clărĕăm > "glaire" : CNRTL : « g- initial demeure obscur » ;
- crassŭm > "gras" : CNRTL : « La sonorisation
de l'initiale, attestée dès le b. lat., est peut-être due elle-même à
l'infl. de [grossus] » (le
CNRTL s'est trompé :
il donne grassus pour grossus, voir DHLF)
- cŭcurbĭtăm > "gourde" : « Du lat. cucurbita, a.f. coorde (à côté de la forme dialectale courge* due à une substitution de suffixe), avec sonorisation du c- initial. »
Pierre Fouché explique aussi au cas par cas les "sonorisations propres au français" (PHF-f3:572-575).
Latin cattŭm > pr.ma., l, g gat , pr.rh. cat "chat".
On pourrait tenter d'expliquer chacune des évolutions de ce type
constatées en occitan par exemple par des analogies,
à étudier au cas par cas (exemple : pour dralha
"chemin pour les troupeaux", le CNRTL
donne ("draille2") : tralha
> dralha e.d.a.
"peut-être par influence des dérivés de directiare,
très voisin de sens". Mais Jules Ronjat propose une explication
commune à toutes les évolutions de ce type notées en occitan (GIPPM-2:61-64) : une alternance (deux formes de
mots) selon la position dans la phrase (position
L'évolution de la consonne initiale peut en effet s'expliquer par sa
position
Je pense en effet qu'il est possible que la présence de deux formes
alternantes pour la plupart des mots à initiale consonantique existât
dans un ou des dialectes très anciens, tout comme pour le corse
ou le sarde actuels.
Voici la citation de Jules Ronjat : e.d.a.r.o. « Dans un état très ancien de notre langue, les mots à initiale consonantique ont pu avoir presque tous des formes alternantes suivant qu'ils se présentaient dans la phrase : α, isolés, ou en liaison étroite après un mot à finale consonantique ; β, en liaison étroite après un mot à finale vocalique (notamment article masculin le, lo, pluriel li, féminin la, préposition de, a). C'est en général la forme α qui a été étendue à toutes les positions syntactiques ; on trouve cependant, avec une extension géographique variable, d'assez nombreux exemples de β. » (GIPPM-2:61).
Je prolonge le raisonnement de J. Ronjat pour cl-
et gl-.
Pour le type
arverno-suisse, on trouve la palatalisation à l'initiale clăvĕm > [
Je ne connais pas de
Dans la même grande région, pour aglan "gland", on a eu une agglutination du -a de l'article, avec des variantes dialectales alhan, lhan (palatalisation de gl intervocalique) (ALF:carte 648).
Pour l'espagnol : clăvĕm
> llave "clé". Cependant le cas est différent car en
position intervocalique en espagnol, l'évolution est différente : -cl- > -j- (ŏcŭlŭm > ojo
"œil").
À continuer.
Pour pl- : il ne semble pas y avoir
d'alternance, pl- est
conservé jusqu'aux régions de type
italien pl- > pi-
(cartes ALF 1032 "plein" : pien,
1035 "il pleut" : pià, piòu...).
De même pour fl- : fl- est conservé jusqu'aux régions de type
italien fl- > fi- (fior "fleur").
.
- Les mots d'origine grecque avec κ- initial (empruntés en latin, ou
en
Par exemple, le doublet camba /
gamba s'expliquerait par ces deux aboutissements à partir du
gr καμπἠ "kampê" (GIPPM-2:64).
- Pierre Fouché (PHF-f3:569-570) propose quatre explications à
cette sonorisation des consonnes initiales quand on passe du grec au
latin, pour κ- > g-
1. Les
2. Les mots grecs seraient rentrés en Italie via des dialectes balkaniques, qui sonorisent les occlusives sourdes initiales.
3. De façon semblable à 2., les mots grecs
ont pu rentrer en Italie via les zones
4. Soit dans la région balkanique, soit
dans la Grande Grèce, la phonétique
- Concernant πλάτανος (plátanos) > pr blai, FEW 9:36b donne :
(trad.all.)
"Selon Hubschmid (communication épistolaire), le type 2 [blazi,
blai, bladre, blazèro] est à rattacher directement au grec
πλάτανος. Puisque le
Germanique *krappa "crochet"
+ aud > crapaud
/ grapaud "crapaud" (voir CNRTL).
Le cas est très semblable à celui du grec ci-dessus : e.d.a. "De même, le germanique k pouvait n'être pas articulé comme le latin ou le roman c." (GIPPM-2:64). D'où cropa / gropa "croupe", gratar "gratter", crapa / grapa "grappe", crapaud / grapaud "crapaud", ganivet "canif", crupia / grupia "crêche, mangeoire".
(Il faudrait approfondir les recherches dans ce domaine, notamment dater les emprunts : à l'a.b.fr. : avant l'invasion franque ? liée à l'invasion franque ? plus tard, est-ce possible ? Ce cas est-il forcément différent du 1. et du 2. ci-dessus ?).
J'étudie ci-dessous les mots d'origine latine (pour les mots d'origine grecque et germanique, voir les hésitations juste ci-dessus).
Les sonorisations de type intervocalique dans la théorie
de Jules Ronjat ci-dessus pourraient rentrer dans le cadre
des sonorisations
générales
des intervocaliques affectant le latin parlé dans la
J. Ronjat distingue deux degrés d'intensité dans la transformation,
correspondant selon lui à deux phases se succédant dans le temps (GIPPM-2:61-62), mais son raisonnement n'est pas
clair. Je réexamine les données ci-dessous au regard des datations
modernes.
En nord-occitan, certains mots en ja-
supposent une évolution à partir du latin en deux phases : ca-
> ga-, puis ga- >
ja-. Il s'agit de : căvĕă
"cage ; cavité" et *cambo-
"courbe" (mot d'origine gauloise passé au
Pour căvĕăm "cavité ; cage" > jàbia, n.d.l. a La Jàvia (04) (GIPPM-2:62, 63) :
La première phase d'évolution ca-
> ga- entre nécessairement dans le cadre de sonorisations
anciennes, qui peuvent très bien être les sonorisations générales des
intervocaliques (vers l'an 400). En effet, le mot échappe à la
palatalisation ca- > cha-
(elle-même datant de la 1e moitié du Ve siècle).
Son évolution a continué (au cours du Ve siècle) : ga-
> ja-, peut-être toujours en raison de sa position
interprétée comme intervocalique par les anciens locuteurs (devenir
du
yod provenant de k
intervocalique), ou bien simplement par la palatalisation de
l'initiale (palatalisation
ga- > dja-). Pour căvĕŏlăm >
fr "geôle", auv jabiòla,
le raisonnement est le même.
Pour les mots d'origine gauloise cambo-
"courbe", *cambĭtă
"jante", on peut donner les même scénario mais une analogie avec gamba "jambe" est possible. Voir
camba / gamba ci-dessus.
Sur ce thème, Prob donne : calatus
non galatus.
Conclusion : il semble bien
qu'on puisse rattacher ces cas à une sonorisation de type
intervocalique vers l'an 400.
Certains mots présentent une évolution de la consonne initiale non
conforme à une évolution intervocalique régulière dans la
Ces mots avec initiale lh-
sont rares en AO mais ils existent. Je pense qu'ils ne sont
presque pas répertoriés dans les dictionnaires ; mais ils apparaissent
dans les atlas linguistiques (voir (a)lhan
"gland", clau [
(remarque : souvent les mots en lh- répertoriés en AO proviennent du latin l-)
(En espagnol, on a : clāmāre > llamar, etc., mais aurĭc(ŭ)lăm > oreja, aspect à étudier).
Pour crātīcŭlăm
> grasilha "grille", Jule Ronjat (GIPPM-2:62) veut dire qu'on aurait dû obtenir /
D'autres mots sont dans ce cas : crābrōnĕm
>
graule "frelon", crātĕm
> grasa "claie", crētăm
> greda "craie".
Pour Claudĭŭs
>
Glaudi : le prénom est issu de la voie savante (par la voie
populaire, on aurait obtenu
Concernant les autres prénoms Carle, Clemènt, Catarina..., ils ne sont pas connus avec une initiale sonorisée.
Il faut remarque que ecclēsĭă "église" a une évolution semblable :
ecclēsĭă(m) > ecclĕsĭă(m) /ekklesya/ "église" (d'après NDSAF:18-19, développé)
> (IIe s. : palatalisation
de
s avec i
diphtongal et diphtongaison conditionnée) /ékkli̯èi̯
> (première moitié du IIIe siècle : la
palatalisation -cl- > -
> (VIIe siècle ? : dégémination
de c) /ékli̯èi̯sa/
> (sonorisation tardive ?) /égli̯èi̯za/
> ...
> oc. gleisa,
fr. "église". (En
Conclusion : il est possible que *clārĕă, *clŏdĭŭm, Claudius aient échappé pour une raison ou une autre à la palatalisation de -cl-, puis aient subi la sonorisation vers l'an 400.
Crātīcŭlăm a peut-être suivi
le même type d'évolution, mais la situation est encore moins claire.
Pour les autres cas, on peut simplement dire que la consonne
initiale a très bien pu être affectée au moment des sonorisations
générales dans la
Les variantes oc carròta,
garròta, carlòta, de même que le fr
"carotte" sont sans doute issus d'un
La plupart des transformations des occlusives à l'initiale sont
compatibles avec une sonorisation vers 400 après J.-C., sans doute
dans un contexte d'alternance sourde /
sonore selon la position syntactique.
latin
|
|
occitan
|
|
français
|
bèbru(m)
/ fibru(m) |
vibre |
bièvre
(castor) |
||
*cambĭtă(m) |
Can ganta, AO genta... |
jante |
||
*cambo-... |
gámbis "collier de brebis" | - |
||
cattŭ(m) |
pr.ma., l, g gat |
chat |
||
căvĕă(m) |
gàbia, jàbia, jàvia |
cage |
||
căvĕŏlăm | gabiòla, jabiòla |
geôle |
||
clāră(m) |
quer glara "blanc d'œuf" | - |
||
*clārĕă(m) |
glaira |
glaire |
||
*classŭ(m) |
clas |
glas |
||
Claudĭŭ(m) |
Glaudi... | Claude
( |
||
*clŏdĭŭ(m) |
glòch (1) |
glui
(1) |
||
*cofia
? |
gòfa (còfa) |
coiffe |
||
*conflārĕ |
gonflar |
gonfler
(e.o.) |
||
cŏrbĕ(m),
cŏrbĭcŭlă(m)
|
gòrb, gòrp, gorbelha... |
corbeille |
||
cŏrvŭ(m) |
gòrb, gòrp... augm. gorpatàs, gropatàs |
corbeau |
||
crābrōnĕ(m) |
l, g, d,
rouerg graule
(graulet, graulon...) "frelon" |
- |
||
crassŭ(m) |
gras |
gras |
||
*crassĭă(m) |
graissa |
graisse |
||
crātĕ(m) |
grasa "claie" (2) | - |
||
*crātālĕ(m) |
grasau (2) |
(grand
plat
; graal ?) |
||
crātīcŭlă(m) |
grasilha (3) |
grille |
||
crētă(m) |
greda... |
craie |
||
crŏcŭ(m) |
AO
gr |
(crocus "jaune") |
||
cŭbĭtŭ(m) |
niç gove |
coude |
||
cŭcŭrbĭtă(m) |
mon04
gorja, rou goja
(4) |
gourde, courge (4) |
||
glăndĕ(m) |
(a)lhan |
gland |
||
plătănŭ(m) |
blai "érable à feuille d'obier" | voir
"plane" |
||
portŭlācă(m) |
bortolaiga |
(pourpier)
(5) |
||
prŭīnă(m) |
bruina |
bruine | ||
gr συμφωνἰα (symphonía) |
zambonha "cornemuse" | - |
||
*tarască(m)> *trasca |
AO
drasca "serpent cornu" ( |
voir
"tarasque", animal fabuleux |
||
trăgēmă(m) |
dragea |
dragée |
||
*trăgŭlārĕ |
dralhar > dralha "chemin
pour les troupeaux" |
"draille" (e.o.) |
||
trāgŭlă(m) |
dralha "corde d'un bac" |
traille "corde d'un
bac" |
||
*sūk |
AO
|
(sommet,
crâne) |
||
Tableau ci-dessus : mots occitans à consonne initiale sonorisée (et assez souvent sonorisée en français). Seules les variantes dialectales à consonne initiale transformée sont données dans le tableau ; souvent il existe des variantes du même mot sans transformation. Seuls sont donnés les mots d'origine latine et gauloise ; pour les mots d'origine grecque et germanique, voir ci-dessus : camba / gamba, crapaud / grapaud.
Cas de spirantisation :
galda > iaula "gaude". À
approfondir.