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Apocopes, syncopes, évolution des proparoxytons
24-04-2025




(Sources principales : GIPPM-1, GIPPM-2, LPA, SADP, SSÉPO, SAHC, IPHAF).




Introduction : évolution du nombre de syllabes

(paragraphe en chantier)




Pour les mots latins, les tableaux ci-dessous montrent l'évolution du nombre de syllabes jusqu'aux langues romanes actuelles. On constate que le roumain et surtout l'italien ont une forte tendance à conserver le nombre de syllabes, avec conservation de nombreux proparoxytons.À l'opposé du roumain et de l'italien, le français a raccourci systématiquement tous les mots latins par des syncopes (S). Les autres langues occupent une position qu'on peut qualifier d'intermédiaire : le nombre de syllabes diminue souvent par des syncopes (S) et des apocopes (A). Voir ci-dessous syncopes et apocopes.


Cette considération permet, je pense, de dégager pour le roumain et l'italien une notion de conservatisme, peut-être de "caractère savant". À l'opposé, le français montre un caractère très "populaire" de l'évolution du latin. Le caractère populaire des syncopes était déjà bien présent dans l'Antiquité (Prob, témoignage calidus...). Les apocopes ont dû commencer plus tardivement, en s'inscrivant sans doute au départ dans un phénomène d'alternance (du même type que l'espagnol grande / gran, bueno / buen).


L'occitan occupe une place intermédiaire. Concernant les proparoxytons, de nombreux mots ont subi la syncope (S), certains ont subi l'apocope (A) (apocope de type occitan), et enfin certains ont subi un processus de basculement d'accent (B), assez caractéristique de l'occitan.




Dissyllabes latins



aboutissement des paroxytons dissyllabes
latin
roumain
italien
espagnol
catalan
occitan
français
mūrŭ(m)
aroum mur A muro muro mur [ʋ] A mur [u] A mur A
bŏnŭ(m)
  bun A buono/buon A bueno/buen A bon A bòn A bon A
bŏnă(m)
  bună buona buena bona
bòna
bonne
pŏntĕ(m)
  punte ponte puente pont A pònt A pont A


Tableau ci-dessus : aboutissement de quelques mots latins de deux syllabes (paroxytons dissyllabes) dans diverses langues romanes. On voit que l'apocope (A) tronque les mots en catalan, occitan, français, et à un moindre degré en roumain. En italien et en espagnol, l'apocope existe de façon embryonnaire sous la forme d'une alternance de type it buono / buon (un uomo buono / un buon uomo) ; cette alternance est généralement invoquée pour expliquer le mécanisme originel des apocopes dans les autres langues. Le ă final latin ne disparaît jamais (ci-dessous résistance de -a); il devient -e en français, qui n'est plus prononcé à partir du XVe siècle (-a du féminin).




Paroxytons trissyllabes latins



aboutissement des paroxytons trissyllabes
latin
roumain
italien
espagnol
catalan
occitan
français
argĕntŭ(m)
argint A argento
-
argent A argènt A argent A
sēcūrŭm(m)
sigur A sicuro
seguro
segur A segur A seür > sûr A ds
cătēnă(m)
ist.r. cadine
catena
cadena
cadena
cadena
chaîne ds


Tableau ci-dessus : aboutissement de quelques paroxytons latins trissyllabes dans diverses langues romanes.




Paroxytons latins de plus de trois syllabes



aboutissement des paroxytons de plus de trois syllabes
latin
roumain
italien
espagnol
catalan
occitan
français
sānĭtātĕ(m)
sănătate
a.it. sanitate
it.m. sanità A
gal. saidade
a.cat. sentat S A
santat, sandat S A
santé S A
cīvĭtātĕ(m)
citat S A
a.it. cittate, -de S
it.m. città S A
ciudad S A
ciutat S A
ciutat S A
cité S A
dŏrmītōrĭŭ(m)
dormitor A -
dormidor A -
dormidor A dortoir S A
habēbātis
aveați /ave̯ats/
avevate
habíais ds havíeu ds aviatz A ds aviez A ds
armātūră(m)
armătură
armatura
armadura
armadura
armadura
armeüre > armure ds


Tableau ci-dessus : aboutissement de quelques paroxytons latins de plus de trois syllabes dans diverses langues romanes.

Un autre processus peut contracter les mots : la disparition d'une consonne intervocalique, suivie d'une synérèse (ds). Par exemple dans sānĭtātĕm > gal. saidade "santé" (voir n > ∅).



Proparoxytons latins


aboutissement des proparoxytons latins
latin
roumain
italien
espagnol
catalan
occitan
français
ŏcŭlŭ(m)
ochiu S
occhio S
ojo S
ull S A
uelh S A
œil S A
vĭrĭdĕ(m)
verde S
verde S
verde S
verd S A
verd S A
vert S A
lăcrĭmă(m)
lacrămă
lacrima
lágrima
llàgrima
lagrema B
larme S
mastĭcăt
mestecă
mastica
masca S
mastega B
mastega B
mâche S
sēmĭnăt
seamănă
semina
sembra S
sembra S
samena B
sème S
lĭttĕră(m)
litera
lettera
letra S
lletra S
letra S
lettre S
lĕpŏrĕ(m)
iepure
lepre S
liebre S
llebre S
lèbre S
lièvre S
ăsĭnŭ(m)
asin A asino
asno S
ase A
ase A
âne S
jŭvĕnĕ(m)
june S
giovane
joven A
jove A
jove A/joine S
jeune S
crēscĕrĕ
crește A
crescere
crecer A
créixer A
crèisser A
croître S
hŏspĭtĕ(m)
oaspete
ospite
huesped A
oste S
òste S
hôte S















Tableau ci-dessus : aboutissement de quelques proparoxytons dans diverses langues romanes. On voit que le roumain et l'italien ont fortement tendance à conserver le nombre de syllabes, alors que le français raccourcit tous les mots latins par des syncopes (S). (Pour ŏcŭlŭs et vĭrĭdĭs, la syncope est panromane : elle devait déjà exister en latin parlé commun). L'occitan occupe une position "intermédiaire", avec très souvent un raccourcissement des mots par syncope, ou par apocope (A), ou bien une conservation du nombre de syllabes par un processus original de basculement de l'accent (B).



Idée générale : par pur héritage à partir du latin, les mots français (et occitans ?) ont tendance à ne posséder qu'une ou deux syllabes (en dehors des mots composés, affixés et des verbes conjugués). (Référence ??).
Mais les mots à trois syllabes ne sont pas rares : certaines voyelles prétoniques internes se sont maintenues dans certaines conditions (IPHAF:110) : "pavillon", "Avignon"... ; "carrefour", "perresil" (> persil), "sospeçon" (> soupçon)... 

Pour Avēniōnem > Avinhon, Jules Ronjat estime que la voyelle prétonique s'est maintenue par l'influence du CS *Avinh < Avēniō (GIPPM-1:365).




Voir CDVSF pour l'ancien français : "une voyelle en syllabe fermée ne tombe jamais" ; je pense que cette règle s'applique aussi à l'occitan. Philippe Ségéral établit des règles concernant le maintien ou la syncope des syllabes prétoniques (PH-2020:280). Pour les verbes, je me permets de remarquer (pace Ph. Ségéral) qu'il ne tient compte que des infinitifs, et donc il passe sous silence les processus d'analogie sur les formes conjuguées (*admemorare > a.fr. amembrer "se souvenir", *exclaricire > a.fr. esclarcir  > "éclaircir" ; testimoniare > a.fr. tesmoigner > "témoigner", *expandicare > a.fr. espanchier > "épancher", excorticare > a.fr. escorchier > "écorcher" ; *exparpiliare > a.fr. espapeillier > "éparpiller", *excommunicare > a.fr. escomungier, escomengier "excommunier"...)


(PFÉH:40 :


Exemples :

aestĭmārĕ > AO ȩsmar, "aimer" (p.p.) ;

artĕmīsĭă(m) / artĕmēsĭă(m) > artemisa, lim armisadial.oïl armise / (*armeise >) armoise (FEW 25:363b-364a voit dans artemisa une forme demi-savante)

dormĭtōrĭŭm > dormidor, "dortoir"

jānŭārĭŭm > AO genovier > AO gervier "janvier"

monasterĭŭm > Monastier, Mostier

Monasteriolum > Montreuil (93) (Monterel 1203, Monstrueil 1360).




Réduction plus poussée du nombre de syllabes en français par rapport à l'occitan :

- Pour l'occitan, certaines consonnes ne sont pas amuïes alors qu'elles le sont en français (consonnes intervocaliques). Cela entraîne souvent une réduction du nombre de syllabes en français, via des processus de synérèse (suivis de monophtongaison) ou de réduction de diphtongue :
sēcūrŭm > oc segur / a.fr. seür > "sûr"


- Pour les verbes latins de quatre syllabes ou plus (adjūtārĕ  "aider", mastĭcārĕ "mâcher"), il existe souvent deux variantes en occitan (ci-dessus) : la variante non syncopée (ajudar) et la variante syncopée (aidar), alors qu'en français, seule la variante syncopée existe ("aider").


- Pour les séquences R-Ly, R-Ny, en toponymie, tendance à une syncope plus fréquence en français : Aurēlĭācŭm > Aurillac / Orly.


(DENLF:368) nom d'homme Jovenius, Juvenius > Joviniacum, Juveniacum > Joigny (89), Jeugny (10), Jagny (78), Juignac (16), Juigné (49 2 communes, 44, 72, 10 (1)). À l'opposé, on a une syllabe de plus dans Juvignac en domaine d'oc (34), mais aussi en domaine d'oïl avec Juvigné (53) et les nombreux Juvigny. La présence de ny a sans doute eu tendance à bloquer la syncope car en prétonique, dans cīvĭtātĕm, on n'a que des aboutissements syncopés : "cité", ciutat (v préconsonantique).

(1) Pour Juigné et peut-être Joigny, Juignac, ign = gn (à l'origine, le i n'est sans doute pas prononcé).




intāmĭnārĕ > entamer (héritage) ; provençal : entamenar.

contāmĭnārĕ > contaminer (emprunt).

*allūmĭnārĕ > allumer ("emprunt au latin populaire" ? : CNRTL), ancien occitan : alumenar, alumnar.


Remarque : voici l'étude de quelques cas où deux syllabes prétoniques semblent en syllabe ouverte, et ne présentent pas de syncope :

- calamèu, "chalumeau" (< calamellum), je pense que l'influence savante a pu jouer car calamus était un roseau à écrire ;

- canabas, canabassier, canabiera... chenevis, chanevis < *canapūtium, canevas (picard) (mais l'étymon peut avoir 2 n : canapis ou cannapis ;

- (Luberon, mais étymon trop incertain : Λουεριώνοϛ Louerion de Strabon Géogr. IV, 6, 3 très critiqué)




I. Les apocopes


Dans ce chapitre, j'entends par "apocopes" les deux phénomènes suivants :



- la disparition des voyelles finales -u, -e, -o, -i, par exemple :


mūrŭ(m) > mur, mūrōs > murs


Cette disparition date approximativement des VIIe et VIIIe siècles.




- la disparition des syllabes finales des proparoxytons qui n'avaient pas été syncopés jusqu'alors. Par exemple :


ăsĭnŭ(m) > ase "âne"


C'est ce que j'appelle l'apocope de type occitan (ci-dessous). Elle doit se comprendre comme un prolongement de l'apocope précédente :


ăsĭnŭ(m) > *aseno > asen > ase "âne"


La dernière étape, la perte de la consonne devenue finale (-n), se termine au cours du XIe siècle (pour asen).



En dehors de ce grand changement, il y a eu d'autres types d'apocopes, sans doute à des époques très variables. Ci-dessous je mentionne des apocopes anciennes, d'époque latine :


Remarque : apocopes d'époque latine

Les apocopes décrites ci-dessous concernent deux particules enclitiques (-nĕ "est-ce que ?", -cĕ "ici") forçant l'accent à se placer sur la syllabe précédente (accent latin), et une flexion verbale (-cĕ).



Suffixe -cĕ "ici" > -c


La particule enclitique -cĕ "ici", par exemple dans les adverbes de lieu latins, a été raccourci en -c : hīc, ĭstīc, ĭllīc, hūc, ĭstūc, ĭllūc... proviennent de formes en -cĕ : hīcĕ,  ĭstīcĕ... C'est ce qui explique que l'accent tonique soit resté sur la dernière syllabe dans ĭstīc, ĭllīc, ĭstūc, ĭllūc...(ÉGCOL:300), alors que la règle 2 voudrait que l'accent se porte sur la première syllabe. Je me demande si on ne peut pas expliquer cet accent par un sentiment de composition (ĭstīc = ĭstĕ + hīc).



Impératifs en -cĕ > -c

Certaines formes à l'impératif ont été apocopées : addīcĕ > addīc, ēdūcĕ > ēdūc. Selon ÉGCOL:300, l'accent tonique s'est conservé sur la deuxième syllabe, alors que la règle 2 voudrait que l'accent se porte sur la première syllabe.



Suffixe -nē "ici" > -n

La particule enclitique -nē "est-ce que ?" peut être soudée à la fin d'un mot. Celui-ci peut alors subir l'apocope.

ĕgōnē > egōn "est-ce que c'est moi ?"

vĭdĕsnē > vĭden "est-ce que tu vois ?"

Selon ÉGCOL:300, l'accent tonique s'est conservé sur la deuxième syllabe, alors que la règle 2 voudrait que l'accent se porte sur la première syllabe.





A. Causes des apocopes

Loi universelle de simplification de la langue


C'est une loi universelle que les langues évoluent vers une simplification, simplification qui est limitée par la contrainte de compréhension par l'interlocuteur. La disparition de la fin d'un mot peut ainsi s'expliquer dans le cadre de la simplification de la langue, de la volonté d'augmenter le débit des paroles (référence ?). La disparition de voyelles internes peut aussi s'expliquer de cette manière (syncopes ci-dessous).



Limites à la simplification de la langue


Outre la contrainte de la compréhension par l'interlocuteur, pour les langues romanes, la flexion exerce une contrainte sur l'apocope : on devait pouvoir entendre si le nom était au singulier, au pluriel, au cas sujet, au cas régime (flexions qu'on n'entend plus aujourd'hui), on devait et on doit pouvoir entendre la terminaison du verbe conjugué (référence ?).


Dans les déclinaisons, un compromis a été trouvé pour certaines formes où le s final se conserve mais la voyelle précédente se perd (formes déclinées ci-dessous), par exemple : dūrŭs > AO (CSS) durs "dur". Puis le -s du CSS se perd finalement dans tout le domaine d'oc ; seul le -s du pluriel est encore prononcé dans quelques régions.



Par ailleurs, selon l'environnement du mot dans la phrase, l'apocope peut se réaliser ou non. Pour l'italien et l'espagnol actuels, qui sont les langues romanes les moins affectées par l'apocope, on observe quand même des alternances de phonétique syntactique : (it) uno / un, bello / bel, signore / signor, mare / mar ; (esp) uno / un, bueno / buen, ciento / cien, grande / gran (voir GIPPM-1:222).



Scénario pour l'occitan (à préciser)


Jules Ronjat pense ainsi que dans un état très ancien, l'occitan a dû connaître des alternances du type italien ou espagnol ci-dessus : mare / mar, uno / un... (voir GIPPM-1:222). L'une ou l'autre forme alternante ancienne a dû être retenue dans la langue actuelle. Dans son œuvre, il envisage parfois le rôle du -s du pluriel, mais on peut lui reprocher d'omettre généralement la distinction CS / CR qui était de règle en AO, notamment avec le -s du CSS.


Il reste sans doute à réaliser une grande analyse systématique de tous ces facteurs sur l'évolution de la morphologie des mots occitans, et aussi français. Je tente de donner quelques pistes ci-dessous.





B. Chute de la voyelle finale

(GIPPM-1:219)


1. Chute de la voyelle finale : première approche

(GIPPM-1:205, 219).



a. Disparition de -u, -e, -o, -i

Dans l'étude historique du français, le terme d'apocope désigne en général la chute des voyelles finales latines -u, -e, -o, -i des paroxytons (ex : SADP). Elle se réalise au VIIIe siècle (IPHAF:197). 


Cette apocope se réalise aussi en occitan, et dans d'autres langues romanes : catalan, franco-provençal, et langues rhéto-romanes : romanche, frioulan, ladin.


Les apocopes se sont peut-être produites dans ces langues vers la même période, vers les VIIe et VIIIe siècles.




Sous quelle forme se trouvaient -u, -e, -o, -i au moment de leur disparition ?


(à l'étude) Par exemple, a évolué en -o vers la fin du Ve siècle.



Conservation apparente de -e dans certains cas


À mieux étudier.


Je donne ici en vrac les mots à étudier :


gradum > AO variante graze

*melicem > melese, melze "mélèze"

rumicem > romese

juvenem > joine, fr. jeune...



Je donne deux exemples que j'ai relevés :

nŭcĕ(m) > nose / notz "noix"

ădjăcĕntĕm > *ădjăcĕ(m) > aise / aitz "aise"



À première vue, dans les variantes oc nose, aise, on pourrait voir une survivance de latin. Mais il peut s'agir aussi d'un e épenthique, qui serait apparu après apocope dans une étape de -c- à -z- (voir palatalisations de ce, ci).





b. Résistance de -a

En occitan, -a, -as, marque du féminin et de certaines désinences verbales, malgré ses évolutions, ne s'est jamais amuï depuis le latin. En effet, a résiste à l'amuïssement, car c'est la voyelle la plus ouverte, donc la plus sonore.

Il est mieux conservé en occitan qu'en français.


Voir aussi influence de a sur les syncopes ci-dessous.


c. Mots témoins dans différentes langues

Voici un tableau de mots témoins montrant l'apocope dans les langues concernées, et l'absence d'apocope en italien (sauf le type mĕdĭĕtātĕm > metà). L'espagnol est peu touché par les apocopes. 



latin
italien
espagnol
français
occitan
catalan
romanche
frioulan
ŭ
mūrŭ(m) muro
muro
mur
mur
mur
mir
mûr
ŏc(ŭ)lŭ(m) occhio
ojo
œil
uelh
ull
ögl
voli
dūrŭ(m) duro
duro
dur
dur
dur
dir
dûr
ĕ, ē
mărĕ mare
mar
mer
mar
mar
mar
mâr
pŏntĕ(m) ponte
puente
pont
pònt
pont
punt
puint
mĕdĭĕtātĕ(m) metà
mitad
moitié (1)
mitat
meitat
mesadad
metât
tardē tardi
tarde
tard
tard
tard
tard
tart
căntārĕ cantare
cantar
chanter
cantar
cantar
cantar
cjantâ
ō
căntō
"je chante"
canto
canto
a.fr. chant
AO cant
a canto
AC cant
a.r. ?
a.fri. ?
ī
n. mūrī
"les murs"
muri
a.esp.
?
a.fr.
CSP mur
AO
CSP mur
AC
CSP mur
a.r. ?
 a.fri. ?
après muta cum liquida
fĕbrĕ(m)
febbre
fiebre
fièvre
fèbre
febre
fiera
fiere

Ci-dessus : devenir des voyelles finales latines -u, -e, -o, -i pour quelques mots en italien, espagnol, français, occitan, catalan et dans les langues rhéto-romanes (romanche et frioulan).

(Pour le romanche : pledari.ch, dialecte sursilvan ; pour le frioulan : claap.org)

Le -m caractéristique de l'accusatif ne se prononce plus depuis longtemps déjà à la fin de la République Romaine (27 avant J.-C.)

On voit que l'apocope n'existe pas en italien (sauf metà), est très réduite en espagnol, mais est généralisée dans les autres langues. Le groupe -br- dans fĕbrĕ(m) semble ne jamais subir d'apocope, mais le -e des langues à apocopes pourrait être un -e de soutien (voir ci-dessous apocope après muta cum liquida ?).


(1) Pour mĕdĭĕtātĕm : voir évolution de mĕdĭĕtātĕm en français.






2. Chute de la voyelle finale : approfondissement


a. Formes déclinées

Ci-dessus, les mots pŏntĕ(m), ŏcŭlŭ(m), dūrŭ(m) portent la désinence de l'accusatif singulier. En général, ce sont les formes qui ont donné les mots actuels au singulier en français et en occitan. Pour généraliser aux origines du paradigme de l'ancien occitan et de l'occitan actuel, on peut donner le tableau ci-dessous. On y voit que dans certains cas, le terme apocope est peu approprié car la consonne finale demeure (exemple : pŏntēs > pònts). On pourrait aussi bien dire qu'il s'agit d'une syncope, mais je conserve "apocope", par praticité, pour désigner cette perte de la voyelle finale, suivie ou non d'une consonne, par référence au terme du lexique actuel (pònt < pŏntĕ). La remarque est la même pour le français.


Quand la voyelle finale est suivie d'une consonne, sa chute en français est datée du courant du VIIe siècle (IPHAF:196).


Quand la voyelle est en finale absolue (souvent à cause de la perte du -m final à la prononciation), sa chute en français est datée du VIIIe siècle (IPHAF:197).


Occitan :

nom.s. >
(AO) CSS 
ac.s. > (AO) CRS > singulier actuel nom.p. >
(AO) CSP
ac.pl. > (AO) CRP >
pluriel actuel




pŏns > AO pons
(1)
pŏntĕ(m) > pòn(t) (2)
pŏntēs > pŏntī > AO pon(t) (3) pŏntēs > pòn(t)s
ŏcŭlŭs > AO uelhs ŏc(ŭ)lŭ(m) > uelh
ŏcŭlī > AO uelh ŏc(ŭ)lōs > uelhs
dūrŭs > AO durs
dūrŭ(m) > dur
dūrī > AO dur
dūrōs > durs

Tableau : "Apocope" des voyelles finales latines -u, -o, -e, -i du latin à l'occitan : ces voyelles sont représentées en rouge, elles disparaissent lors du passage du latin à l'ancien occitan. L'occitan actuel est hérité des deux premières colonnes, où l'on voit notamment l'origine du -s du pluriel. Les deux dernières colonnes donnent les cas de l'AO qui ont disparu sans laisser de descendance.


(1) Pour la nature du o dans AO pons, voir la remarque ci-dessous.

(2) Le type pŏntĕm a deux aboutissements possibles en AO : pon et pont. Voir ci-dessous alternance de type pon / pont.

(3) pŏntēs > pon(t) avec disparition du s est dû à l'influence analogique du cas général CSP mur. (PAF 1.2.2.3.b. propose un intermédiaire latin  *pontī calqué sur la 2e conjugaison dŏmĭnŭs, -ī)


Français :

nom.s. >
(a.fr.) CSS
ac.s. > (a.fr.) CRS > singulier actuel nom.p. >
(a.fr.) CSP
ac.pl. > (a.fr.) CRP >
pluriel actuel




pōns > a.fr. pons pŏntĕ(m) > "pont" pŏntēs > *pŏntī > a.fr. pont
pŏntēs > "ponts"
ŏcŭlŭs > a.fr. ialz ŏc(ŭ)lŭ(m) > "œil" ŏcŭlī > a.fr. ueil ŏc(ŭ)lōs > "yeux"
dūrŭs > a.fr. durs
dūrŭ(m) > "dur"
dūrī > a.fr. dur
dūrōs > "durs"

Tableau : "Apocope" des voyelles finales latines -u, -o, -e, -i du latin au français : ces voyelles sont représentées en rouge, elles disparaissent lors du passage du latin à l'ancien français. Le français actuel ne se trouve que dans les deux colonnes à en-têtes bleus. Les deux autres colonnes donnent les cas de l'a.fr. qui ont disparu sans laisser de descendance.






β. Formes conjuguées

La même chute de la voyelle finale est observable pour certaines formes conjuguées au présent (3e.p.s. : IPHAF:196, SADP:148)


Première personne du singulier, présent de l'indicatif

Voir aussi Indicatif présent (évolution de la 1e conjugaison).


Le tableau ci-dessous montre les faits suivants.


1. Le -o latin est conservé en italien, langue sans apocope, alors qu'il disparaît en OA et en a.fr.. Rapidement apparaissent des formes avec une "voyelle de soutien" : -e, -i dès l' OA (mais pas en a.fr. ?).

Remarque : (GIPPM-3:153-154) : le -o latin est conservé jusqu'en OM dans de nombreuses régions alpines jusqu'à Forcalquier, Saint-Étienne-les-Orgues, et aussi en Ardèche : Tournon, Saint-Agrève, Annonay).


2. Pour l'occitan, si la consonne devenue finale était sonore, elle devient sourde : *prego > prȩc, *pȩrdo > pȩrt, voir ci-dessous durcissement de la consonne devenue finale.




latin
italien
AO
a.fr.
căntō canto
cant (cante, -i)   GAP (je) chant "je chante"
cōgnōscō conosco consc, conc   MEAO ? "je connais"
crēscō cresco crsc   GLR (je) crois (de croître)
dŏrmĭō > *dŏrmō dormo dǫrm GAP (je) dorm "je dors"
dīcō dico dic, di   MEAO (je) dic "je dis"
plăō piaccio ?
(je) plaz /plats/, plais
"je plais"
pĕrdō perdo pȩrt, pȩrc MEAO (je) pert "je perds"
*prĕcō prego prȩ  LR (je) pri / proi...  "(je) prie"
vĭncō vinco vnc ?, vntz MEAO (je) veinc   "je vaincs"
l.v. *vŏō (non vŏlō)
voglio vuolh   MEAO (je) vueil  "je veux"

Tableau : évolution de la voyelle latine (en rouge) de la première personne du singulier à l'indicatif présent : conservation en italien, chute en ancien occitan et en ancien français. Pour l'évolution de la consonne devenue finale, voir ci-dessous. Les formes actuelles canti, "je chante"... sont des réfections.


Beaucoup de formes citées ci-dessus en AO proviennent de MEAO:88-90. La plupart des formes a.fr. proviennent de micmap.org.


Troisième personne du singulier, présent de l'indicatif


Voir cantăt, cantănt... à "p, t, k, s, f".



3. Apocope après muta cum liquida ?

(GIPPM-1:267-268) (r.g.f.d.e.a.) "Nos parlers n'admettent pas en fin de syllabe un groupe combiné consonne + r ou l [...] : appuyés ou non en roman (exemple prov. litt. nòstre, vòstre, lim  òtre, vòtre < nostru, vostru), ces groupes exigent toujours une voyelle posttonique." Pour ces groupes de consonnes, j'emploie le vocable de muta cum liquida.


(SSMML:271) "En gallo-roman, les voyelles latines finales autres que a n'ont survécu, sous la forme d'un schwa, que si elles étaient précédées d'un groupe consonantique homosyllabique. Dans toute autre situation, les voyelles finales ont disparu. On peut comparer par exemple febre > fièvre, duplu > double, inflo > enflemuta cum liquida exige le maintien d'un appui vocalique à sa droite, avec d'autres groupes consonantiques où les voyelles finales autres que a ont été perdues : RT (1) ventu > vent, portu > port, arcu > arc ; RR cavallu > cheval, ferru > fer ; TT factu > fait."

(1) (T = obstruante ; R = liquide).


Remarque personnelle : Il convient de nuancer cette généralisation : un -e existe dans d'autres cas que derrière un groupe consonantique homosyllabique : dans "âne" < asne < asinu, "chêne", etc.; également dans les adjectifs numéraux undecim, duodecim, tredecim, quattuordecim, quindecim, sedecim > oc onge/onze, dotze, trege/treze, quatòrze, quinze, setze. Voir aussi ci-dessus : conservation apparente de -e.



Dans certaines régions de la Romania, il est probable qu'une apocope se réalisât aussi après les muta cum liquida [occlusive sonore + liquide] (pour l'occitan : SSÉPO:5), mais un -e de soutien est sans doute rapidement apparu "pour pouvoir prononcer facilement" la muta cum liquida. Cette phase est mal connue.


Par exemple :

nĭgrŭ(m) > negr > negre /  g neguer


Voir aussi ci-dessous.




  À continuer.


(loi des codas)




Conservation des voyelles finales en franco-provençal


Selon Yves-Charles Morin en franco-provençal, -o est conservé après muta cum liquida. Par exemple : quădrŭm > caro /karo/, pătrĕm > pare /paré/. (SADP:142, 151).



4. Conséquence de l'apocope : durcissement de la consonne devenue finale (sonores et sourdes latines)

Cette partie est essentiellement le fruit de réflexions personnelles : il faudrait chercher davantage de sources. Je pense que ce domaine est nettement sous-étudié. Jules Ronjat étudie bien le devenir de consonnes devenues finales, mais son étude est incomplète. Voir cependant pour d latin : GIPPM-2:95-98.


Pour le français, Tobias Scheer traite le problème (PH-2020:421-425). La situation est bien différente de l'occitan.


Pour le français, Henri Gavel traite ce sujet (EEPC:253). Dans son compte rendu, Édouard Bourciez (EEPC-cr) (...à finir).

a. Vue d'ensemble sur le durcissement


Suite à la chute de la voyelle finale, si la consonne devenue finale était sonore (syn. voisée), elle évolue en la sourde correspondante : on dit qu'elle subit le durcissement des finales, ou dévoisement final. Le même phénomène s'est réalisé en français. Mais dans les deux langues, on n'en trouve presque plus trace, car les consonnes finales ne se prononcent généralement plus, sauf dans des cas de liaison et dans certains dialectes occitans. Même l'orthographe normalisée en a effacé les traces : "grand" était écrit gran / grant en AO comme en a.fr. (voir alternance pon / pont ci-dessous) mais aujourd'hui oc grand, fr "grand".


Pour l'occitan :

GIPPM-2:2 : "[...] ; quant aux consonnes devenues finales en roman, un fait général est que, les sonantes exceptées, toute sonore passe à la sourde correspondante ; ensuite se produisent, à des dates et suivant des modalités qui varient beaucoup avec les parlers, des amuïssements, des simplifications de groupes, des alternances de phonétique syntactique, des incorporations à la voyelle précédente (nasalisations), des élargissements consonantiques et vocaliques, — faits qui se laissent malaisément résumer."

Pour le français :

PH-2020:421 : "Comme de nombreuses langues (allemand, turc, russe, etc. Iverson et Salmons 2011), l'AF pratique le dévoisement en finale des obstruantes voisées, et ce synchroniquement : masc. AF froit, fém. froid-e (Walker 1981a : 68 sqq.). Par conséquent il n'existe pas d'obstruante voisée en position finale en AF."


Remarque : le durcissement de la consonne finale se produit aussi dans d'autres cas, comme la déverbation : adobarAO adop "équipement ;..."




α. Schéma général

On peut distinguer trois situations (la quatrième situation ne montre pas un durcissement) :


1. Si en latin, la consonne était intervocalique sourde, alors il y a sonorisation, puis apocope, puis durcissement. Exemple :


prātŭ(m) > (sonor.)*/prdó/ > */prad/ > AO prat /prat/ "pré"


(voir les régions à -t final encore prononcé)


2. Si en latin, la consonne était explosive sonore (consonne + consonne sonore), alors l'apocope est suivie du durcissement. Exemple :


sanguĭnĕ(m) > */sangé/ > */sang/ > AO sanc /sank/ "sang"


(voir les régions à -c final encore prononcé)


3. Si en latin, la consonne était intervocalique sonore (spirantisée), le problème ne se pose pratiquement que pour d, car pour b il y a vocalisation (ci-dessous) et pour g, il y a souvent amuïssement devant e, i, o, u (ci-dessous). Pour d, l'apocope a des aboutissements variables. Exemples :


pĕdĕ(m) /péðé/ > */pèð/ > AO pȩ "pied"


nōdŭm /nóːðʋ/ > */nóð/ > AO nt, n, ns "nœud"


4. Pour la quatrième situation (en latin, la consonne était explosive sourde) : la consonne n'évolue pas depuis le latin. Elle reste la même à travers les siècles, protégée de la sonorisation par la consonne antécédente puis arrive en fin de mot lors des apocopes. Par la suite, il y a amuïssement tardif dans de nombreuses régions.


pŏntĕm > pònt "pont" (voir pon / pont)

præstō > prest "prêt"

(voir les régions à -t final encore prononcé)


arcŭ(m) > arc "arc"
*brŭncŭm > AO brọnc "saillie"
cīnquĕ > cinc "cinq"
cŏgnōscō > *cŏnōscō > AO consc, conc "(je) connais"


germ bank > banc "banc"

 a.b.fr. *frank > franc "franc"

germ *blank > blanc "blanc"

 





β. Traces actuelles du durcissement

Le phénomène de durcissement de la consonne devenue finale concerne au moins l'occitan, le franco-provençal, le catalan, le français (pour les langues rhéto-romanes : romanche, frioulan, ladin : à vérifier).



Pour l'occitan, même si les consonnes finales sont en général amuïes en Basse-Provence, les consonnes finales durcies sont encore prononcées dans d'autres dialectes. En français comme pour le provençal, quand ces consonnes durcies n'ont plus été prononcées, la graphie les a souvent oubliées et dans certains cas on est revenu à une graphie latinisante (grand, sang... aux dépens de grant, sanc). Voir les problèmes d'orthographes (ci-dessous).


Pour l'espagnol (mitad, cesped), je ne sais pas si le -d provient directement de la sonorisation + apocope, ou bien s'il a subi un durcissement, puis une spirantisation (voir hésitations pour le français, IPHAF:197-198). Pour les langues rhéto-romanes : hétérogénéité ? (voir ci-dessus metât, mesadad "moitié").

Pour le français, on peut citer comme exemples de consonnes finales durcies :

- "clef" (jadis le -f était prononcé) ;

- "neuf" ;

- "dix" ;

- "vert" < */vérdé/ < vĭrĭdĕm (jadis le -t de "vert" était prononcé).


Encore pour le français, les attestations anciennes sont nombreuses, avec parfois des traces dans la prononciation française d'aujourd'hui :


- a.fr. lonc "long" (-k était maintenu encore récemment en liaison : "long hiver" /lõk ̮ivèːr/)

- a.fr. sanc "sang" (-k est parfois maintenu en liaison : "sang impur" /sãk ̮è̃puːr/) ;

- a.fr. grant "grand" (-t est maintenu en liaison : "grand homme" /grãt ̮òm/) ;

- a.fr. mont "monde" ;

- a.fr. corp "corbeau" (< corbus) ;

...


Voir aussi l'ancien fr-pr Bourc (-k maintenu en liaison dans "Bourg-en-Bresse").






γ. Causes phonétiques du durcissement

Phonétiquement, ce durcissement s'explique par une "interruption anticipée de la vibration des cordes vocales en fin d'énoncé" (Wikipédia : dévoisement final).


On peut penser que la prononciation dans les départements 59, 57, 54, 88, et de la Wallonie montrent un tel type de durcissement après la chute "récente" des voyelles finales  atones : voir ALF "auge" [óʃ], "bride" [brit], cage [kaʃ], "fève" [fèf], "sève" [sèf], etc.



Position préconsonantique :


Je pense que l'arrivée en position préconsonantique a pu jouer un rôle. L'arrivée en position préconsonantique se produit :

- devant le -s flexionnel aux CSS, CRP : /prats/ semble être une évolution naturelle de /prads/ (< prātŭs), d'où un réajustement analogique menant à CRS prat ;

- devant un mot commençant par une consonne ;

- dans des syncopes (voir jovene > juefne).


Dans ces cas, il y a concurrence entre durcissement de la consonne et sa vocalisation souvent observée en occitan (exemple : ci-dessous clāvĭs > claus "clé"). Le résultat dépend probablement des contacts consonantiques ; aspect à étudier.


Cependant, dans les mots nécessairement suivis d'autres mots, le durcissement de la consonne ne semble pas se réaliser. Par exemple pour ăpŭd > AO ab "avec", la forme ab est restée ultra-dominante jusqu'au XIIIe siècle. La forme ap, avec b durci en p, est connue dans deux seules occurrences (DOM) :

ap petdres "avec des pierres" PassClermap que fos vertadiers "même si c'était vrai" AmSesc. La consonne -p est suivie, dans ces deux cas, de consonnes sourdes (p et k). Ainsi la position préconsonantique ne semble pas suffisante pour déclencher le durcissement (mais le caractère atone de ab, en position proclitique, limite peut-être la portée de cette conclusion : lop "loup" est tonique, donc les deux cas sont difficiles à comparer).





b. Cas où la consonne latine était intervocalique sourde


Le schéma général est (exemple) :


prātŭ(m) > (sonor.)*/prdó/ > */prad/ > AO prat /prat/ "pré"


(voir les régions à -t final encore prononcé)


Une longue série de mots latins dont la dernière syllabe commençait par une consonne sourde intervocalique voient cette consonne : (1) subir la sonorisation vers l'an 400 ; (2) "redevenir" sourde à la suite de l'apocope, vers le VIIe - VIIIe siècle.



α. Étude des dérivés : lobet, fogau..., pauquet... (formation, datation)

 

Cette partie est rédigée à partir d'une réflexion personnelle (juillet 2019).


- Comment ont été construits les dérivés de lop "loup" (lobet "petit loup"), de fuòc "feu" (fogau "foyer"), de pauc "peu" (pauquet "petit peu")... ? 


- Peut-on dater leur formation ?




α1. Cas général pour les consonnes latines sourdes intervocaliques (étude des dérivés)


Les dérivés ont presque systématiquement la consonne radicale finale sous sa forme sonore et non sourde :


p : lŭpŭm, lŭpăm > lop, loba lobet, lobat, lobaton, lobiera, lobatiera... ;


t : prātŭm > prat → pradet, pradàs, pradau, pradèl, pradier... ;


c : fŏcŭm > fòc, fuòcafogar, fogairon, fogau, foganha, fogatge, foguẹnc, foguiẹnc... ;



- Donc les dérivés n'ont pas été construits par suffixation sur la consonne durcie (après apocope) de lop, prat, f(i)òc... Sinon on aurait obtenu lopet, lopat, lopiera...,pratet..., afocar... On pourrait penser que le féminin, qui existe dans certains cas (loba...) est à l'origine de l'emploi de la consonne sonore dans les dérivés. Mais on ne peut pas faire intervenir de base féminine pour les familles de fuòc, prat...


- On peut en déduire que les dérivés ont été forgés avant le durcissement de la consonne devenue finale, c'est-à-dire avant les apocopes (avant les VIIe , VIIIe siècles). Ou du moins, un certain nombre d'entre eux datent de cette époque, suffisamment pour qu'ils aient induit des analogies sur les autres dérivés, ou bien ils ont pu eux-mêmes être dérivés plus tard (lobat → lobatiera).

Par exemple si on envisage une création dérivationnelle aux Ve, VIe, début VIIe siècles : *lobo "loup" → *lobetto > lobet "petit loup", *fuogo "feu" → *fogale > fogal "foyer".


- Voir aussi trauchar "trouer" (ci-dessous) dont l'étymon traucare aurait déjà existé avant les quatrièmes palatalisations (avant le début du Ve siècle).


- Il est possible que certains dérivés aient été forgés dans une époque encore plus ancienne, avant les sonorisations (avant l'an 400) : *lopettu, *focale. Ces dérivés déjà constitués auraient donc subi eux-même les sonorisations.


- On peut même envisager la formation de ces dérivés avant la mutation vocalique : *lŭpĭttŭ(m), *fŏcālĕ(m), mais une étude au cas par cas s'impose. Et il faut déjouer les pièges des formes qui ont été latinisées à partir de formes vulgaires (à supposer qu'on trouve une forme écrite vers l'an 800 *lŭpĭttŭm, "petit loup", cela ne signifie pas forcément que*lŭpĭttŭm a existé en l'an 300, les clercs ayant pour habitude de latiniser des mots vulgaires dans des actes latins).




α2. Cas des consonnes latines sourdes après la diphtongue au (étude des dérivés)


Dans la partie "Sonorisations", je montre la diphtongue latine au empêche la sonorisation de se réaliser au niveau de la consonne subséquente.


Voir notamment : Étude des dérivés (pauc / pauquet ; fuòc / fogau).



Plusieurs familles de mots dérivent de mots latins avec au tonique + consonne sourde : paucŭm "peu", raucŭm "rauque", *traucŭm "trou", *gautăm "joue"... Les dérivés contiennent alors toujours la consonne sous sa forme sourde :


traucŭm > trauc → AO trauquet, traucar, traucable, traucador, trauquilhar trauquilós...

aussi n.oc.m. trauchar (TDF, FEW 13/2:230b), trauchilhar FEW 13/2:231a)


Il ne faut pas en déduire que trauquet, traucar... sont construits sur trauc : par comparaison avec le cas général ci-dessus (lobet, fogau...), on peut estimer qu'ils sont pour une bonne part hérités de formes plus anciennes que la forme trauc : *trauquetto, *traucare (avant le VIIe siècle). Ces formes pourraient être issues dans cette hypothèse de *trauco "trou", avec un /k/ qui a échappé aux sonorisations.


On peut remonter plus loin : les formes n.oc.m. trauchar "trouer", enrauchar "enrouer", montrent la quatrième palatalisation (ka > cha pour k en position forte). Ces variantes n.oc. permettent normalement de dater les étymons à une période antérieure aux quatrièmes palatalisations, soit antérieure à la première moitié du Ve siècle. Donc traucar / trauchar, enraucar / enrauchar semblent issus de mots datant, au plus tard, du début des années 400.


Il est possible que leurs étymons existassent avant les sonorisations (avant l'an 400 environ) : ils contiendraient une consonne sourde du fait de l'action particulière de la diphtongue au, qui a toujours empêché la sonorisation de la consonne subséquente.



 




β. Cas de p intervocalique latin

Exemple :


lŭpŭm > (sonor.) */lóːbó/ > */lób/ > AO lop /lóp/ "loup"


(voir les régions à -p final encore prononcé)



Pour le fr "loup", -p représente une graphie étymologisante (CNRTL "loup", voir ci-dessous lŭpŭs), alors que pour oc lop, -p provient de l'évolution régulière de lŭpŭm.


Par contre si la consonne est suivie de -a, il n'y aura pas apocope et elle n'a aucune raison de redevenir sourde (loba "louve").


Pour les dérivés : lobet "louveteau", lobatiera "tanière de loup"..., voir ci-dessus étude des dérivés.



Exemples :


LPC

LPT1

 
PO

AO, occitan
-p-
>
-b-
>
-b
>
-p
*cannăpĕm





AO canep "chanvre"
căpŭt > *căpŭm

*/kabʋ/ > */kabó/

*/kab/

cap "tête, chef..."
lŭpŭ(m)

*/lóbʋ/ > */lóbó/

*/lób/

lǫp "loup"
nāpŭ(m)
*/nabʋ/ > */nabó/
*/nab/

AO nap "navet"
ŏpŭ(m)
*/òbʋ/ > */òbó/
*/òb/

AO ǫp "moyens de subsistance..."
prŏ

*/pròbé/

*/pròb/

AO prǫp "proche"
trŏ
*/tròbó/

*/truòb/, */truèb/
AO truop, truep (1)
"(je) trouve"
sæpĕ(m)

*/séː bé/

*/séb/

AO sp
"haie", voir sebissa
săpĭt

*/sabé/

*/sab/

AO sap > saup
"(il) sait"














Tableau ci-dessus : évolution de p devenu final. En bleu : formes verbales (ci-dessus).


(1) Pour truop, truep (GAP:268), voir diphtongaison romane de ò (normalement très limitée en occitan).




Cas de lŭpŭs, lŭpa en français



Les mots français pour "loup, louve" devraient être "leuf, leuve" (voir gŭlăm > "gueule") et p > b > v  > f. On ne dispose que des variantes attestées en a.fr. "leu", "leuve" (Île-de-France et Picardie).

Il faut donc expliquer "leu" (et non "leuf"), et "loup, louve" et non "leu, leuve".

"Loup, louve" ont été expliqués de diverses manières.

- Théorie d'un emprunt à l'occitan (DOAF, sans pagination). Les dates proposées par F. Vernet prouveraient que l'attestation de "loup" serait postérieure en français (XIIIe siècle), mais il ne discute pas lu : prononcé /lʋ/ ? (Roland), également li lous (Troie). D'autre part la forme a.fr. (CRS) louf (in CNRTL) présente deux traits typiques d'un traitement français de p dans lŭpŭm : d'une part p > b > v, d'autre part -v > -f. Cette théorie est donc mise à mal.

- Théorie dialectale d'oïl : on peut considérer "louve", "loup" comme des variantes dialectales de l'ouest du domaine d'oïl (FEW 5:462a,b), voir "flour" variante de "fleur". Mais je n'arrive alors pas à expliquer "leu" et non "leuf".

- Théorie de l'influence du féminin : certains auteurs proposent une influence analogique du féminin "louve" où "ou" aurait pu être obtenu sous l'influence du v subséquent (in FEW 5:462b, où cette théorie est préférée à la "théorie dialectale" ; CNRTL propose un mélange des deux théories).

- Théorie de l'évolution de l'influence de l'accusatif pluriel :
F. de La Chaussée propose une influence analogique de l'accusatif pluriel (IPHAF:108), mais je ne comprends pas sa démonstration. Il donne :
lŭpōs > */lóbós/ > ...*/lóʋ̯vós/ > */lóʋ̯fs/ > */lóʋ̯s/ > /lʋs/ et /lœs/ (œ comme le e de "renier").
Cette explication semble ne rien apporter puisqu'il donne les deux aboutissements dialectaux d'oïl (/lʋs/ et /lœs/ : théorie dialectale ci-dessus), et d'autre part la forme du n.s. conduirait aussi à un CSS /lʋs/ et /lœs/ : lŭpŭs > */lóbós/ > ... > /lʋs/ et /lœs/. (Peut-être que l'auteur a pensé à une entrave par -fs, qui aurait bloqué l'évolution óʋ̯ > éʋ̯ ?)

On aurait donc ce paradigme en a.fr. :
(CSS) lous / (CRS) louf / (CSP) louf / (CRP) lous

Conclusion : dans l'attente de mieux, on peut se conformer à la position du CNRTL ci-dessus : mélange de la théorie dialectale d'oïl et de l'influence du féminin.




γ. Cas de t intervocalique latin


Exemple :



prātŭ(m) > (sonor.) */prdó/ > */prad/ > AO prat /prat/ "pré"


(voir les régions à -t final encore prononcé)

Par contre si la consonne est suivie de -a, il n'y aura pas apocope et elle n'a aucune raison de redevenir sourde (-atam > -ada "-ée").


Pour les dérivés : pradet, pradàs..., voir ci-dessus l'étude des dérivés.


Voir aussi prononciation de sud [sut].


Exemples :


LPC

LPC, LPT1

PO

AO, occitan
-t-
>
-d-
>
-d
>
-t
abbātĕ(m)

*/abbadé/

*/abad/

abat "abbé"
-ātŭ(m)
(cantātŭm)

*/-aːdʋ/ > */-adó/

*/-ad/

-at "-é"
(cantat "chanté")
-ātĕ(m)
(cīvītātĕm)

*/-aːdé/

*/-ad/

-at "-é"
(ciutat "cité")
blĭtŭ(m)

*/blédʋ/ > */blédó/

*/bléd/

blet "betterave"
mūtĕ(m)

*/mʋːdé/

*/mud/

AO mut (1)
"(que je) change"
mūtŭ(m)

*/mʋːdʋ/ > */mʋdó/

*/mud/

mut "muet"
prātŭ(m)

*/praːdʋ/ > */pradó/

*/prad/

prat "pré"







après diphtongue au
cautŭ(m)

*/kawtʋ/ > */kawtó/

*/kawt/

AO caut "prudent"







Tableau ci-dessus : évolution de t devenu final. En bleu : formes verbales.


(1) Au subjonctif : PBremRNov Tu van canson demandan IV, 50 : "Car mos fins cors, ce no·s muda / me dis c’ieu no·m mut" "car mon cœur parfait, qui ne change pas, me dit de ne pas changer"







δ. Cas de c intervocalique latin

Il n'est question ici que de c qui a échappé aux troisièmes palatalisations, donc situé devant -o, -u. (S'il est devant -a, il ne parviendra pas en position finale).


Exemple :


ămīcŭ(m) > (sonor.) */amgó/ > */amig/ > AO amic /amik/ "ami"


(voir les régions à -c final encore prononcé)

Par contre si la consonne est suivie de -a, il n'y aura pas apocope et elle n'a aucune raison de redevenir sourde (ămīcăm > amiga "amie").


Pour les dérivés : fŏcŭs "feu" → afogar "mettre le feu", fogairon "petit foyer", fogau "foyer", foganha "cuisine"... voir ci-dessus l'étude des dérivés.


Cas de -auc- : l'étude de -auc- montre que la sonorisation de c n'a sans doute jamais eu lieu en domaine d'oc (aucăm > auca "oie").

Dérivés dans le cas de -auc- : *traucŭm "trou" → traucar, trauquilhar... Voir ci-dessus l'étude des dérivés de au + consonne sourde.


Exemples :



LPC

LPC, LPT

PO

AO, occitan
-c- (+ o,u)
(intervocalique)
>
-g-
>
-g
>
-c
ămīcŭ(m)

*amigu > *amigo

*/amig/

amic "ami"
dī

digo

*/dig/

AO dic "(je) dis"
*festūcŭ(m)

*festūgu > *festugo

*/festug/

AO festuc "fétu"
fŏcŭ(m)

*fuògu > *fuògo

*/fʋòg/

fuòc "feu"







après diphtongue au
-auc- (+ o,u)
>
-auc-
>
-c
>
-c
*traucŭ(m)

*traucu > *trauco

*/trawk/

trauc "trou"







Tableau ci-dessus : évolution de k intervocalique devenu final. En bleu : formes verbales (ci-dessus).




ε. Cas de s intervocalique latin

Exemple :


nāsŭ(m) > (sonor.) */nzó/ > */naz/ > AO nas /nas/ "nez"


À continuer.


Exemples :


LPC

LPC, LPT

PO

AO, occitan
-s-
>
-z-
>
-z
>
-s
nāsŭ(m)

*/naːzʋ/ > */nazó/

*/naz/

nas "nez"







-d- /ð/
>
-/ð/-
>
-/ð/ >
-s
nūdŭm

*/nʋːðʋ/ > */nʋðó/
*/nʋz/

nus "nu"
vĭdĕt

*/véðé/

*/véz/

ves (HLPA:73)







Tableau ci-dessus : évolution de s et d intervocaliques devenus finaux. En bleu : formes verbales (ci-dessus).





ζ. Cas de f intervocalique latin

Je ne connais pas de cas d'apocope menant au résultat d'un f en position finale, voir évolution de f intervocalique.




η. Cas de la consonne néoformée tz

Voir voyelle + tĭ, tĕ + voyelle et voyelle + c + e / i.



Aboutissement -tz :


LPC

LPC, LPT

PO


AO, occitan
-k- (+ e, i) > -ts'-
-t(ĕ, ĭ)V- > -ts'-
>
-dz'-
>
-dz
>
-tz /ts/> -/s/
dĕcĕ(m)

*/dèdz'è/

*/dèdz/

dètz "dix"
dīcĭt

*/diːdz'ét/

*/didz/

AO ditz, dis "(je) dis"
pălātĭŭ(m)





AO palatz, palaitz
"palais"
plăcĕt

*/pladz'èt/

*/pladz/

AO platz, plas
"(il) plaît"
prĕtĭŭm





pretz "prix"
pŭtĕŭ(m)

*/pódz'ʋ/ > */pódz'ó/
*/pódz/

potz "puits"
spătĭŭ(m)





AO espatz "espace"
Ūcĕtĭŭm





Usètz, Usès "Uzès"
vĭtĭŭ(m)





AO vtz "habitude"







Tableau ci-dessus : évolution de ts' intervocalique devenu final. En bleu : formes verbales.









c. Cas où la consonne latine était explosive sonore ; problèmes d'orthographe


Les consonnes explosives sonores se trouvent par exemple dans cŏrbĕm "corbeille", lŭmbŭm "reins, dos", mŭndŭm "monde", sŭrdŭm "sourd", bŭrgŭm "bourg", gŭrges "gouffre", largŭm "large, copieux", sanguĕm "sang",... la consonne s'est durcie quand elle est devenue finale : elle est devenue sourde. Ainsi on obtient en AO respectivement : cǫrp, lmp, mnt, srt, brc, grc, larc, sanc... La consonne finale sourde était prononcée.


De même pour les groupes secondaires lāridŭm > lardŭm > AO : lart "lard", lūrĭdŭm > *lŭrdŭm > lrt "lourd, bête".



α. Consonne + b, v latins

Pour consonne + v latin, il s'agit quasiment toujours de r ou l + v.


Par ailleurs, deux faits caractérisent l'évolution de v latin : 

- v latin peut s'amuïr au contact de ŭ subséquent (servŭs > serŭs "esclave") ;

- pour v latin après l et r, on assiste fréquemment à une évolution latine de type cŏrvŭs > cŏrbŭs.


Ainsi il existe une double alternance :


- v / après consonne et devant ŭ > -f / - ;

- v / b après l, r > -f / -p.


Cela mène aux trois variantes en couleur dans le tableau ci-dessous (-p-f / -v,  -∅) avec en plus la voie savante (-vi(a)).


Il faut bien constater que -f est peu attesté en AO (tableau ci-dessous), on trouve souvent -v : avec quelle valeur phonétique ? Rejoint-on le problème du statut particulier de v en position finale ? (ci-dessous).




Exemples (voir tous les exemples à évolution latine de type cŏrvŭs > cŏrbŭs) :


LPC

AO, occitan
-Cv-  /Cw/
>
-Cp
-Cv [f?], -Cf
-C
sălvŭ(m)

(adj.) AO salp, saub, salv, salf, sal,
fr "sauf"
cĕrvŭ(m)

AO cȩrp, cȩrv [tsèrf ?], cȩrvi, cȩr



-Cb-
>
-Cp
cŏrbĕ(m)
AO cǫrp "corbeille"
lŭmbŭ(m)
AO lmp, lm "reins, dos ; longe (boucherie)" (1)






Tableau ci-dessus : évolution de "consonne + v, b devenu finaux".

Pour consonne + v :

En bleu : /w/ > /p/ en position finale ;

En vert : /w/ > /f/ en position finale ;

En mauve : aboutissements par amuïssement de v au contact de o, u ;

En rouge : /w/ > /v/ par la voie savante (mots en -i, -ia).


(1) Pour lŭmbŭm > AO lmp, lm, la variante lm provient de l'assimilation mb > mm ("Groupes consonantiques").


 




β. Consonne + d latin


Voir aussi prononciation de nòrd [nòrt].


Exemples :

LPC

PO

AO
-Cd-
>
-Cd >
-Ct
călĭdŭm > căldŭ(m)

*/kald/, */kaʋ̯d/
AO caut "chaud"
grandĕ(m)

*/grand/

AO grant / gran "grand" (1)
lār(ĭ)dŭ(m)

*/lard/

AO lart "lard"
pĕrdĭt
*/pèrd/

AO pȩrt "(il) perd"
tĕndĭt
*/tènd/

AO tȩnt "(il) tend"
vĭr(ĭ)dĕ(m)

*/verd/

AO vert "vert"





Tableau ci-dessus : évolution de "consonne + d devenu final". En bleu : formes verbales.

(1) Pour grandĕm > AO grant / gran, voir ci-dessus alternance de type pon / pont.





γ. Consonne + g latin


Après consonne, le g s'était maintenu, aboutissant à -c, qui n'est plus prononcé actuellement dans notre région :


lŏngŭ(m) > AO lonc "long"

sanguine(m) > *sangue(m) > AO sanc

-ing (suffixe d'origine germanique) > -enc (arlatenc, avinhonenc...)


tengō lat.pop. > AO tenc "je tiens" (GAP:348) ;


plangō > planc / planh (GAP:339) ; dans les verbes en -gĕre > -nher, il y a souvent nivellement en -nh : frangŏ > franh, (GAP:334) ungŏ > onh, (GAP:338), pungŏ > ponh (GAP:341)


burgu(m) > AO borc "bourg"

largu(m) > AO larc "large"



Exemples :


LPC

LPC, LPT

PO

AO, occitan
-Cg-
>
-Cg- >
-Cg- >
-Ck


-ing(o)
-ing

-enc
bŭrgŭ(m)

*burgu > *burgo

*burg

AO brc "bourg"
gŭrgĕ(m) > *gŭrgŭ
*gorgu > *górgo

*górg

AO grc "gouffre"
largŭ(m)
largu > largo

*larg
AO larc "large"
lŏngŭ(m)

*longu > *longo

*long

> AO lonc "long"
plangō
plango

*plang
AO planc "(je) plains"
sanguinĕ(m) > *sanguĕ(m)

*sangue

*sang
AO sanc "sang"

lat.pop. tengō


*tengo

*teng

AO tenc "je tiens" (GAP:348)
*vĕngō
vengo
*/vèng/
AO venc "(je) viens"







Tableau ci-dessus : évolution de "consonne + g devenu final". En bleu : formes verbales.






δ. Problèmes d'orthographe (explosives latines sonores : grand ou grant)

En occitan, la pratique de l'écrit s'est progressivement perdue (surtout au XVe siècle), puis de nombreux mots (sanc, borc, gorc, aglant...) ont perdu la prononciation de cette consonne finale. Mais celle-ci se prononce encore dans certaines régions (-c final, -t final...).


Au XIXe siècle, lorsque les philologues occitans ont réétabli des normes écrites, souvent comme ces consonnes finales ne se prononçaient plus, il n'a sans doute pas été question d'écrire sanc, gorc, aglant. Mais sous l'influence du latin, ou bien du français (lui-même influencé par le latin), on a écrit sang, gorg, agland. Cette attitude n'a pas forcément été consciente ; les graphies mistralienne comme occitane ont donc réadopté la consonne latine.


Je cite PCLO:77,78 à propos des consonnes occlusives :

(j.m.c.g.) "En occitan, cap de mot ["la fin d'un mot"] s’acaba pas foneticament per una consonanta obstruenta (oclusiva o fricativa) sonòra. Pasmens la grafia nòta tot còp en fin de mot de letras que nòtan normalament aquelas obstruentas sonòras (b, d, g, z). Segon lo cas o lo dialècte, aquelas letras son prononciadas sordas ([p], [t], [k] o [tʃ, [s]), o son pas prononciadas. Lo principi de basa que seguiguèt Alibèrt e que contunham d’aplicar per la notacion d’aquelas letras es un principi etimologic : quand la consonanta finala occitana remonta a una sorda latina, es notada sorda. Quand remonta a una sonòra latina es notada sonòra (...)"


Cette façon d'écrire est sans doute raisonnable, mais il ne faut pas oublier :

   - qu'elle court-circuite une partie de l'histoire de l'occitan ;

   - qu'elle est en porte-à-faux au regard des régions où l'on prononce encore la consonne finale.


Certains cas (comme grand ci-dessous) sont complexes.



- Globalement, pour les mots latins en -ndŭm, -ndĕm, avec l'amuïssement de la consonne -t (< -d) de l'AO, la conservation de -t à l'écrit a paru incongruë en occitan moderne, tout comme en français. Une graphie latinisante avec -nd a alors souvent été adoptée (en français : "grand", "gland"). Dans oc monde, les anciennes variantes mn et mnt ont même disparu, pour retourner à un mot plus proche du latin mŭndŭm (phénomène analogue pour le fr "monde"). L'influence du latin ecclésiastique a sans doute joué un grand rôle pour mŭndŭm. Cependant mon "monde" est conservé en g.


- Pour les adjectifs notamment, comme ci-dessus, l'ancienne alternance gran / grant s'efface tardivement au moment de l'amuïssement de la consonne finale, mais l'influence du féminin (granda) favorise le choix de l'orthographe grand (en plus de l'influence du latin). Cependant grant [grãnt] est conservé dans certaines vallées alpines (voir ALF carte 663 : stfi05).



- Pour aglan "gland" (< glans, glandĭs), l'AO présente bien l'alternance CRS aglan / aglant, et l'a.fr. présente bien le seul aboutissement glant. Le choix du français actuel est de faire réapparaître le -d latin à l'écrit. Le DBFP donne aglan, le DOGMO donne aglan, agland. Mais agland a une orthographe influencée par le latin ou le français, et ne correspond à aucune prononciation connue en domaine d'oc (ALF carte 648, TDF). Par contre le mot est prononcé avec le -t dans les vallées occitanes d'Italie (ALF carte 648), et il est conforme à l'histoire de l'occitan. 






d. Cas où la consonne latine était intervocalique sonore

En position intervocalique, les consonnes sonores (b, d, g) étaient déjà certainement des spirantes en latin : β, ð, ɣ. Au moment des apocopes, leur évolution en fin de mot est variable : vocalisation pour b, v, amuïssement précoce pour g, souvent amuïssement ou durcissement en -s pour d.



α. Cas de b, v intervocaliques latins

Ces deux consonnes latines b et v se rejoignent en /v/ au cours du Ier siècle (voir b, waw). Lorsque ce /v/ devient final au VIIe-VIIIe siècle, en occitan, contrairement au français, il ne subit pas un durcissement, mais une vocalisation : vocalisation de -v, exemple : nŏvŭm > oc. nòu, fr. neuf. (Voir à ce dernier lien la liste des mots concernés). Voir waw : v final.


 

Pour expliquer cette différence entre français et occitan, voir mon hypothèse à : cause de la vocalisation de v / b en occitan.




LPC

LPC

PO

AO, occitan
-v- /w/ >
/β/
>
-v
>
-u (vocalisation)
-b- /β/ >
>
>
clăvĕ(m)


*/klav/

clau "clef"
vīvĭ(t)



*/viv/

viu "(il) vit"
trăbĕ(m)



*/trav/

trau "poutre"














Tableau ci-dessus : aboutissement de b, v devenus finaux. En bleu : formes verbales.






β. Cas de g intervocalique latin


Les cas où g latin intervocalique est parvenu en finale sont très rares, puisque la règle générale est l'amuïssement de g devant e, i, o, u. Cependant dans de rares cas (notamment en gascon), le g s'est maintenu, aboutissant à -c :


fāgŭ(m)g hac "hêtre"

Ugo > AO Uc "Hugues"




γ. Cas de d intervocalique latin

Traditionnellement, on considérait que d s'est spirantisé tardivement, mais dans le site je considère plutôt que d intervocalique était prononcé /ð/ dès le LPC.


Positions de Jules Ronjat : dans le cadre de la position traditionnelle sur la prononciation /d/, l'auteur estime que la spirantisation de d intervient "après l'ébranlement de ´o" dans une partie du domaine d'oc, et "après l'ébranlement de ´e" dans tout le domaine d'oc (GIPPM-2:97). Cependant J. Ronjat pense que d intervocalique évolue ainsi : d > /dz/ > XIVe siècle /ð/ (GIPPM-2:94-95). Or il évolue plutôt directement ainsi : d > /ð/. Il explique ainsi nots "nœud", qui proviendrait du dévoisement de /dz/ dans */nódzó/ (GIPPM-2:97).



Le d latin parvenu en position finale donne des aboutissements variables, par exemple pour nōdŭm "nœud" : nos, no, nòi, not, nots, noc.... (ci-dessous).


Pour d : /d/ > /δ/ > /z/. Le durcissement du stade /δ/ produirait /d/, voire /t/, et le durcissement de /z/ produirait /s/.


Par contre si la consonne est suivie de -a, il n'y a pas d'apocope et elle n'a aucune raison de subir le durcissement (nuda, nusa "nue"). Pour les dérivés, mêmes processus que ci-dessus, pour arriver à : AO nudza, nuza "nudité"...



γ1. -dĕ-


Les mots latins pĕdĕm, fĭdĕm, ont abouti à pe, fe "pied, foi" dans tout le domaine d'oc, sauf niç fet "foi" (GIPPM-2:95). Ci-dessous je donne quelques variantes qui ont cependant été recensées.




pĕdĕm "pied"

Pour "pied", voir carte 1012 de l'ALF. On ne trouve en effet que pour tout le domaine d'oc. En AO également, seul pȩ est attesté. Pour le pluriel lang pèses /zes/ "pieds" (ALF), il peut s'agir d'un "pluriel redoublé" : (GIPPM-2:95) « le -s- ne représente pas nécessairement le latin -d-, cf. les pluriels redoublés tels que reises "rois", camises "chemins" ». En dehors de , le TDF donne aussi pèi (auv) ; pès (lim) ; pèu (où ?) ; pèn (niç). En catalan, le mot est peu /pèw/ (voir par exemple la carte 1012 de l'ALF dans les Pyrénées-Orientales), comme grădŭm > grau "degré".


Les mots français "piéton", "piétiner", "empiéter"... ne proviennent pas d'un renforcement d'un -d final, comme le dit H. Gavel dans son développement pourtant intéressant (EEPC:253), mais de pĕdĭtārĕ (FEW 8:128-131, dérivés à partir de 8:301b "peton, piéton... empiéter" : "la forme est souvent influencée par les représentants gallo-romans du dérivé latin de pes, comme par exemple peditare 8:305b-306a). (à continuer).


Concernant les dérivés occitans, on a : AO pezada (> piada) "empreinte de pas", pezana "piétin", pezelhar, pezilhar "gond" (aussi, sans rapport étymologique : pēdŭcŭlŭm > AO pezlh "poux").



fĭdĕm "foi"

Les aboutissements de fĭdĕm sont fe /fé/, mais aussi fet /fét/ (niç, DNF), et en AO sont attestés f, fi (DOM).



Le latin n. fĭdēs, ac. fĭdĕm "foi" a abouti globalement à fe.



laudĕ(m) "louange"

Les aboutissements sont AO lau, laus, laut "los, louange".





vĭdĕt "il voit"


vĭdĕt > */véðé/ > */véz/ > ves (HLPA:73)





γ2. -dŭ-


- grădŭm "marche, degré"


Les aboutissements de grădŭm sont (AO) gra, gran, gras, grat, graze "degré ; chenal". Aujourd'hui, on connaît (pr) gras, (l) grau depuis Aigues-Mortes jusqu'en Catalogne (GIPPM-2:108).


- vădŭm "gué, bas-fond"


Les aboutissements de vădŭm sont gas /gas/, /ga/, güas /gwa/ (art64 "lavoir" carte0755 ALF, voir GIPPM-2:96).


- nōdŭm "nœud"


Les aboutissements de nōdŭm sont (carte0915 ALF) pour résumer :

nos /nʋs/ (pr, l) ;

no /nʋ/ (très fréquent sur une bande horizontale de la Charente à la Savoie ; également côte varoise) (correspond à la graphie étymologisante noud du TDF : Var, d) ;

nòi (bord) ;

not /nʋt/ (béar, Alpes-Maritimes)

nu, nut (béar, la variante nu a une graphie étymologisante dans TDF : nud) ;

nots (notamment dans l'est des Landes, dans l'Ariège et l'Aude) ;

noc /nʋk/ de la Charente à la Vendée, la Vienne, ponctuellement Hautes-Alpes) ;

(d'autres thèmes que nos sont utilisés : les dérivés nosèl, nosèt de l'Aude au Lot-et-Garonne ; grop sur le faîte des Alpes).



- nūdŭm, nūdăm "nu, nue"



- crūdŭm, crūdăm "cru, crue"



À continuer.








δ. Cas des consonnes néoformées dz, dj



À continuer.


-/dj/- > -/tʃ/ (graphie AO -g)


Voir aussi la graphie catalane -ig /tʃ/ : puig /pʋtʃ/ (< pŏdĭŭm).


gaudĭŭm > gaug "joie"

exagĭŭm > assag "essai"

mĕdĭŭm > mieg "demi"

pŏdĭŭm > pueg "puy, colline"

stŭdĭŭm > estug "étui"


Mais :

rŭbĕŭm > roge

*săbĭŭm > sage

sīmĭŭm > singe

(influence du féminin ?)






(tertĭŭm > tèrtz)





e. Alternance de type pon / pont en ancien occitan
 
(partie personnelle, construite le 25/09/18).


α. Constat en ancien occitan
 

On observe en AO une alternance après -n, de type CRS pon / pont pour un groupe de mots, dont voici quelques exemples :


CRS fon / font < fŏntĕm ;

adj.n.i. cen / cent < cĕntŭm ;

CRS (a)glan / (a)glant < glandĕm ;

CRS gran / grant < grandĕm ;

CRP loms / lomps / lombes "reins" < lŭmbōs ;

CRS mercadan / mercadant < *mercātantĕm ;

CRS mn / mnt < mentĕm ;

CRS mn / mnt / mnde < mŭndŭm ;

CRS pon / pont < pŏntĕm ;

CRS pren / *prent < prŏfŭndŭm ;



(remarque : pour les problèmes de fermeture éventuelle de ĕ, ŏ devant n implosif, voir fermeture du timbre devant nasale implosive)


Cette alternance apparaît également en ancien français (a.fr. pon / pont "pont", den / dent "dent",  mon / mont "monde", parfon / parfont "profond", cen / cent "cent"). 


Parmi ces mots, certains proviennent de mots imparisyllabiques latins :


dĕns, dĕntĭs "dent" ;

fŏns, fŏntĭs "source" ;

frŏns, frŏntĭs "front" ;

gens, gentĭs "race" ;

glans, glandĭs "gland" ;

pŏns, pŏntĭs "pont" ;

mens, mentĭs "esprit" ;

mŏns, mŏntĭs "montagne" ;

etc.


D'autres proviennent de mots parisyllabiques :

mŭndŭs, mŭndī "monde" ;

grandĭs, grandĭs "grand" ;

prŏfŭndŭs, prŏfŭndī "profond" ;

etc.


Il est probable que l'alternance CRS pon / pont devait suivre une certaine répartition géographique. Seule une étude approfondie des textes AO pourrait préciser cette idée. Donc, à étudier. On peut



β. Origine de l'alternance
 

1. Imparisyllabiques

 

Les imparisyllabiques sont de type : n.s. pons, ac.s. pontĕm.


Leur évolution linéaire à partir du latin mène à : CSS pons, CRS pont. Voir ci-dessus tableau des formes déclinées.


Mais leur évolution influencée par le schéma général AO CSS murs, CRS mur "mur" mène à : CSS pons, CRS pon. On a donc deux CRS possibles : pont et pon. Je pense que c'est là l'origine de l'alternance de type pont / pon.


CSS pons, CRS pont / pon "pont".


Par l'influence du CRS pont, on pourrait envisager un autre CSS ponts, mais ce dernier semble perdre le t pour des raisons phonétiques (voir juste ci-dessous le type mọnds/mọnts), et on retombe donc sur pons.


Ainsi, l'alternance système de déclinaison du Moyen Âge.



2. Parisyllabiques

 

Les parisyllabiques sont de type : n. mŭndŭs, ac. mŭndŭm.


Leur évolution linéaire à partir du latin aurait mené à : CSS mnds/mnts, CRS mnt "monde".


Mais la forme CSS mnds/mnts a dû perdre facilement d/t (en position extrêmement faible) > mns. Finalement on retombe sur le cas précédent avec pour aboutissement :


CSS mns, CRS mnt / mn "monde".


La troisième variante pour le CRS (mnde) provient peut-être d'une volonté de conserver le d latin, et/ou d'une volonté d'éviter la confusion avec CSS mns, CRS mnt / mn "mont" < mŏns, mŏntĕm. En tout cas, les descendants de glans, prŏfŭndŭs ne montrent pas de telles variantes.




γ. Aboutissements en occitan actuel
 

En OA, les aboutissements de l'ancien paradigme sont variables :


Cas de -nt :

Il y a souvent conservation des CRS et CRP de l'AO mais l'ancienne alternance pon / pont s'efface tardivement au moment de l'amuïssement de la consonne finale dans la plupart des régions, et l'on a choisi d'écrire : s pònt, pl pònts (influence du latin et peut-être de l'orthographe française). Le -t final encore prononcé dans certaines régions (carte) témoigne d'un CRS pont (ou bien d'une réfection plus tardive).


Cas de -nd :


Voir ci-dessus consonnes explosives sonores.




5. Devenir des autres consonnes devenues finales


(à continuer)


a. Le n intervocalique devenu final

Voir n intervocalique devenu final.






C. Chute de la syllabe finale des proparoxytons : l'apocope de type occitan (je l'appelle ainsi)

Voir ci-dessous.





II. Les syncopes

Une syncope est une contraction de syllabe à l'intérieur d'un mot, par disparition de la voyelle. (Voir "transformations phonétiques" : syncope).


Remarque sur les prétoniques

Généralement, en occitan, les prétoniques internes diparaissent par syncope vers le moment des sonorisations (vers l'an 400). En effet certaines variantes dialectales possèdent la consonne sourde déjà sonorisée (sendier), d'autres variantes possèdent la sourde intacte, protégée par la syncope (sentier).


En français, on n'a que "sentier", "santé" : la disparition des prétoniques précède plus nettement les sonorisations (IPHAF:109).


sēmĭtārĭŭm > (AO) sendier / sentier "sentier",

sānĭtātĕm > (AO) sandat / santat "santé".


Voir aussi donzèla, Vinzèla, Colonzèlas / doncèla, Vincelles, La Colancelle...




A. Vue d'ensemble sur les syncopes

Le processus de la syncope s'exerce sur une très longue période de temps : depuis le latin archaïque (syncopes très anciennes de première époque), au latin populaire (călĭdŭs "chaud" > căldŭs) et à l'ancien français (perresil > persil), jusqu'au français actuel parlé : omelette [òmlèt]. Par contre, en ancien occitan et en occitan actuel, la syncope est très marginale.

Au cours de l'évolution du latin vers les langues romanes, la loi de la conservation de l'accent (chapitre sur les voyelles) s'exerce, avec ses exceptions (perturbations de l'évolution de l'accent) : cela mène au fait que les voyelles accentuées ne disparaissent pas. Les autres voyelles (atones) peuvent disparaître ; cela dépend du contexte.


Concernant le français :

(PH-2020:204) « En somme, donc, toutes les voyelles subissent la syncope sauf si elles sont 1° entravées ou 2° toniques ou 3° initiales. Dit autrement, la syncope concerne les voyelles en syllabe ouverte qui sont 1° prétoniques (lib(e)rāre / livrer), 2° posttoniques (lep(o)re > lievre FC lièvre) et 3° finales (3s *torc(e)t > torst FC (il) tord). »



Voyelle prétonique initiale


(GIPPM-1:285)







B. Les différentes phases de syncopes


Des syncopes n'ont pas cessé de se produire depuis le début de l'histoire du latin, ou des langues en général. Elles sont provoquées par la volonté d'accélérer le débit parlé (loi de simplification, apocopes ci-dessus), et en latin s'exercèrent peut-être aussi des lois de limitation rythmiques.



1. Syncopes en latin archaïque

Voir syncopes très anciennes.





2. Syncopes anciennes


On peut distinguer deux ensembles, qui doivent forcément se recouper très largement :

- les syncopes d'époque républicaine (avant -27 avant J.-C.), attestées dans les textes, les commentaires des romains ;

- des syncopes représentées dans toutes les langues romanes (ou presque toutes), donc communes à presque tout l'Empire Romain (voir protoroman).



a. Syncopes attestées à l'époque républicaine


(TMPE:xxi) dans Plaute :


-cŭlŭm > -clŭm :

pĕrīcŭlŭm > pĕrīclŭm ;

sæcŭlŭm > saeclŭm ;

vĕhĭcŭlŭm > vĕhĭclŭm ;

vĭncŭlŭm > vĭnclŭm ; 


-mĭnŭs > -mnŭs :

dŏmĭnŭs "maître" > dŏmnŭs (voir aussi ci-dessous dŏmnŭs comme étymon panroman) ;

lāmĭnă "lame" > lāmnă   (aussi Horace, Odes, II, 2) ;



tĕgŭmĕn, tĕgĭmĕn "ce qui recouvre" > tĕgmĕn ;

călĭdŭs "chaud" > căldŭs ;

sŏlĭdŭs "solide" > sŏldŭs,

vălĭdē "fort, beaucoup" > văldē ;


(aussi : positŭs > postŭs ;

pŏpŭlŭs > pŏplŭs ;

mănĭpŭlārēs "simple soldat" > mănŭplārēs (aussi : mănĭplārĭs Ovide)

dextĕră > dextră ;

altĕrŭm > altrŭm.


(SADP:114), dans Horace (Satires 2, 6, 64) :

lārĭdŭm "lard" > lārdŭm


Dans Caton l'Ancien :

vĭrĭdĭs "vert" > vĭrdĭs.



b. Syncopes panromanes

Je rappelle que ces syncopes panromanes ne sont pas exclusives des syncopes attestées à l'époque républicaine, mais au contraire qu'elles doivent les recouvrir en grande partie.


(SAHC). Les syncopes panromanes : observées en italien et aussi dans la Romania occidentale ´ C1 V C2 V (SAHC:7-8).

a. C1 liquide, glide ou /s/ suivi de C2 moins sonore.

vĭrĭdem > verde, vèrd

merŭlam > merlo, mèrle

eremŭm > ermo, èrme

solidŭm > soldo, sòu

polypŭm > polpo, polpe
colaphŭm > colpo, còp


vogido / vogida > vuoto / vuota ; vuech / vueja

digitŭm > dito, det
frigidŭm > freddo, freg (mais esp. frio < /friido/ : amuïssement de g, SADP:126 note 15)


positŭm > posto, pòste




b. C1 /k/ suivi de C2 latérale

ocŭlum > occhio, uelh

specŭlum > specchio, espelh

pericŭlum > perilh, (mais italien pericolo)

-culum : auricŭla > orecchia, aurelha

+ autres formes blâmées par Prob : angŭlus > anglus (mais italien angolo), tribŭla > tribla, capitŭlum > capitlu, bapŭlo > baplo, mascŭlus > masclus (mais italien mascolo). Il faut probablement voir Prob comme faisant partie d'une œuvre de restauration du "bon parler", qui a en partie réussi.



c. Mélanges

dŏmĭnŭm > dŏmnŭm (mais dŏmĭnĭcŭs, accentué différemment, a bien été conservé pour donner le nom de personne Domèrgue... et aussi dans dĭēs dŏmĭnĭcŭm > dimenge "dimanche)". Voir aussi ci-dessus dŏmnŭs dans Plaute.

dicere > dire, dire

nitidŭm > netto

putidŭm > put "puant" (puzzo < *putium) mais aussi formes non syncopées (??)

putidam > puta, pute.





3. Syncopes plus tardives

(à faire)


Syncopes [consonne-voyelle-CE]


En occitan, le groupe latin [consonne-voyelle-CE] évolue généralement en [consonne-ZE], rarement en [consonne-CE] : AO ẹuse, sauze, sauzeda ; Vinzèla... L'évolution ce > ze témoigne d'une sonorisation (troisième palatalisation), donc la sonorisation s'est réalisée avant la syncope. Il faut noter que derrière une consonne non vocalisée (n), l'emploi de z est obligatoire en occitan pour transcire /z/ : Vinzèla, donzèla. De même en français : "donzelle".


Mais en français, d'après les mots présentés ci-dessous, [consonne-voyelle-CE] évolue généralement en [consonne-CE]. À l'exception de "demoiselle" (et "donzelle" si ce n'est pas un emprunt à l'occitan), les mots sont de type [consonne-CE] : "saussaie" (a.fr. sauçoie, sauçaye), Vincelles... Donc il y a eu d'abord syncope, ensuite sonorisation.


Cŏlōnĭcĕllăs > Colonzèlas ou Coronzèlas (26) "Colonzelle" 

Pour Colonzèlas (26), la syncope semble tardive : elle a eu lieu après la sonorisation, alors que pour "La Colancelle" (58), elle a eu lieu avant la sonorisation, donc c ne s'est jamais sonorisé au contact de n.


*dŏm(ĭ)nĭcĕllăm > AO donzèla / doncèla "demoiselle"

ēlĭcĕm > euse ;

sălĭcĕm > sause ;

*sălĭcētăm > AO sauzeda, fr "saussaie".

*Vīnĭcĕllăm > Vinzèla. (Voir TGF1:396 pour l'ordre sonorisation-syncope).



Syncopes [consonne-voyelle-dūnŭm]


gaul Eburodūnŭm "forteresse de l'if (ou d'un personnage appelé Eburo, l'if ?)" (LNL;12, 14) :

-  > Embrun




C. Influence de la voyelle a sur les syncopes


Voir aussi résistance du -a ci-dessus.



1. Résistance de a post-tonique à la syncope ?


Le a post-tonique dans les proparoxytons (antépénultième) a une légère tendance à résister à la syncope en occitan ; elle est connue pour ralentir la syncope (SADP:115). Mais il faut étudier cette capacité du a de l'antépénultième, et notamment le raisonnement (tortueux) de GIPPM-1 (p. 230 et suivantes). Aussi : SAHC:7.

Exemples ( GIPPM-1:233) :

lapsănă(m) > lassena

lampădă(m) > lampesa alors que limpida > linda [mais influence du masculin limpidus ?]

orgănă (plur. neutre) > orguena.


(SAHC:7) (trad.angl.) "De toute évidence, la voyelle interne post-tonique dérivée de -Ă- est perdue dans certains exemples et est conservée dans d'autres, sans qu'on puisse parler de loi et d'exceptions. Il est plus approprié de parler d'une tendance, sujette à variation au sein même du catalan, ou dans la diffusion lexicale. Il est intéressant de noter que la syncope de -Ă- est régulière en français ; elle est plus largement attestée en occitan qu'en catalan (par exemple, occitan canbe, carbe < CANNABE ; catalan cànem 'chanvre'), et elle est absente de l'espagnol. Il est naturel que /a/, la voyelle la plus sonore, devrait avoir tendance à être conservée alors que des voyelles moins sonores sont perdues."

(remarque : en occitan, on a aussi cannapem > canebe, en espagnol : cannabe > cañamo "chanvre")


2. a prétonique



Le a prétonique résiste en occitan, alors qu'en français (IPHAF:110), il donne ə : ornāmentŭm > ornament, ornement ; *vassalāticŭm > vassalatge, vasselage (mais il y a aussi sans doute un modèle analogique occitan en -ament, et français en -ement).



(IPHAF:320) : "voyelles intertoniques" : résistance du a :

mirabilia > meravilha ;

calamellu > calamèu ;

monasteriu > monastier..<


Verbes :

sēpărārĕ / sēpărăt > sebrar / sebra, français : "sevrer" / "sèvre" : le ă a complètement disparu.

ĭntāmĭnăt / intāmĭnā >




3. Rôle du a final


De nombreux linguistes (ex. : PH:37) ont estimé que -a a accéléré la syncope de la post-tonique : cubitum > coide "coude", debitam > dèuta "dette" (sonorisation de t avant, ou après la syncope). Cependant en occitan c'est discutable : dèute est surtout masculin, < debitum ; d'autre part Yves Charles Morin (SADP:117-119) remet complètement en cause la datation relative des sonorisations par rapport aux syncopes en langue d'oïl, en invoquant un traitement différent selon les zones dialectales et une influence savante pour "dette".



D. Interactions au sein du paradigme (présence ou absence de syncopes)




1. Interactions au sein d'un paradigme de déclinaison (présence ou absence de syncopes)

(À faire : une sorte de nivellement à dû se réaliser au cours du temps, avec un choix sur la forme accusative, ou beaucoup plus rarement nominative... ex : maire/major).

-aire / -ador




2. Interactions au sein d'un paradigme de conjugaison (présence ou absence de syncopes)

a. Vue d'ensemble sur les interactions au sein d'un paradigme de conjugaison (syncopes)

Pour les infinitifs latins à quatre syllabes ou plus, les aboutissements présentent souvent deux variantes (qui dépendent des régions) : la variante non syncopée et la variante syncopée (adjūtārĕ > oc ajudar / aidar). La variante non syncopée semble plus typiquement occitane (type ajudar) ; la variante non syncopée (type aidar) est souvent plus réduite géographiquement et peut témoigner, dans certains cas, d'une francisation parfois très ancienne (à étudier).

Cette évolution décrite ci-dessus semble vraie quelle que soit la longueur de la voyelle prétonique : longue (type adjūtārĕ ci-dessous), ou brève (type *trĕmŭlārĕ ci-dessous). Cela s'explique par les interactions (analogies) des différentes formes conjuguées et infinitives entre elles.



b. Infinitifs à prétonique longue (adjūtārĕ)

Dans l'infinitif latin, un nombre de syllabes supérieur ou égal à quatre peut entraîner une syncope de la prétonique, comme en français : adj(ū)tārĕ > aidar "aider". Mais l'effet analogique des formes rhizotoniques (adjūtăt "il aide") peut empêcher cette syncope de se réaliser. De ce fait, on a souvent deux variantes en AO


- variante syncopée : type aidar (-djd- > -id-). C'est la forme obtenue par influence des formes téléotoniques sur les formes rhizotoniques :

adjūtā > oc aidar "aider", adjūtāmus > oc aidam "nous aidons"   =>   oc aida "il aide"


- variante non syncopée : type ajudar. C'est la forme obtenue par influence des formes rhizotoniques sur les formes téléotoniques :

adjūtăt > oc ajuda "il aide"   =>   oc ajudar "aider", ajudam "nous aidons"


Voir les interactions :

- entre ē tonique et ē prétonique ;

- entre ī tonique et ī prétonique ;

- entre ū tonique et ū prétonique.



c. Infinitifs à prétonique brève (*trĕmŭlārĕ)

Pour les infinitifs à quatre syllabes ou plus, avec une voyelle prétonique brève (ŭ dans trĕmŭlā), à nouveau, on obtient souvent deux variantes régionales. Il est remarquable que dans ce type, aucune forme latine ne porte l'accent sur la prétonique brève de l'infinitif. Mais cette voyelle brève (soit ĭ, soit ŭ, voir aphonies) est "sauvée" en occitan, dans les formes non syncopées par le basculement d'accent (mastĭcăt > mastega, d'où mastegar).

Voir le type mastega ci-dessous : on obtient souvent deux variantes (non syncopée et syncopée).


Par exemple :

- variante syncopée : type tremblar. C'est la forme qui respecte l'accent tonique : *trĕmŭlārĕ> tremblar "trembler" ; *trĕmŭlăt > trèmbla "il tremble".

- variante non syncopée : type tremolar. C'est la forme qui respecte les syllabes, aux dépens de l'accent tonique : *trĕmŭlăt > (évolution avec basculement d'accent) tremola "il tremble", influence sur l'infinitif => tremolar "trembler".







III. Évolution des proparoxytons latins


(GIPPM-1.227-271)

Certains des phénomènes traités ici sont mal connus, et leur étude est délicate. Quelques articles récents en traitent, mais ils proposent des théories parfois contradictoires (SADP, SAHC pour le catalan, SSÉPO).



A. Vue d'ensemble sur l'évolution des proparoxytons



1. Proparoxytons dans les langues romanes actuelles


En occitan comme en français, il n'existe aujourd'hui plus de proparoxytons, alors qu'ils étaient très nombreux en latin. Par contre en italien, en roumain, et dans une moindre mesure en espagnol, en portugais, les proparoxytons latins sont souvent conservés dans leur structure syllabique et accentuelle. Ce trait confère à ces langues une tonalité chantante pour un français, qui existait forcément en latin dans tout l'Empire Romain (voir l'accent latin).


En catalan, il existe encore quelques centaines de proparoxytons, mais en catalan de France (roussillonnais), ils ont disparu par l'influence du français et de l'occitan languedocien (PHR:11 ; la seule exception est ánima /animə/ "âme", quand le mot est conservé).


Je cite F. Biville PCADEG:205 : "Les syncopes n'ont pas affecté toutes les langues romanes qui, de ce point de vue, se divisent en deux groupes : l'italien, le roumain et le rhéto-roman ont conservé les voyelles post-toniques qu'ont perdues l'émilien, le rhéto-roman occidental, le gallo-roman et l'ibéro-roman." (Mais l'ibéro-roman contient beaucoup de proparoxytons, pour le castillan : ánimo, árabe, brújula, cámara, círculo, espárrago, miércoles, sábado... mais alma, domingo, obispo...)

L'évolution en gallo-roman est peut-être due à l'influence des francs.


"Ce qui est toutefois déterminant pour comprendre ce qui s’est passé, ce sont les écrasements phonétiques que le très fort accent tonique du proto-ancien français (que certains attribuent à l’influence du superstrat franc) a fait subir aux mots, au point de les transformer tous en formes oxytoniques et paroxytoniques dans un premier temps, puis toutes oxytoniques dans une seconde étape (beaucoup plus tardive), par chute du schwa final dans la prononciation." (André Thibault, Master LFA sur internet, trouver d'autres sources).



L'occitan et le français sont donc semblables sur l'accent des mots, en dehors du basculement d'accent pour l'occitan décrit ci-dessous.


Le français est devenu récemment oxytonique :

Récemment, le français est devenu une langue oxytonique par l'amuïssement du schwa ("la femme" /la fam/). Le français parlé avec l'accent méridional est d'ailleurs caractérisé entre autre par la conservation du schwa, et aussi l'absence de syncopes : "des petites parts d'omelette" [dé ptit par dòmt] ; avec l'accent méridional : [dé pëtitə par dòmətə]. (Voir aussi nasalisation partielle en occitan).



Réarrangement de certains infinitifs (devenus proparoxytoniques en latin vulgaire)

(GAP:41, PHR:13)

(Pour le moment, je ne sais pas trop où placer cette partie. Je la place ici provisoirement.)


En gallo-roman, de nouveaux infinitifs proparoxytoniques sont apparus : *mŏvĕrĕ, *dēbĕrĕ, *vĭdĕrĕ... à partir des paroxytons du latin classique mŏvērĕ, dēbērĕ, vĭdē. Ils ont été calqués sur le modèle des autres infinitifs proparoxytoniques.


Aussi : *sŭbmŏnērĕ > *sŭbmŏnĕrĕ (> somọndre "semondre (inviter)").


Remarque : le type *plăcĕre est remis en cause, voir l'étymologie de oc plaire.


Autre exemple :

mŭlgē "traire" a dû être aligné sur les paroxytons ēr(ĭ)gĕrĕ "mettre droit", pŏrr(ĭ)gĕrĕ "diriger en avant", spargĕrĕ "jeter çà et là", sŭrgĕrĕ "se lever"..., d'où le nouvel infinitif mŭlgĕrĕ. Voir verbes en -lgĕrĕ, -rgĕrĕ.




2. Tendances générales de l'occitan par rapport au français (pour les proparoxytons)


La disparition des proparoxytons a souvent suivi deux voies différentes pour le français et pour l'occitan. Voici trois idées générales que je dégage pour l'occitan comparativement au français :



a. Évolution non syncopée de certains proparoxytons en occitan (apocope de type occitan)


L'idée majeure est que certains proparoxytons latins n'ont pas subi la syncope des post-toniques en domaine occitan, mais ils ont subi l'apocope : l'apocope de type occitan (développée ci-dessous). En français, la syncope est systématique. Par exemple :


syncope en français : ăsĭnŭ(m) > asne > âne (disparition de ) ;

apocope en occitan : ăsĭnŭ(m) > asen > ase (disparition de ) ;


syncope en français : crēscĕrĕ > croître (disparition du ĕ central, voir évolution de ske) ;

apopope en occitan : crēscĕrĕ > crèisser (disparition du ĕ final).


Les "absences de syncopes" ci-dessus,  ne sont pas encore claires à l'heure actuelle. On peut reconnaître deux théories dans les recherches linguistiques. Il s'agit soit de "véritables absences de syncopes" (théorie de l'optimalité), soit de "fausses absences syncopes" (théorie du e épenthique). (Liens à ajouter). Dans un premier temps, j'admets qu'il s'agit de réelles absence de syncopes.



b. Basculement d'accent pour certains proparoxytons en occitan : type pibola et type mastega


Ce phénomène affecte l'occitan, mais aussi le francoprovençal et certains dialectes bourguignons (ci-dessous).

Pour certains proparoxytons, on constate que l'accent tonique a basculé de l'antépénultième à la pénultième. Ce phénomène affecte essentiellement les féminins (type pibola "peuplier") et certains verbes conjugués (type mastega "il mâche").


Par exemple pour le type pibola "peuplier" :


ăsĭnă(m) > asena "ânesse", alors que ăsĭnŭ(m) > ase "âne" ;

pĭpŭlă(m) > pibola "peuplier", alors que pĭpŭlŭm > pibol "peuplier" ;

tĕpĭdă(m) > AO tebéza "tiède (fém)", alors que tĕpĭdŭm > tébe "tiède (masc)" ;

lacrĭmă(m) > lagrema "larme".


Pour le type mastega "il mâche", il s'agit sans doute d'un processus identique :

mastĭcăt > mastega "(il) mâche" ;

*trĕmŭlăt > tremola "il tremble".


Jules Ronjat traite le problème, mais il ne considère pas d'unité dans ces formes. Par exemple pour le type tĕpĭdăm, il s'agirait de "mots de deuxième couche", c'est-à-dire entrés tardivement dans la langue populaire de Gaule (GIPPM-1:252). Je ne pense pas qu'il s'agisse de "mots de deuxième couche", mais plutôt de mots ayant suivi une évolution typiquement occitane.



Voici mon explication (à continuer) :



(1) L'apocope ne peut pas se réaliser car le féminin ne peut pas perdre le -a, de même que les formes conjuguées (résistance du a final ci-dessus). L'apocope des proparoxytons latins féminins (et formes conjuguées) est donc impossible : *asena "ânesse" ne peut pas perdre le -a, alors que *aseno > asen ; mastĭcăt (avec chute de -t) > mastega "il mâche", mastĭcăs > mastegas "tu mâches".


(2) La syncope ne peut pas se réaliser en raison de contacts consonantiques incongrus dans les paramètres linguistiques de l'époque. En français, où la syncope est généralisée, la syncope s'est produite.


En raison de ces deux contraintes, et en raison de la disparition des proparoxytons, l'accent tonique s'est déplacé sur la pénultième.


Mon explication souffre certains contre-exemples :


- ci-dessus *pīpŭlăm > pibola aurait pu aboutir à pibla (variante d'ailleurs attestée en pr.ma. et lim. Le contact b-l n'est pas forcément incongru (muta cum liquida), et pourtant la syncope n'a pas eu lieu dans pibola "peuplier" ; cette particularité font dire à certains que le mot a subi une influence savante, mais ce n'est pas mon opinion (voir ci-dessous nívol, pibola) ;


- certains masculins ont subi le même type d'évolution : cannapem > canebe "chanvre" (voir proposition d'explication GIPPM-1:236), persĭcŭm > persegue "pêche (fruit)".


Remarque : traiter les dérivés (asenon "ânon", gramenet "petit chiendent", grameniera...)



Basculement d'accent en franco-provençal et en dialecte bourguignon

Gĕnăvă > fr.pr. Genèva > Genève (a.fr. Genvre)

fabrĭcă(m) > fr.pr. Favèrjas "Faverges" (74).



Le même basculement d'accent existe en franco-provençal et en dialecte bourguignon. Cela a été largement ignoré des linguistes, au point de prendre "Genève" pour une forme française, alors qu'elle est franco-provençale. La forme française est a.fr. Genvre, Genvres (voir ci-dessous Gĕnăvă). Cette méprise a conduit DFL, pourtant excellente référence, à donner la forme latine erronée Gĕnā, alors qu'il s'agit de Gĕnăvă : on a affaire à un proparoxyton. Le nom latin de la ville est finalement très proche de Gĕnŭă "Gênes", variante latine que César emploie aussi pour "Genève". Le nom latin de la ville est connu essentiellement à partir de De bello Gallico de César, écrit en prose. Ce n'est donc pas la prosodie qui a permis de reconstituer les quantités vocaliques, mais un raisonnement à partir des formes actuelles. Pour Genava, le raisonnement a été faux. (Voir comment connaît-on les quantités vocaliques ?).



 (DSPO:4, LGM132).



Type pibola (< *pīpŭlăm)

Par exemple pour le type pibola "peuplier" :


ăsĭnă(m) > asena "ânesse", alors que ăsĭnŭ(m) > ase "âne" ;

pătĭnăm > (l) (g) padena "poêle" ;

pendŭlă(m) "pendante" > pendola "râtelier suspendu... ; escarpolette" (probablement existait-il aussi un verbe latin *pendŭlārĕ ci-dessous) ;

pĕrtĭcă(m) > AO pertẹga "perche" ;

pĕtrĭcă(m) > AO peirga "grêle" ;

pĭpŭlă(m) > pibola "peuplier", alors que pĭpŭlŭm > pibol "peuplier" ;

tĕpĭdă(m) > AO tebéza "tiède (fém)", alors que tĕpĭdŭm > tébe "tiède (masc)" ;


lacrĭmă(m) > lagrema "larme" ;

fabrĭcă(m) > fabrega "forge" (voir aussi n.d.l. fr.pr. Favèrjas "Faverges").

(ces derniers cas sont plus complexes car il y a une muta cum liquida, mais le fr a l'accent sur la première syllabe : "larme", "forge").




Type mastega (< mastĭcăt)

Pour les formes conjuguées, le basculement d'accent de l'antépénultième vers la pénultième a mené à de nombreuses formes comportant une syllabe de plus que le français (ci-dessus : nombre de syllabes), même si dialectalement on trouve souvent une autre forme syncopée (ci-dessus : paradigme de conjugaison).



aestĭmăt > estima, " il aime" (p.p. : il esme)

bŭllĭcăt > bolega, "(il) bouge"

*excŏrtĭcăt > escortega "(il) écorche" (aussi AO (il) écorce")

*gĕmĭcŭlăt > *gemegola > (syncope, ge > gi) gingola "(il) gémit"

intāmĭnăt > entamena, "(il) entame"

mastĭcăt > mastega, "(il) mâche"

*pendŭlāt > pendola "(il) pendille ; (il) suspend"

*trĕmŭlăt > tremola, "(il) tremble"

*rōdĭcăt > rosega, rosiga, "(il) ronge" (a.fr. rugier) (alors que "ronger" < rongier < *rōdĭcārĕ x rūmĭgārĕ)

rūmĭgăt > romega, romiga, romia "(il) rumine" (a.fr. rungier)

sēmĭnăt > semena, samena "il sème"

strangŭlăt > (pr.ma., g, auv,...) estrangola "il étrangle"


Ces types ont influencé les infinitifs, d'où bolegar "bouger", mastegar "mâcher", tremolar "trembler", rosigar "ronger"..., qui comportent aussi une syllabe de plus qu'en français.


Par contre, certains verbes occitans ne présentent que la variante syncopée :

*rŭmĭcĭăt > ronsa "(il) jeter, (il) lance" alors qu'on a rŭmĭcĕm > romese ci-dessous.




Basculement d'accent dans les masculins

Certains mots masculins, bien plus rares que les féminins, présentent aussi un basculement d'accent :


*cannăpĕm > canebe "chanvre", à côté de cambe, carbe... (pour le premier e dans canebe, voir ).


Ce type de basculement est noté en particulier en dauphinois (dialecte de la Drôme) (FEW 6/1:654b, CNRTL "mélèze") :

rmĭcĕm > romese "ronce ; ronce bleue" ;

*mĕlĭcĕm > melese "mélèze".




c. Diversité des évolutions en domaine occitan



La situation est variable selon les régions du domaine d'oc, ce qui accentue la fragmentation dialectale et rend complexe une généralisation, voire l'élaboration d'une norme de l'occitan. Par exemple :


Pour certains mots, l'évolution mène à des variantes non syncopées ou syncopées selon les régions : ăsĭnŭ(m) > type ase (pr, l, béar) ; type aine (lim, d, g).


Pour certains verbes, les interactions au sein d'un paradigme de conjugaison (ci-dessus) mènent à des variantes non syncopées ou syncopées selon les régions : ajudar/aidar, tremolar/tremblar.





B. Chute de la syllabe finale des proparoxytons : l'apocope de type occitan (je l'appelle ainsi)
  

Il s'agit de l'évolution des formes occitanes non syncopées, que j'appelle apocope de type occitan. Elle caractérise nettement l'occitan par rapport au français (ci-dessus) ; elle concerne également le catalan (jŭvĕnĕm > jove), et elle a une évolution plus poussée par rapport à l'espagnol (jŭvĕnĕm > esp joven) et aux langues rhéto-romanes (jŭvĕnĕm > fri zovin, ğovinrom giuven).



1. Mise en évidence de l'apocope de type occitan

Pour l'occitan, on peut prouver facilement qu'il existe une apocope particulière qui se rajoute à la précédente, quasiment inconnue en français : la chute de la dernière syllabe dans les proparoxytons, comme dans : 


ăsĭnŭ(m) > ase "âne"


ăsĭnŭ(m) > ase "âne" ;

jŭvĕnĕ(m) > jove "jeune" ;

*nībŭlŭ(m) > nívol /nivo/ "nuage" ;

crēscĕrĕ > crèisser /krèysé/ "croître" ;

fŏrfĭcēs > fòrfes "forces" (ciseaux à tondre)...



Jules Ronjat n'utilise jamais le mot "apocope" (GIPPM-1, GIPPM-2) ; mais il emploie l'expression "formes non sincopées [sic]" pour cette série de mots occitans. Quelques auteurs plus récents emploient bien "apocope" pour caractériser ces mots (SAHC, MystSAndF). Il s'agit de formes qui ont échappé à la syncope, puis qui ont subi une "apocope poussée". J'emploie dans le site "apocope de type occitan", en précisant "type ăsĭnŭm", "type nībŭlŭm"...



Remarque : dans la forme AO de type CRS mn (< mŭndŭm) "monde", il semble qu'il y ait une apocope de la dernière syllabe latine, mais le phénomène est différent : voir ci-dessus alternance de type mon/mont.






2. Scénario de l'apocope de type occitan
  

Cette apocope de type occitan s'est en fait déroulée en deux étapes, dont la première est l'apocope "normale" (ci-dessus B. Chute de la voyelle finale).




a. Conditions de l'apocope de type occitan
  

Ce type d'évolution a été étudié par certains linguistes, notamment Jules Ronjat (pour l'occitan : GIPPM-1:227-271) et bien plus tard Max Wheeler (pour le catalan : SAHC pour le catalan).


Selon Jules Ronjat, trois situations peuvent empêcher la syncope :

- (GIPPM-1:231) (r.g.f.d.a.) "La pénultième est maintenue entre des consonnes impropres à former un groupe, tandis qu'elle tombe entre des consonnes susceptibles de s'unir en un groupe après syncope [...] (1)"

- Puis p. 232 : "Outre les causes phonétiques qui viennent d'être résumées [...], le maintien de la pénultième peut être dû à l'analogie ; comme on le verra par la suite, il est souvent fort difficile de faire le départ entre ces deux ordres de faits [...]". (ex : p. 251 : pessègue (< persicum) refait sur pesseguier (< persicārium).

- Enfin (p. 232) : "D'autre part, la pénultième est maintenue dans des mots de deuxième couche, (v. §§ 140-2) qu'on ne parvient pas toujours à distinguer des mots du vieux fonds héréditaire."


(1) L'auteur continue sa phrase en mentionnant de façon peu claire des paroxytons en -r au nominatif, mêlés à des proparoxytons de type infinitif en -ĕrĕ :

"et de même dans les paroxytons -er, -or reste ou devient *-r̥  > -r- (§ 129) : plangere > plánher ~ *-nger > plagne ~ -nge, cicer > cézer > cese, senior > sénher > segne ; rump(e)re > roumpre, cin(è)recè- ~ cendre, semper ~ sè- ~ sempre, minor > mendre."






b. Les deux étapes de l'apocope de type occitan
  
α. Première étape : apocope de la voyelle finale latine
  

Par exemple pour les proparoxytons en -nŭ(m), les premières formes écrites de l'AO montrent que le n était conservé en finale : asen (< ăsĭnŭm) est attesté en hapax (Graulhet, Tarn, année 1090, in ACLP), joven "jeune" (< jŭvĕnem), omen "homme" (< hŏmĭnĕm), Roden (sans doute /ròðén/) "Rhône" (< Rhŏdănŭm) sont attestés dans SFoi. (Pour Rhŏdănŭm, la transformation ă > e sera discutée plus loin : où ?). Ces mots occitans étaient des paroxytons, probablement plus ou moins nasalisés en finale, et ils ont abouti à OM ase, jove, òme, Ròse.



L'étape */azénó/ > */azén/ relève donc du même processus que B. Chute de la voyelle finale ci-dessus, puisque ăsĭnŭ(m) évolue de cette façon :

(1) ăsĭnŭ(m) > asen


Plusieurs langues sont restées à ce stade, notamment les langues rhéto-romanes : ci-dessous.


Scénario :


ăsĭnŭ(m) /asinʋ/ > */asénʋ/ > */azénʋ/ > */azénó/ > asen /azén/

Variante possible : */azénó/ > */azənə/ > /azén/

(cette variante est donnée pour le catalan dans SAHC).


Autre scénario possible : voir juste ci-dessous.





β. Seconde étape : apocope de la consonne devenue finale
  

Une étape plus tardive se rajoute : l'apocope de -n :


(2) asen > ase  (XIe siècle)




Quelques cas existent en français :


Par exemple pour angelum > "ange", je cite CNRTL "ange" :

(j.d.l.a.) "Angele suppose un latin proparoxyton où la pénultième atone a été conservée (en raison du caractère savant du mot et probablement aussi en raison de la complexité du groupe consonantique qu'aurait entraîné la syncope) ; après chute régulière de la voyelle finale, la consonne intervocalique, devenue finale derrière voyelle inaccentuée, ne tarda pas à s'amuïr; angele n'a été dès lors qu'une graphie traditionnelle ne comptant que pour deux syllabes"




c. Évolution de la voyelle post-tonique (exemple : ĭ dans ăsĭnŭm)
  

Il s'agit ici de comprendre l'évolution de la voyelle post-tonique, par exemple ĭ dans ăsĭnŭm, ă dans Rhŏdănŭm.



α. Possibilité d'une syncope suivie d'une épenthèse ?
  

L'étape (1) ci-dessus suppose qu'il n'y a pas eu de syncope dans les proparoxytons.


Pour cette étape (1), on pourrait envisager un autre scénario : syncope puis épenthèse de /é/ dans */azéno/.


Dans ce cas, on attribue à n une valeur de syllabe :


*/azénó/ > (syncope) */aznó/ > (apocope normale) */az/ > (épenthèse) /azén/

n est une sonante, donc cette consonne peut jouer le rôle d'une syllabe. Le é dans /azén/ serait alors un é épenthique


Ce scénario, quoique peu probable, doit quand même être étudié. Il m'a été inspiré à la lecture de SSÉPO. Patrick Sauzet et Guylaine Brun-Trigaud proposent un scénario analogue pour une évolution des muta cum liquida au moment des syncopes (SSÉPO:10-11) :

nĭgrŭm > /nég/ > oc.gén. negre [négré] / g neguer [négé] "noir"

([é] final est épenthique dans ce scénario ; il se place derrière r en oc.gén. ; devant r en g, où le -r finit par s'amuïr).


Voir aussi GIPPM-2:232 : "cap(e)re > *cabre > *cab (note : Stade abondamment attesté au moyen âge) > caber > cabe". Jules Ronjat étudie ce phénomène au sujet des métathèses fréquentes en gascon (type cabra > craba), mais l'évolution qu'il décrit pour cap(e)re montre nettement une apocope au stade *cab. Voir aussi GIPPM-2:404 où J. Ronjat tente d'expliquer pourquoi on a eu praube < pauperu (avec la métathèse), mais non crabe < *cabre (< capere) : "dates différentes d'amuïssement des posttoniques".


Concernant les proparoxytons, a priori ce scénario est possible chaque fois que la consonne concernée est sonante.


En conclusion, je ne pense pas que ce scénario se réalisât pour les proparoxytons (type */azéno/). Cela pour deux raisons :

- En admettant que ce processus fonctionnât pour nĭgrŭm, l'oc.gén. montre que le e épenthique se place derrière r (/nég/> negre) ; il serait donc curieux qu'il se place devant n dans */az/ et dans de nombreux autres cas ;

- L'étude des voyelles post-toniques ci-dessous, notamment la voie "e" (ase) et la voie "o" (nívol) permettent d'envisager un scénario cohérent de conservation de ces voyelles, ci-dessous.



β. Y a-t-il eu affaiblissement de la voyelle post-tonique ?
  


Pour les mots ayant subi l'apocope de type occitan, pour l'occitan comme pour le catalan, on observe que la voyelle post-tonique latine est devenue aujourd'hui soit e, soit o, jamais une autre voyelle.


Exemples pour e : ăsĭnŭm > ase "âne", Rhŏdănŭm > Ròse "Rhône", crēscĕrĕ > crèisser /krèysé/ "croître" ; et (avec basculement d'accent) : lapsănăm > lassena "moutarde des champs",  ăsĭnăm > asena "ânesse"...


Exemples pour o : nūbĭlŭ(m) > *nībŭlŭ(m) > nívol "nuage", *cōtŭlŭ(m) > còdol "caillou" ; ces deux derniers mots sont obtenus par héritage, alors que pour ăpŏstŭlŭ(m) > apòstol "apôtre", căpĭtŭlŭm > capítol "chapitre", l'évolution est demi-savante : le p intervocalique latin est intact (il n'est pas sonorisé), mais ŭl évolue en ol.


Position générale des linguistes


Les linguistes n'ont :


  - les mots avec e montrent qu'il y a eu affaiblissement de la voyelle post-tonique latine, c'est-à-dire qu'on obtient e (souvent considéré comme un schwa [ə] supposé en latin parlé), quelle que soit la voyelle latine de départ ;

  - les mots avec o montrent une évolution de type savant, c'est-à-dire que la syncope est évitée en raison du caractère savant du mot, et le o est ainsi conservé (avec ŭ > o).


Jules Ronjat (GIPPM-1:231) "Timbre des posttoniques maintenues. — [...] À part les mots en -o ~ -ou ~ -oul, -oulo ~ -a ~ -e, -i < -ulu, -ylu examinés au § 140 [...], toute pénultième latine (devenue, sauf les cas très rares signalés § 409, tonique ou finale rom.) passe uniformément à e, exemples c- ∼ chance, plagne ∼ -nge < cancere, plangere, prov. pessègue, aq. persèc ∼ pressèc ∼ pessèc, auv. persèjo < persicu, -a, prov. conse < cōnsule, lasseno ∼ -a ∼ -e < lapsana, Rose, orgue < Rhodanu, organu, prov. canebe, luch. cànep < cannape. De même cese, segne < cicer, senior."


Voyelles e, i, o, u :

Pour le catalan, langue très proche de l'occitan, Max Wheeler suppose que les voyelles latines post-toniques e, i, o, u ont évolué en [ə] : les mots reconstitués, intermédiaires entre le latin et le catalan, sont supposés avoir une "vowel reduction of post-tonic non-low vowels to [ə]" (1) (SAHC:5). Par exemple le premier e dans : juvenes > *[djovənəs] > jóvens "jeunes". Cette évolution aurait généralement mené à la disparition de [ə], c'est-à-dire à des syncopes : (SAHC:4 à propos de the rule of vocalic apocope−syncope) (trad.angl.) "Le procédé a éliminé la majorité des cas de voyelle centrale post-tonique ([ə]) dérivant de /e/, /i/, /o/, /u/ du latin vulgaire, et ainsi considérablement réduit le nombre de syllabes dans les entrées lexicales." Mais dans certains cas, on obtient des mots catalans en -ol (ci-dessous).


(1) L'expression vowel reduction signifie généralement "apophonie", mais ce mot est lui-même ambigu (voir apophonie). L'auteur estime qu'il s'agit d'une évolution vers [ə] (mais justement ci-dessous j'estime qu'en occitan se sont réalisées des néo-apophonies, menant non à [ə], mais à [i] ou [u]). Concernant les low vowels, voir ci-dessous voyelle a (les low vowels sont les différentes formes de a).


Voyelle a :

Antoine Thomas propose une règle d'affaiblissement a > e en occitan (EPF:213-214, à propos de l'étymologie de aise) :

"On nous permettra donc de mettre en pleine lumière une particularité intéressante de la phonétique non encore étudiée. On peut poser la règle suivante :

A posttonique dans les proparoxytons s'est affaibli en e dès la période primitive ; et les traitements qu'il peut subir ultérieurement sont les mêmes que ceux de l'e dans les mêmes conditions."


Remarque : pour a prétonique interne, il reste a : ornamentu(m) > ornament "ornement", armatura(m) > armadura "armure" (ancien français armeüre : a était affaibli en e).


Remarque sur ALLRL :

À la première lecture, l'article ALLRL de Romain Garnier laisse penser que le latin parlé affaiblissait /ə/ toute voyelle post-tonique dans les proparoxytons. Mais en fait cet article ne traite visiblement que du latin archaïque. ALLRL:4 : "D’un point de vue phonétique, la voyelle syncopée est toujours un simple schwa : il n’y a pas syncope d’une voyelle /ĭ/, /ŭ/, ni /ĕ/, mais requalification d’un schwa mobile en schwa quiescent, soit le type lat. *spondĭtor /spón.dǝ.tor/ [ ´ ᴗ ᴗ ], acc. sg. sponsṓrem /spṑ.sṓ.rĕ/ [ ` ´ ] (< *spòndĭtṓrem /spòn.d(ǝ).tṓ.rĕ/ [ ` () ´ ]), par le biais d’une prononciation allégro." Aussi, p. 6 : "*stērŭla /stḗ.rǝ.lă/" (> stēlla). Il explique ainsi des étymologies du latin classique (sponsor, stēlla), qui sont le fruit d'eu-apophonies poussées à leur maximum, c'est-à-dire la syncope (syncopes très anciennes de deuxième époque).



Nouveau raisonnement

Raisonnement prédictif : Quelles sont les voyelles post-toniques d'origine latine qu'on peut trouver en occitan ? Si on considère la voyelle post-tonique d'un proparoxyton latin, celle-ci ne peut être que brève : ă ĕ ĭ ŏ ŭ (règle 3 de l'accent). Comme elle est atone, elle obéit à la fermeture des atones, donc ĕ et ŏ évolueront en é et ó, et se confondront avec les aboutissements de ĭ et ŭ. Donc au final, si la post-tonique demeure, elle ne pourra être que [a], [é] ou [ó].


Confrontation avec les faits : Dans les mots provenant d'une apocope de type occitan, on ne trouve que deux voyelles post-toniques occitanes : [é] et [ó] ; le [a] n'est jamais représenté.

 

- Parfois elle est différente de la voyelle actuelle :

Rhŏdănŭm > Roδen > Rose "Rhône" : cela pourrait être un argument en faveur de la disparition de a puis de l'épenthèse de e.



- Parfois c'est la même que dans la voyelle actuelle :

*nībŭlŭ(m) > *nivolo > nívol : cela est un argument en faveur de l'absence de syncope.



Max Wheeler signale que les voyelles post-toniques sont toutes passées à [ə], et pourtant il signale bien les mots catalans en -ol (àvol < hăbĭlĕm, frévol < flēbĭlĕm, grèvol < acrĭfolum, nuvol < nūbĭlĕm...) (SAHC:14-15), sans expliquer l'origine du o dans -ol.


Théorie des néo-apophonies très étendues en latin populaire

La proposition ci-dessous est complètement personnelle.


Dans le latin parlé de Gaule, il me semble qu'on peut étendre le système des néo-apophonies dans les proparoxytons. Ces néo-apophonies étaient rarement écrites, mais existaient essentiellement dans le langage oral.

Voir mots apophoniques "cachés" du latin vulgaire.





3. Apocope de type occitan par rapport aux autres langues romanes


a. Apocope de type occitan et syncope française

Par rapport au français, l'occitan se différencie nettement pour les mots étudiés ci-dessus (ase / âne, Ròse / Rhône, crèisser / croître...).

Au niveau du paradigme des noms, je propose le tableau suivant pour illustrer l'exemple des aboutissements de ăsĭnŭs, en occitan et en français.


latin
apocopes
français et occitan
ăsĭnŭs
>
CSS  t.a.oc. asens
               ↓syncope fr.

asnes
>
CSS  t.a.fr. asnes




ăsĭnŭ(m)
>
CRS  t.a.oc. asen > oc. ase
               ↓syncope fr.

asne
>
CRS  t.a.fr. asne > fr. âne




ăsĭnī >
CSP  t.a.oc. asen
               ↓syncope fr.

asne
>
CSP  t.a.fr. asne




ăsĭnōs
>
CRP  t.a.oc. asens > oc. ases
               ↓syncope fr.

asnes
>
CRP  t.a.fr. asnes > fr. ânes




Tableau ci-dessus : évolution comparée du paradigme de ăsĭnŭs en occitan et en français.

Voir les explications dans les paragraphes précédents.

On voit que la syncope systématique du français s'est bien réalisée, mais que la syncope ne s'est pas réalisée en occitan.


Dans l'exemple de ăsĭnŭs, l'a.fr. asne ne pourrait pas subir l'apocope car asn serait imprononçable, du moins dans les paramètres linguistiques de l'époque. On aurait alors -u > /ə/. (À revoir).
Pour le français, il est possible aussi d'imaginer une alternative *asn /az/ > asne (-e épenthique).

Pour l'occitan, il est possible d'imaginer une alternative *asn /az/ > asen (-e- épenthique, avec un emplacement différent du français).



b. Apocope de type occitan : évolutions apparentées dans les langues voisines

Catalan
Le catalan suit la même évolution que l'occitan : (ăsĭnŭm > cat asejŭvĕnĕm > cat jove, crēscĕrĕ > cat créixer), mais il conserve encore certains proparoxytons (ci-dessus).


Langues rhéto-romanes
Les langues rhéto-romanes montrent seulement la première étape (ăsĭnŭmrom asenjŭvĕnĕm > fri zovin, ğovinrom giuven).


L'espagnol a joven, ce qui semble en contradiction avec l'absence d'apocope signalée ci-dessus en espagnol. Mais l'italien a bien giovane "jeune", asino "âne", uomo "homme" (< n. hŏmō, correspondant à oc. òm et fr. "on"). L'espagnol apparaît plus composite sur ce point (avec asno, hombre, fresno aboutissements de syncopes).





C. Étude systématique de l'évolution des proparoxytons latins
 


Structure de l'étude
 


Ci-dessous, je commence une étude systématique des proparoxytons latins et de leur devenir en occitan.


Pour l'occitan, l'évolution des proparoxytons latins est très variable selon les mots. Pour organiser leur étude, Jules Ronjat se fonde sur la structure vocalique (GIPPM-1:230 et suivantes). Mais je ne suivrai pas cette voie car elle est confuse et elle me semble peu convaincante. Hans Georg Herford (LPA) se fonde, lui, sur la structure consonantique. J'utilise ci-dessous les consonnes dans un but de praticité dans ma phase de recherche, et je pense que la trame restera la même une fois la recherche avancée car la succession des consonnes semble la plus déterminante pour l'évolution des proparoxytons.





Consonne-B
 

C-B (*Jācŏbŭm)

(LPA:12)


Jācōbŭm > (changement de quantité vocalique et d'accent?) > *Jācŏbŭm > Jacme > Jaume



N-B (cannabĕm)

(LPA:12) Voir ci-dessous N-P (cannăpĕm).






Consonne-C

(LPA:25...)

J'étudie ici les proparoxytons dont la dernière syllabe est en C, donc du type : ´-consonne-C, par exemple : mĕdĭCŭs, mŏnăChŭs, sĭlvātĭCŭs.



Influence du français

Pour les francismes très anciens, voir par exemple galbinum > jaune, même l'italien giallo "jaune".

Manducare > manjar, même l'italien mangiare.



Le symbole ǵ représente [dj] avec ses variantes : [dz], [j]. La carte a été construite avec l'étude des manuscrits. Elle montre une progression de ǵ aux dépens de [g] depuis le domaine d'oïl vers le domaine d'oc, et vers la Catalogne. Ainsi, la prononciation actuelle de nombreux mots comme metge "médecin", monge "moine", sauvatge "sauvage" serait due à l'influence ancienne du français sur les prononciations originelles metgue, mongue, salvatgue.






D-C (mĕdĭcŭm)

Quelques proparoxytons en d-c ont une descendance en occitan : jūdĭcĕm "juge", mĕdĭcŭm "médecin", peut-être *sēdĭcŭm "siège". Il faut remarquer aussi que mandūcāre "manger" se trouve dans une situation voisine. (Aussi pour le français pēdĭcăm > "piège").




mĕdĭcŭ(m) "médecin" /médikʋ/



français : (d'après IPHAF:112, développé)



> (début IIIe s. : diphtongaison romane spontanée) /miè̯dikʋ/

> (IIIe siècle : ʋ final de proparoxyton > ə, mutation ĭ > é) /miè̯dékə/
> (vers l'an 400 : sonorisation de k) /miè̯dégə/
> (Ve s. : spirantisation de g secondaire IPHAF:50) /miè̯déɣə/
> /miè̯déyə/
> (VIe s. : syncope et renforcement du yod) /miè̯də/
> /miè̯djə/ a.fr. miege


autre possibilité : (d'après PHHL:339, 277)







occitan : (propositions personnelles)



voie 1 : masculin

> (mutation ĭ > é) /mèdékʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisation de k) /mèdégʋ/

> (Ve s. : mutation u final > ó) /mèdégó/
> (VIe s. : syncope, et apocope de ó à revoir) /mèdgé/

> (XIe s... : influence du français) /mèdjé/
mètge




voie 2 : féminin mĕdĭcă(m) /mèdika/

> (mutation ĭ > é) /mèdéka/
> (vers l'an 400 : sonorisation de k) /mèdéga/
> (VIe s. : syncope) /mèdga/ AO mètga






M-C (cīmĭcĕm)

cīmex, cīmĭcĕm "punaise" > cimia, sumia, cinça, sinza, Toulouse címec, Aude címet...




N-C (mŏnăchŭm)

De nombreux mots latins en -nĭcŭm, -nĭcăm, nĭcīs, -năcăm... ont donné une descendance en occitan actuel, avec deux aboutissements principaux selon la région : type -rgue (mŏnăchŭm > morgue), type -nge (mŏnăchŭm > monge).

Voir GIPPM-1:277-282.


Évolution de -nĭcŭm, -nĭcăm

(GIPPM-1:277)



latin

occitan

français










cănŏnĭcŭ(m) (1)
canonge (1)
AO canọnegue,
AO canọrgue

chanoine






dĭēs dŏmĭnĭcŭ(m) > *diominicu
>
rouerg dimèrgue,
dimenge
niç dimengue, dimenegue

dimanche






dŏmĭnĭcŭ(m)
>
Domèrgue
Domenge


(Dominique)






grānĭcă(m)

granja
Var granga
AO : 04 granega (2)

grange






Līmĭnĭcŭ(m)
>
Limèrgue

hydr. L'Imergue






mănĭcă(m)
>
pr.ma., l marga,
mancha,
a manega

manche f.






*mentĭŏnĭcă(m) /
*mentĭōnĭcă(m)
> messòrga / messorga,
messònja / messonja,
messònga,
niç mensonega

mensonge






mŏnăchă(m) (1)
(> mŏnĭcă)
>
morga (1),
monja,
niç monega,
g moneca

moniale






mŏnăchŭ(m) (1)
(> mŏnĭcŭ)
>
morgue (1),
monge
niç monegue

moine






Rŭthēnĭcŭ(m)

Roèrgue

Rouergue






*vĕt(ŭ)lōnĭcŭ(m)

pr.rh. vielhonge

(vieillesse)












Tableau : Évolution de -nĭcŭ, -nĭcă, (-năcă).


(1) Pour l'évolution ŏ > > /ʋ/, voir GIPPM-1:277, 278 (note 2 p. 277). Voir fermeture de ò dans mŏnăchŭm et cănŏnĭcŭm.


(2) Pour grānĭcăm > granega : attestation AO : 04 selon GIPPM-1.:278.





Toponymes en -nĭcīs > -rgues / -anges

Les très nombreux noms de lieu en -argues, -èrgues, -òrgues proviennent de locatifs pluriels en -anĭcīs, -enĭcīs, -onĭcīs...


Par exemple : Marcellĭānĭcīs > Massilhargues "Massillargues". On pourrait traduire Marcellĭānĭcīs par "dans les propriétés de la famille Marcellŭs". Il s'agit en effet souvent de noms de lieux fondés sur un gentilice, avec une désinence caractérisant l'ablatif locatif pluriel (NLL:72).



Les étapes de l'évolution furent : -ānĭcīs > -ánegues > -angues > ("par différenciation") -argues (NLL:72, 73).


Pour ruthenicus (pagus), on a : Ruthenicus > Rodinigo (VIIIe s.) > Rodenigo > Rodengo > Rodergo > Roèrgue (Notita Galliarum, A. de Valois, 1675:374, et Houzé, ibid.).


Évolution du locatif pluriel en -īs

La terminaison occitane en -es, largement attestée en AO, s'explique ainsi : l'évolution du locatif pluriel -īs donnerait régulièrement -is /-is/ puis se contracterait en -s au moment des apocopes, voir *Aiguis > Aigs "Aix". Mais l'apocope a dû être bloquée par la présence du groupe consonantique -ng-, -rg- : en effet, -ngs, -rgs était trop difficile à prononcer.

Puis à une époque difficile à préciser, on a dû avoir -nguis > -ngues : la terminaison -is étant inhabituelle, elle est devenue -es par analogie sur d'autres mots en -es.




latin

occitan

français





Alsŏnĭcīs
>

Alsonegues >
(Als) Ònegues >

Leis Òrgues


  n.d.l. St-Étienne-les-
Orgues





Marcellĭānĭcīs
>
Massilhargues,



Marcelanges

n.d.l. Marsillargues (34),
Massillargues
(11, 30, 48, 84 : Avignon)

n.d.l. Marcellange
(Allier, Puy-de-Dôme)






Tableau : Évolution de -nĭcīs.









R-C (sĕrĭcăm)



sērĭcă(m) "soie" /sé:rika/

>


sarga "serge"

BR-C (fabrĭcăm)

fabrĭcăm

Il y a basculement d'accent (ci-dessus).


fabrĭcăm > oc fabrega "forge"

fr.pr.

fabrĭcăs > fr.pr. Favèrjas "Faverges" (74) (LNPA:.

à continuer






S-C (*rĕsĕcŭm)

*rĕsĕcŭm > AO rezegue "risque" (FEW 10:293a,b, CNRTL "risque"). Il y a basculement d'accent (ci-dessus).



RS-C (Cŏrsĭcăm)

Cŏrsĭcăm > AO Corsega / Còrsa (En Corsega o en Sardeina Flam in FlamM:125, vers 4176)

Pour Corsega, il y a basculement d'accent (ci-dessus).




T-C (sĭlvātĭcŭm)

Voir aussi fĭcătŭm > *ficitu > (métathèse) *fiticu > oc fetge [fédjé] "foie". Voir fĭcătŭm ("Abrègement de certaines voyelles longues ?")


Certains mots latins en -ātĭcŭm ont évolué en oc -atge (français "-age"), au point de donner un suffixe productif en occitan et en français.


 Voir dialectes italiens (vénitien, émilien...) : salvadegh, salvadega / salvadga (it.wiktionary.org).


sĭlvātĭcŭ(m) > salvātĭcŭ(m) /salwa:tikʋ/
.......


> (Ier siècle) /salβa:tikʋ/
> (IIIe siècle) /salvatékʋ/

> (vers l'an 400 : sonorisations) /salvadégʋ/










/si:lwa:ticʋ/

> salvadge̟:



manticam > manga / marga / mancha

Type nătĭcă(m) :

> :


Ci-dessous la carte d'un article de Max Pfister (BAG:341) qui défend la théorie d'une influence française (langue d'oïl) de -tge du type sauvatge. Cette influence est remise en cause par PBZAG-cr:414-415 :

(PBZAG-cr:414) "À l'instar de Ronjat et de Mlle Ringenson, je crois que -atgue a pu se palataliser en -atge (Graphie, p. 189-190). M. Pfister trouve une telle évolution douteuse au point de vue phonétique (p. 342)"

"Ainsi que Meyer-Lübke, M. Pfister voit en -atge le suffixe français et il essaie d'en suivre la propagation en territoire occitan (p. 339-342)".



Aboutissements de -aticu.jpg

Aboutissements de -ātĭcŭ, -ĭcŭ, -ăcŭ (BAG:341).




Atacĕm "Aude"

Le nom de fleuve acc Atacĕ(m) "Aude" (nom Atax) a été étudié par Antoine Thomas (LNDFA). L'auteur démontre qu'il y a eu une métathèse entre les deux consonnes "certainement postérieure à la sonorisation et à I'assibilation du с". Conformément à cette idée, dans le scénario ci-dessous, je propose la métathèse au stade */adadzé/ (> */adzadé/).


A. Thomas donne les jalons :

année 737 super Adice fluvio,

année 914 : in fluvium Ataze,

année 925 : super fluvium Azate,

année 978 : In flumine Azate,

année1053-1060 : in flumine Azete,

année 1069 : Alde,

année 1089 : super fluvium Azde.



Scénario pour Atacĕm > Aude /awdé/ "Aude" (conformément à LNDFA) :


acc Atacĕ(m) "Aude" (nom Atax)

(IIIe siècle : palatalisation de -c-)    */atats'é/

(vers l'an 400 : sonorisations)    */adadz'é/
(fin VIe, VIIe siècle : dépalatalisation)  */adadzé/
Variante (1)

(quand ? apophonie a > i)  */adidzé/
Adice (année 737) (1)
(métathèse d-dz > dz-d)  */adzadé/
Azate (année 925, graphie conservatrice pour t)
(syncope) */adzdé/
Azde (année 1089, graphie z conservatrice)
(vocalisation dz > ɫ ? > ʋ)  */aʋ̯dé/
Alde (année 1069, sans doute prononcé aʋ̯dé/)

(1) Dans Adice, il est possible que la forme apophonique avec i apparût plus tôt, et qu'elle se continuât en e (voir Azete en 1053-1060), mais qu'elle fût rarement écrite pour conserver le a latin à l'écrit.






Consonne-D

Jules Ronjat (GIPPM-1:252-254) range plusieurs mots de ce groupe dans ce qu'il nomme "mots de deuxième couche".

Je pense que sa conception est complètement à revoir. (à développer). Je pense que le traitement des féminins avec basculement d'accent (type tĕpĭdăm > AO tebeza "tiède") est typiquement populaire, et non savant.


C-D (rancĭdŭm)

(LPA:22)


NC-D

rancĭdŭm > AO rance "rance", rancĭdăm > AO ransa (?).



D-D (candĭdŭm)

(LPA:22)


ND-D

candĭdŭm > AO cande "blanc", candĭdăm > candeza "blanche" (probablement candeza).

Pour candeza, il y a basculement d'accent (ci-dessus).



G-D (rĭgĭdŭm)


 

frīgĭdŭm "froid"

 

Pour frīgĭdŭs "froid", en LPC déjà, deux variantes existaient : *frĭgdŭs et *frīdŭs.


(GIPPM-2:104) "C'est à *frīdu,-a que remonte esp. frío, -a. Mais it. freddo, -a, fr. froid, -e et les formes de notre langue fre(ch), -jo ~ -ja ~ freid, -do ~ -da, aq. heret, -do, etc. (pour her- v. § 253 ; -et < -eit § 217) postulent *frĭgdu, -a."


(SADP:126, note 15) : "[...] p. ex. °frĭgĭdŭm (lat. classique frīgĭdŭm) > ['fregdo] > ital. freddo. La syncope dans ce mot n’est pas pan-romane, d’autres résultats proviennent d’une forme où le -g- s’est amuï: frīgĭdŭm > ['frii̯do] > esp. frío."


La forme classique frīgĭdŭs ne devait plus être employée qu'à l'écrit, ou bien dans un registre soutenu. Les deux variantes parlées sont attestées à l'écrit dans des contextes particuliers (voir ci-dessous : attestations antiques).

Les dérivés actuels dans les langues romanes forment ainsi deux groupes issus de ces deux variantes latines :


- *frĭgdŭs > oc freg /frétʃ/, /fré/, freit ; cat fred /frèt/, /frét/, fr "froid", it freddo ;


- *frīdŭsesp, port frio, a.esp. frido.



- Première voie : syncope précoce avec ī > ĭ  (> *frĭgdŭm > oc freg, fr "froid"...)



Attestation antique frīgĭdă > frigda :

- Dans Prob:54, on trouve :

"frigida non fricda" "le mot correct est frigida ["froide"] et non fricda".

Les linguistes signalent que fricda devait être prononcé /frigda/ (par exemple GIPPM-2:104) ; J. Powell préfère même voir dans le manuscrit frigida ñ friGda, avec une incertitude sur G (NTAP:696).


Attestations antiques du même type :

frigdarium "glacière, chambre froide" (Lucilius:317, Vitruve:5,11)  
frigdor "froid" (Pelagonius:141, CGL



Cette voie est à l'origine de oc freg /frétʃ/, /fré/, cat fred /frèt/, /frét/, fr "froid", it freddo (voir ĭ > é, et > oi en français).


Jules Ronjat (GIPPM-2:104) étudie soigneusement le double problème de la syncope et de l'évolution ī > ĭ. La syncope frīgĭdŭ > frīgdŭ lui paraît trop précoce pour être phonétique, et l'auteur y voit une analogie sur călĭdŭs > căldŭs "chaud". F. de La Chaussée adopte la même position (IPHAF:46). On aboutit ainsi à deux paroxytons plus rapides à prononcer. Le résultat frīgdŭ a dû voir son i long aboutir à é "par la tendance vulgaire à ouvrir les voyelles entravées" (GIPPM-2:104).




Concernant le groupe consonantique -gd-, pour comprendre son évolution phonétique *frĭgdŭm > oc freit / freg (1), fr froid, *frĭgdăm > oc freida / frejafr froide, je pense qu'il faut le rapprocher de *vŏcĭtŭm > vueje ci-dessous, et à l'évolution de -ct-. En effet, les formes AO freg, freja / vueg, vueja ont les mêmes terminaisons ; de même les formes AF freit, freide / vuit, vuide ont les mêmes terminaisons. Voir aussi ci-dessous cōgĭtăt.


(1) (prononcé /frétʃ/ en AO, /frétʃ/, /fréts/ en lang, /fré/ en pr)



frīgĭdŭm */frɣiðʋ/

> (avant Ier siècle après J.-C. ? : syncope précoce, avec renforcement des spirantes au contact l'une de l'autre) */frgdʋ/
> (abrègement ī > ĭ) (1) */frigdʋ/

(fin IIe : i > é) */fréɣdʋ/

(fin IIIe - Ve siècle : évolution de type ct > yd, -ʋ > -o) */fréydo/
> (VIIe, VIIIe s. apocope avec -d > -t */fréyt/
→ (a.fr.) freiz (freit)
→ (oc "zone dreit") freit


En français :

> (éy > wa : évolultion de type tēlă > "toile", amuïssement de -t) /frwa/
froid (graphie -d calquée sur le féminin)


En occitan ("zone drech") :

> /frétʃ/ freg /frétʃ/, /fré/



(1) L'abrègement ī > ĭ se serait réalisé "par la tendance vulgaire à ouvrir une voyelle entravée", GIPPM-2:104 (remarque à étudier) ; ou bien par la règle générale "absence d'une voyelle longue dans une syllabe fermée", ou bien par analogie sur l'opposé călĭdŭs "froid", ou sur rĭgĭdŭs "raide".




- Seconde voie : amuïssement de g entre les deux i (> *frīdŭm > esp, port frio)


Le g au contact de i suit l'évolution générale de g au contact de i pour donner /y/, qui disparaît de la même manière que dans dĭgĭtŭs ci-dessous, et vīgĭntī, trīgĭntā ci-dessous (PHF-f3:606) ;


Attestation antique frīgĭdăm > fridam :

Dans Pomp, on trouve "da fridam pusillum" "donne un peu d'eau froide" (CIL IV, 1291).

Cette variante *frīdus (< *frīĭdŭs) a mené à esp frío "froid" (GIPPM-2:104), port frio : voir l'amuïssement de d en espagnol à d, t en espagnol, occitan, français






rĭgĭdŭm "raide"

(LPA:23)

Pour rĭgĭdŭm "raide", les descendants occitans montrent que l'évolution a suivi deux voies :


- type rege :

pour les variantes AO rẹge, a, g retge (rege), il y a eu apocope de type occitan (ci-dessus) :


rĭgĭdŭm > AO rẹge "raide", rĭgĭdăm > AO regeza (pour regeza : basculement d'accent) ;


- type rede :

pour les variantes AO rede, pr rede, l redde, d reide, auv reid, g rete, rette :

- s'il y a eu amuïssement de g au contact de i (avant i > é) > *rĭĭdŭm : ce scénario ne semble pas pouvoir (?)

une syncope ancienne rĭgĭdŭm > *rĭgdŭm, et (?)

(à continuer)






P-D (tĕpĭdŭm)

(LPA:20...)


Dans les mots connus, il y a presque systématiquement apocope de type occitan au masculin, et basculement d'accent au féminin (ci-dessus).


cŭpĭdŭm > AO cọbe "cupide", cŭpĭdăm > cobeza

(voir aussi à D-T ci-dessous cŭpĭdĭtās, -ātĭs > dér. *cŭpĭdĭĕtāt > AO cobeja, cobeita et fr "convoite" < a.fr. coveitie).


tĕpĭdŭm > tèbe "tiède", tĕpĭdăm > AO tebeza (sans doute avec l'accent tonique sur la pénultième).

răpĭdŭm > AO rabe, răpĭdăm > rabeza "rapide" ;  a.fr. rade "rapide, impétueux"

săpĭdŭm > AO sabe, sade "savoureux", săpĭdăm > AO sabeza (sans doute avec l'accent tonique sur la pénultième).


MP-D

lampada > AO lampẹza, lampa.


SP-D

(AO) jaspis, jaspe "jaspe" : probablement emprunts au latin jaspis (du grec ἴασπις íaspis), plutôt que héritage de jaspĭdĕm ; pour le français : CNRTL "jaspe".




T-D (nĭtĭdŭm)
  

(LPA:22...)


(*fătĭdŭm > fade ?, mais il y a fătŭŭs "fade ; insensé)

foetĭdŭm > AO fet "fétide"

nĭtĭdŭm > AO nẹde, nẹt "net, propre, pur"



X-D (bŭxĭdăm)
  

bŭxĭdăm (IVe siècle, FEW 9:655a) > (AP) boissza "boîte", lang boissesa "morceau de bois enchâssé dans l'œillet d'une meule".




Consonne-F




Consonne-L

(GIPPM-1:247-250)


ἀμυγδάλη (amygdálê) > ămĭddŭlă > amela, amenla



B-L (tăbŭlăm / *nībŭlŭm)

Pour tăbŭlăm, voir bl intervocalique.



nībŭlŭm :


nūbĭlŭ(m) > *nībŭlŭm

> nívol /nieu "nuage"


(b = β > v)

Sans syncope : *nībŭlŭm > nívol /nivò/ "nuage"

Avec syncope (ou amuïssement de v devant u ?) : *nībŭlŭm > *niv'lu ou *niulu > (si nivlu : vocalisation de v) AO niul > (vocalisation de -l et fusion à u) niu (> nieu) "nuage"





C-L (aurĭcŭlăm ; fĕrĭcŭlăm)

Type aurelha

 

La voie la plus fréquente est la palatalisation de cl intervocalique :


Pour la quantité vocalique du i latin, le suffixe oc -ilha, fr -ille, voir -icŭlăm à "Premières palatalisations".


apĭcŭlă > abelha (abilha) "abeille" ;

aurĭcŭlăm > aurelha (aurilha) "oreille" ;

lentĭcŭlăm > lentilha "lentille" ;

sōlĭcŭlŭm > solelh, soleu "soleil" ;

spĕcŭlŭm > AO espelh, espielh "miroir".

 


Type ferigola

Parfois, avec une absence de syncope par influence savante (?), il existe un basculement d'accent pour des formes féminines (basculement d'accent ci-dessus) :


fĕrĭcŭlăm > ferigola "thym", peut-être par un intermédiaire fĕrīcŭlăm pour expliquer le i de ferigola, voir le schéma -ī-ŭlă à "Voyelles", ou bien influence savante


*pĭcŭlăm > pegola "poix"


On peut possiblement reconnaître un suffixe occitan -(i)gola < -ĭcŭlăm  :

voir berigola, espargola.


G-L (Bŭrdĭgălăm)

Pour -gŭl-, voir en post-tonique interne (rēgŭlă, tēgŭlŭm, cŏāgŭlăt...).


Bŭrdĭgălăm "Bordeaux"


Bŭrdĭgălăm > Bŭrdĕgălĕ > Bordèu (EPF:216).



L-L (pĭlŭlăm)

En domaine d'oïl, les aboutissements de pĭlŭlăm "boulette" témoignent d'une syncope : a.fr. pilewal.Liè. pile. Ces aboutissements pile font interroger sur la quantité vocalique latine de ĭ dans pĭlŭlă : n'y aurait-il pas eu une variante galloromane pīlŭlă, avec i long ? Cette transformation pĭlŭlă > *pīlŭlă pourrait s'aligner sur un schéma Cŭlă, voir -ī-ŭlă à "Voyelles".


Selon FEW 8:509a, l'AO pilola, pilora, pinhola, provient probablement d'emprunts oraux à l'italien pillola "pilule" depuis Salerne jusqu'à Montpellier. Aussi : AO pidọla, et avec diminutif : pilolẹta, pilorẹta. On peut se demander si certaines de ces variantes ne sont pas typiquement occitanes, héritées de *pīlŭlă (ci-dessus), avec basculement d'accent.

 

Dans la péninsule ibérique, pĭlŭlăm a donné esp, port pella "grumeau", gal pènla "bollo de manteca" (FEW 8:509a).



P-L (*pīpŭlŭm)

*pīpŭlŭm

Pour pōpŭlŭs > pīpŭlŭs, voir la discussion de von Wartburg (FEW 9:182b) : on ignore l'origine de ī. Peut-être peut-on rattacher *pīpŭlŭm à un schéma voir -ī-ŭlă à "Voyelles".


À continuer.




S-L (i(n)sŭlăm)


Une syncope suivie d'un amuïssement de /s/ s'est réalisée pendant la période latine pisŭlă > pīlă "mortier ; auge à foulon" (DFL "pīla"). Cependant dans ce cas, il n'y a pas eu évolution sl > scl (pourquoi ?).


Pour i(n)sŭlăm > *īsŭlăm "île" : selon moi, le scénario pour l'occitan est la double évolution :

i(n)sŭlăm > *īsŭlăm /iːsʋla/ "île"



Voie 1 : d'abord sonorisation


> (vers l'an 400 : sonorisations) */izola/

> (syncope) */izla/

> (amuïssement de z) */ila/
oc ila


Voie 2 : d'abord syncope



> (syncope) */isla/

> (sl > scl) */iskla/
oc iscla





T-L (vĕtŭlŭm)


Voir évolution de t'l intervocalique :


- soit t'l s'assimile à cl > /λ/ ;

- soit t'l évolue en nl, ll, ul.



vĕtŭlŭm > *vetlus > veclus > vièlh

*hĭnnītŭlāre > endilhar "hennir"

Voici un témoignage attestant de l'évolution t'l > cl :


Attestation antique :

Dans Prob, on trouve :

"vetulus non veclus" "le mot correct est vetulus ["d'un certain âge"] et non veclus"

spathula > espala, espalla, espanla, espaula.

Pour la variante espanla : il est possible qu'il y ait eu une première étape de sonorisation de t : *espatula > *espadula > *espadla. On se trouve dans le même cas que ămĭddŭlă > *amedla > amenla.




V-L ()




Consonne-M

lacrima(m) > lagrema "larme"


N-M (ănĭmăm)


Voir groupe consonantique n'm.

ănĭmăm > arma "âme"




T-M (mărĭtĭmŭm)

Les proparoxytons en t-m ayant une descendance romane sont mărĭtĭmŭs et lēgĭtĭmŭs.

Voir le groupe primaire tm.


L'évolution du contact t-m n'est pas très claire (GIPPM-2:156 : "traitement obscur de t'n, d'n, t'm"). La plupart des aboutissements ci-dessous sont donnés dans FEW 6/1:335a. Je distingue trois types d'aboutissement ci-dessous.


1. t'm > nasale-nasale : mărĭtĭmăm > g la Maremna "la Maremne" (40, vicomté sous l'Ancien Régime, parfois "le Maremne").


Je pense qu'on doit rapprocher ces évolutions de t'm de la loi phonétique latine "occlusive + nasale > nasale + nasale". Il est probable que cette loi très ancienne s'appliquât aussi en latin tardif.


Pour g la Maremna, J. Ronjat (GIPPM-2:257) donne l'évolution suivante : marit(i)ma > (assimilation) *maremma > (différenciation) Maremna.


mărĭtĭmă(m) a donné : g la Maremna (40), a.fr. mareme "côte", m.fr. (1554) marennes f.pl. "terrain situé au bord de la mer", Marennes (17), it maremma "littoral marécageux", la Maremma (côte toscane marécageuse).




2. t'm > sm (type ibérique) :


mărĭtĭmăm > cat maresma, a.esp., port marisma "plantes poussant dans l'eau de mer".


lēgĭtĭmŭm > AO legisme "(enfant) légitime", OM lèime "franc, pur" (GIPPM-1:349, GIPPM-2:257-258). Pour lèime, je propose une autre solution juste ci-dessous.


Pour legisme : (GIPPM-2:257) "legisme donne l'impression d'un mot savant (cf. vpr. arismetica < -thm-)", puis l'auteur démontre que l'origine savante n'est probablement qu'une apparence :


- normalement ĭ > é, mais GIPPM-2:257 propose pour lēgĭtĭmŭm > legisme : "-i- par l'action de [-dj-] jointe à la métaphonie" : le i de legisme pourrait en effet ici s'expliquer par e > i après palatale (bien qu'ici il s'agisse d'une position tonique et non prétonique) ; g intervocalique a pu donner yod renforcé > [dj] (GIPPM-2:257 donne aussi une analogie possible sur lejal < lēgāle) ; t'm > sm est de type ibérique (mărĭtĭmăm > marisma).



3. Cas lēgĭtĭmŭm > OM lèime "franc, pur" :



Pour expliquer i de lèime (normalement ĭ > é), j'invoquerais volontiers une évolution t intervocalique > ∅, menant à ĭĭ > ī.

Ainsi on obtient *lēgīmŭs, qui se rapproche beaucoup de rēgīna(m) > rèina "reine". 

lēgĭtĭmŭm

> (gi > it > ∅) *ĭĭmŭ(m)

> *lēīmŭ(m)

> (basculement d'accent éi > éi) *léime

> (éi > èi) lèime.



X-M (prŏxĭmŭm)


maxĭmŭm > oc Maime (nom de saint, nom d'homme) ;  AO maimamen "surtout" ; maxĭmam > v.lim. in TDF maima "aïeule", Maima (nom de sainte, nom de femme), Santa Maima "Sainte-Maxime" (83).


prŏxĭmŭm > AO prǫsme, prǫime "prochain ; parent"





Consonne-N

(GIPPM-1:243-247, GIPPM-2:286)


Vue d'ensemble sur consonne-N

Il existe plusieurs schémas d'évolution (diversité des évolutions ci-dessus). Je propose les schémas d'ensemble suivants :



voie 1 : apocope de type occitan (ci-dessus)


ăsĭnŭm   >  (apocope 1e phase) asen   >   (apocope 2e phase) ase

 

Remarque : pour plantāgĭnĕm > plantai (G-N), plătănŭm > blai, le -n a disparu alors qu'en français, il reste : "plantain". À étudier.


voie 2 : syncope et vocalisation de la première consonne


ăsĭnŭm   >  (syncope) *asne   >   (vocalisation de s)   g aine



voie 3 : syncope et évolution n > r, en général si cela permet d'obtenir une muta cum liquida :


cŏphĭnŭm   >   (syncope) *còfnu   >   (évolution n > r) còfre "coffre"



dĭācŏnŭm > diacre (variante de diague, diaque) ;

feminam > femna > *femra > variante frema "femme"

pampĭnŭm > pampre ;

Lĭngŏnĭs > *Lengres > "Langres" (52) ;


(et le type espagnol sanguĭnĕm > sangre, très développé dans m-n : ci-dessous.



voie 4 : Pour certains mots en -a : basculement d'accent (ci-dessus).


lapsănăm >   *lapsĭnăm   >   (syncope) lassena "moutarde sauvage"


Aussi :

feminam > variante AO femena ;

Stĕphănăm > Estevena ;

tautĕnăm > tautena "calamar" ;
variantes de type alumenar pour les verbes de type alumar/alumenar ;

...

Dans ces mots, il y a probablement eu une apophonie de la post-tonique : ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ > ĭ (puis ĭ > é). (On n'a pas Estevana, mais Estevena). De même, on n'a pas eu Rhŏdănŭm > *Ròsa mais Ròse "Rhône".

Autre solution : il s'agit de é épenthique après une ancienne syncope (voir type niger). 



voie 5 : Amuïssement du n (gascon) :


Cette voie est celle du gascon, qu'on retrouve dans la péninsule ibérique en gallicien et en portugais, voir amuïssement du n intervocalique en gascon. Par exemple ci-dessous : sēmĭnārĕ > gasc semoar, samoar, béar semiar, samiar, somiar.





B-N (galbĭnŭm)

LB-N :

galbĭnŭm > jaune



C-N (ăcĭnŭm)

ăcĭnŭm > age "grain de raisin", a.fr. aine, asne

dĭācŏnŭm > diague, diaque, diacre "diacre"




D-N (Rhŏdănŭm)

Rhŏdănŭm > Ròse



bodina (> boina "borne" voir botina ci-dessous)


-(ĭt)ūdĭnĕm

Substitution de suffixe

Les formes en -um, -ume, AO -umne sont issues d'une substitution du suffixe -ūdĭnĕm par -ūmĭnĕm (voir CNRTL "amertume" : voir le latin mansuētūdĭnĕm > a.fr. mansuetume). Cette substitution s'est réalisée dans une bonne partie de la Romania, donc elle existait déjà en latin populaire, voir sard.log. costumene, friou. custum, h.engad. kʋštüm, cat costum, esp costumbre, port costume < consuētūdĭnĕm (in FEW 2:1092b).


Le nominatif s'est probablement aligné sur l'accusatif -ūmĭnĕm, par exemple n. consuētū a dû être remplacé par n. *consuētūmĕn (Diez in Littré).


Jules Ronjat préfère faire une distinction entre l'origine de -um < n. -ūmĕm et l'origine de -ume < acc. -ūmĭnĕm (GIPPM-3:363).


Il me semble clair que cette substitution provient de l'action analogique de mots comme flūmĕn "fleuve", lūmĕn "lumière", lĕgūmĕn "légume", qui ont un accusatif en -ūmĭnĕm. Sur le plan phonétique, l'évolution rejoint donc M-N ci-dessous, avec notamment le type espagnol très caractéristique costumbre "coutume".



-ūdĭnĕm > -um


Conformément à ce qui est dit ci-dessus, -ūdĭnĕm a été remplacé par -ūmĭnĕm, puis l'évolution phonétique suit en général la voie 1 (ci-dessus) :


-ūmĭnĕ(m)

> (mutation vocalique) */ʋːméné/

> (voie 1 ci-dessus, antériorisation du u, nasalisation, dénasalisation) */uːmén/ > */uːmé/

> (apocope supplémentaire possible, ou bien : solution de Ronjat ci-dessus) */um/


Cette terminaison s'est developpée en suffixe occitan (-um).


Pour AO amarum "amertume", il semble curieux que le mot soit construit sur amar + -um, alors qu'il existe le français "amertume" < ămārĭtūdĭnĕm. On peut toujours imaginer un amuïssement de t interne atone, suivi d'une simplification -eumene > -umen, mais aucune attestation écrite ne permet d'étayer cette hypothèse.




ĭncūdĭnĕm > AO enclume, encluge "enclume"


- Les formes galloromanes contiennent  l : il y a eu action de inclūdĕrĕ (FEW 4:633a).

- Pour la terminaison -uge, (FEW 4:633a) propose *inclugine. Je pense qu'il y a eu action analogique de ĭmāgĭnĕm (> image) pour aboutir à *inclugine dans une partie du domaine d'oc.




-ĭtūdĭnĕm > -tum, -dumne...

consuētūdĭnĕm > AO costum, cosdumne "coutume", AO costuma, cosduma, costumna, cosdumna "coutume".


Les formes en -d- témoignent d'une syncope réalisée après la sonorisation de -t- ; les formes en -t- inversement.






  



ND-N :

Lŭndĭnŭm > Londre "Londres", voir aussi "Londre" < ŏnŏrĕm ? : N-R ci-dessous.


RD-N :

ŏrdĭnĕm > orden, òrdre.





F-N (Stephănŭm)


cŏphĭnŭ(m) > còfre "coffre"


ŏrphănŭ(m) > AO orfe "orphelin"


răphănŭ(m) > AO rave(n) "raifort cultivé" ; a.fr. rafne, ravene, reve (voir "ravenelle") (răphănŭs : f > v).


Stĕphănŭ(m) > Estève "Étienne" ; Stĕphănă(m) > Estevena (Stĕphănŭs : f > v).

Pour Stĕphănăm > Estevena : voie 4 ci-dessus (basculement d'accent ci-dessus).




G-N (plantāgĭnĕm)

 En domaine d'oc, plantāgĭnĕm "plantain" suit la voie 1 ci-dessus (apocope de type occitan) ; en domaine d'oïl il y a syncope : plantāgĭnĕm > *[plantayné] > *[plantayn] > (évolution semblable à plēnŭm) [plãtè̃].


plantāgĭnĕm > plantage / pr.ma. plantai (voir les évolutions dialectales de ge, gi).


ĭmāgĭnĕm > AO emagena, emage "image", AO maina, a.frpr. esmaina (FEW 4:464b)





RGI-N (virgĭnĕm)



virgĭnĕm > vierge "virjne" 1119





NGU-N (ĭnguĭnĕm)

(gu est systématiquement dans le groupe ngu).


inguen : ĭnguĭnĕm > engue "aine" 

Lĭngŏnĕm > Langres





M-N (dŏmĭnŭm, fēmĭnăm)

Voir évolution de mn secondaire.


Les mots latins concernés sont assez nombreux.

L'apocope peut s'exercer (voie 1 ci-dessus- : hŏmĭnĕm > òmen > òme (il faudrait étudier la disparition ou non de la voyelle finale

Ou bien la syncope : (voie 2 ci-dessus) fēmĭnăm > femna, éventuellement avec vocalisation : lāmĭnăm > launa "lame".

Ou bien la syncope avec rhotacisme n > r : (voie 3 ci-dessus) fēmĭnăm > *femra, puis > frema "femme".

Ou bien le basculement d'accent : (voie 4 ci-dessus) fēmĭnăm > AO femena, et tous les verbes (type ĭntāmĭnārĕ ci-dessous : ĭntāmĭnăt > entamena "il entame").


Remarque : en latin ancien, une syncope s'était déjà produite dans *fēmĭnellă > fēmella "femelle" (elle ne laisse même pas de trace sous forme de gémination de m : à étudier).


dŏmĭnŭm (syncope précoce ci-dessus)

exāmĭnĕm > eissame, eissam "essaim"

fēmĭnăm > fema / fena / frema "femme", variante AO femena (voie 4 ci-dessus : basculement d'accent).

flūmĭnĕm > flume, AO flum, (a.fr.) flun "fleuve"

grāmĭnĕm > grame "chiendent"

hŏmĭnĕm > òm, òme "homme"

lāmĭnăm > launa / lama "lame, plaque"

lĕgūmĭnĕm > leume, lieume "légume", voir lĕgūmĭnĕmg intervocalique)

lĕvāmĭnĕm > levame "levain"

lĭgāmĭnĕm > liame, a.fr. leien "lien"

lūmĭnĕm > lume "lumière"

nōmĭnĕm > AO nm, nọme, nọmi "nom"

stāmĭnĕm > AO estam "étain ; chaîne de tisserand", estame "tricot bien fait" (FEW 12:229b), a.fr. estain, estrain "chaîne d'un tissu, etc."

tĕgmĭnĕm > tèume "portion de tillac formant une sorte de cabane à l'avant d'un bateau non ponté" (TDF), voir gm.


Évolution avec n > r :

(voir n > r après consonne)


*fēmĭnă(m) > femna > *femra > (pr.ma.) frema : il semble y avoir eu métathèse de type comprar > crompar.



L'évolution n > r est très développée dans le type espagnol :

hombre, hembra, legumbre, lumbre (alumbrar), siembra (< seminam), hambre (< *fāmĭnĕm), nombre (< nōmĭnĕm), estambre...



Pour les verbes : le type avec basculement d'accent est de règle dans la majorité du domaine occitan (voie 4 ci-dessus). Mais une alternance de type masticar / maschar (ci-dessus) existe. 


*ăllūmĭnārĕAO alumenar / alumar ;

examĭnārĕ > AO aysamenar, essamenar ;

ĭntāmĭnārĕ > OM entamenar, auv entamnar, d entanar ;

sēmĭnārĕ > OM semenar, samenar "semer" / auv, pér semnar, lim sennar, sannar / (voie 5) béar semiar, samiar, somiar / gasc semoar, samoar.


Le type portugais semear (< sēmĭnā) suit aussi la voie 5, avec semeio (< sēmĭnō) : basculement d'accent et yod épenthique. En béar, semiar, samiar, somiar montrent ea > ia, somiar provient des labialisations ; sans doute gasc semoar aussi.


Aussi port. allumiar (< *ăllūmĭnārĕ), anc. port. alumẽar, gallicien alumear.




RM-N :

terminum > tèrme





P-N (pampĭnŭm)


MP-N :

pampinum > pampe

tympanum > timbre


RP-N :

carpinum > caupre, carpe ; fr. charne, charpe, charme
.




S-N (ăsĭnŭm)

ăsĭnŭm > ase / ai / aine (schémas ci-dessus)


ăsĭnăm > asena (basculement d'accent ci-dessus)


KS-N : fraxinum > frais, fraisse "frêne"

LS-N (calsinum > causse)

SS-N : cassanum > casse ; chêne


PS-N :

lapsănăm > lassena (voie 4 ci-dessus)



T-N (plătănŭm)


botinăm (ou bodinăm) > boina "borne, bosne"

*catănum > cade

pătĭnăm > (l) (g) padena "poêle"

plătănŭm > blai, rouerg blasi, Vel bladre. Voit discussion sur le devenir du -t-.

Protinus > prodol (< protelum) ; prosne

Retină > (regna?)  "Rêne, resne"



*tautĕnŭm > AO taute ;

*tautĕnăm > tautena "calamar" (teuthís τευθίς "calamar") (basculement d'accent ci-dessus).


pătĭnăm > padena "poêle" (basculement d'accent ci-dessus)



CT-N :


pectĭnem > penche.




V-N (jŭvĕnem)


Voir jŭvĕnem > joine / jove.

Dans joine, il y a vocalisation v > i.



X-N (fraxĭnŭm)

Voir ci-dessus KS-N.






Consonne-P

(LPA:9...)


C-P (princĭpĕm)

(LPA:10)


NC-P :

(LPA:10)

principem > princep / prince



SC-P

(LPA:9-10)

ĕpĭscŏpŭm :


FEW 3:231b-232a : (trad.all.) "Le nord de la France et les Grisons ont pour base une forme raccourcie *episcu, tandis que tout le reste de la Romania (y compris l'AO) ont comme point de départ la forme pleine episcopu. Le même phénomène a eu lieu pour sarkóphagos, qui est devenu *sarcóphus dans le nord de la France dès les temps les plus anciens."

FEW 3:232a : (trad.all.) "Le sud de la France a fait disparaître le e-, comme l'Italie et la Sardaigne ; voir

(AO) avesque, evesque, vesque : ce sont des formes empruntées au français (voir p intervocalique). (LPA:9-10)

(AO) bisbe, bispe, bibe : ces formes montrent bien une évolution régulière de p latin, cependant le i semble être le fruit d'une influence savante (LPA:10) : voir ĭ > é.

H.G. Herford indique que seul ebesque TDF répond à une évolution régulière de episcopum (LPA:10). Cependant il s'agit d'une variante lang, et le v est souvent prononcé b en lang. C'est donc sans doute aussi un francisme.





L-P (cŏlăp(h)ŭm)

 


(LPA:11)


cŏlăp(h)ŭm > colbe, còp






N-P (sĭnăpĕm)

(LPA:11...)


*cannăpĕm > canebe, cambe, carbe, canube... "chanvre" (voir à Apophonies la forme kánnapis).


sĭnăpĕm > sẹnebe, sẹrbe "sénevé"





Consonne-R

(GIPPM-1:239)


Les groupes b-r, dz-r, z-r, montrent l'absence de syncope en occitan (apocope de type occitan ci-dessus) : cĭcĕrĕm > AO cẹze, cẹzer "pois chiche", a.fr. ceire (il y a eu syncope).



B-R ()
  
LB-R (lat. tard. albărŭm)
  


lat.tard. albărŭ(m) > *albĭrŭ(m) > pr aubera [ówbéro/a] "peuplier blanc" (FEW 24:296b-297a). Il y a basculement d'accent sur la voyelle post-tonique dans un mot féminin, voir ci-dessus basculement d'accent.



C-R (cĭcĕrĕm)
  

cĭcĕrĕm > AO cẹze, cẹzer "pois chiche", OM cese [sézé], a.fr. ceire.

dĭcĕrĕ > dire "dire"


SC-R (cŏgnōscĕre)

cŏgnōscĕre > conóisser, conèisser "connaître" (voir verbes en -scĕrĕ)




G-R (Lĭgĕrĕm)

   Lĭgĕrĕm > la Lèira "La Loire"



LG-R (mŭlgĕrĕ)

mŭlgĕrĕ > AO mlzer, OA móuser, móuger..."traire", voir "ge en position forte", type mŭlgĕrĕ > móuser.



NG-R (plangĕrĕ)

   plangĕrĕ > plànher "plaindre", voir "ge en position forte", type plangĕrĕ > plànher.



N-R (ŏnŏrăt)
  

Voir notamment les épenthèses de type n + r : cĭnĕrĕm > cenDre.


cĭnĕrĕ(m) > cendre "cendre"
gĕnĕrĕ(m) > gèndre "gendre"

ŏnŏrăt > onra, ondra, onora "honore",

Saint-Martin-de-Londres (34) < ŏnŏrĕm ?

etc.

Voir aussi ci-dessus Lŭndĭnŭm > Londre.


S-R (Isărăm)

Plusieurs toponymes montrent une absence de syncope avec basculement d'accent.

Probablement Dusara, Dusera > oc Donzèra "Donzère" (26) (Dusera, année 817 ; Dozera, année 849 ; Dusara, année 858) ("suffixe pré-gaulois -era" : DENLF:251 ; TGF2:871 propose un nom de personne germanique Dudarius, + -a, mais dans ce cas on aurait abouti à Doziera, voir -ārĭŭs ; ce dernier type est attesté mais durant le XIVe siècle seulement : Duzeria, Douzeira, Douziere). Pour l'insertion du n devant z, voir Nasalisations parasites.


Īsărăm > Isera / Isèra "Isère" (PHF-f2:147)

Scénario :

/sara/ (peut-être déjà /iːzara/ avec /z/)

> (pseudo-apophonie) /sira/, /zira/

> (i > é)

> (basculement d'accent des proparoxytons féminins, s > z) /izèra/




Ĭsărăm > fr "Oise" (on peut supposer un i bref comme PHF-f2:147, mais ī est aussi possible, suivi d'un changement ī  > ē) > Esera (VIe siècle) > "Oise" (TGF1:39)
Voici mon scénario :

Ĭsărăm * /isara/

> (ĭ > é, affaiblissement de a post-tonique) */éːsəra/

> (s > z, -a > -e, début type "toile", pas encore de syncope sinon >Esdre comme "coudre" : z'r) */éi̯zərə/

> (dialectal r > z, comme chaire > chaise) */éi̯zəzə/

> (syncope, ou apocope au stade */éi̯zərə/ ci-dessus) */éi̯zə/

> (suite type "toile") /wazə/ "Oise"



Lesŭră > (métathèse ?) Losera / Losèra "Lozère" (chaîne de montagne des Cévennes, puis département) (PHF-f2:147).

(TDF : "Lausero", F. Mistral rattache le mot à lausa, lausera "roche qui se délite en pierres plates", par erreur ou par étymologie populaire).



*Vĭsărăm, Vĭsĕrăm (Visera est attesté en l'an 889) > Vesèra "Vézère" (rivière de 19 et de 24) (PHF-f2:147).




V-R (sŏlvĕrĕ)

LV-R :

sŏlvĕrĕ > AO sǫlver, etc. Mais a.fr. soldre ("absoudre", "dissoudre"...).

Voir composés en -lŭvō.




Consonne-S

M-S (Nemausŭm)

Voir Nemausŭs (emprunts au gaulois). C'est l'étymon de Nimes "Nîmes".





Consonne-T

(LPA:13)


B-T (cŭbĭtŭm)

(LPA:13)



cubitum

debitum > deute, deude

dubitum > doute

gabata > gauta

male habitum > malaut


BB-T

sabbatum > sabte (dissabte)


RB-T


cucurbitam > cogorda










C-T (*vŏcĭtŭm)

(LPA:17)

placitum > plait, plach... "querelle ; procès..."

vocitum > vuege "vide"


(métathèse T-C) Atacĕm  > *Adaze > *Azade > Azde > Aude (LNDFA), voir 3es palatalisations, voir sonorisation de t.


*vŏcĭtŭm > "vide"

plăcĭtŭm > "plaid" (> plaider, plaidoyer)

explĭcĭtŭm > "exploit"

făcĭtĭs > "(vous) faites", dīcĭtĭs > "(vous) dites"

fīcātŭm > fĭcătŭm > ficitu > (métathèse) fiticu > fetge "foie", voir fĭcătŭm ("Abrègement de certaines voyelles longues ?").



*vŏcĭtŭm "vide"

En préalable, il faut remarquer que l'AO comme l'AF ont des terminaisons identiques pour "vide" < *vŏcĭtŭm et pour "froid" < frīgĭdŭm :


- AO vueg (1) / *boit, fém vueja / boida (2) ; AF vuit, fém vuide ;

- AO freg (1) / freit, fém freja / freida (2) ; AF freit, fém freide.


(1) Le -g se prononçait /tʃ/, voir consonnes néoformées en finale ci-dessus.

(2) Les variantes fém *boit, boida "vide" sont gasc, bien attestées dans la langue contemporaine, voir carte ALF:1384 "vide". Concernant les variantes masc pour "froid", l'AO n'a que freg et freit, frei. La large répartition actuelle de fret [frét], hret [hrét] en gasc actuel est probablement issue d'une monophtongaison assez tardive de freit, hreit. Le type freit est conservé en Gironde, mais aussi dans le Puy-de-Dôme et dans les Alpes (carte ALF:612 "froid" ; il est dommage que le féminin n'y soit pas représenté ; il n'est question que du seul substantif "froid").



Ainsi cette constatation doit pouvoir aider à proposer un scénario pour l'évolution obscure de *vŏcĭtŭm, qui est sans doute similaire à l'évolution de frīgĭdŭm (ci-dessus).


Pour fr "vide" ; a.fr. vuit, fém vuide ; AO vueg, vǫig, *boit, fém vueja, vǫja, boida ; a.it. voito (> it vuoto), les linguistes donnent un étymon *vŏcĭtŭm, de vŏcŭŭs "vide", variante de văcŭŭs "vide" (FEW 14:595). Cet étymon paraît logique.

Cependant l'évolution détaillée *vŏcĭtŭm > a.fr. vuit pose problème aux linguistes, sans parler de l'évolution qui a mené à AO vueg, vǫig (je n'ai trouvé aucune proposition de scénario pour l'occitan).

Pour a.fr. vuit "vide", les scénarios sont de deux types :

- attraction précoce par -ct- comme dans factus (ce scénario me semble improbable) ;

- évolution précoce -citus > -gitus (influence de digitus ?) (ce scénario me semble très bien convenir).


La diphtongaison de ò :


Il y a diphtongaison ŏ > ʋò non seulement en français (a.fr. vuit "vide"), en occitan (AO vueg > vueje), en catalan (buit). Dans tous ces cas, on a affaire très certainement à la diphtongaison romane conditionnée par y.


Pour l'italien, vuoto est trompeur : la diphtongaison originelle est vòito (FR:292, LDIL:70). La diphtongue dans vòito s'est réduite : > voto, et vuoto est une hypercorrection qui ne s'est pas diffusée avant le XVIIe siècle (NSDT in Rosa Piro, 2004, Le "substantie"...:XIV). À partir du latin, G. Genot donne c > /y/ :


*vŏcĭtŭ(m) > */voyito/ > voito > voto > vuoto (LDIL:70)


L'italien accepte difficilement les diphtongues descendantes, comme dans voito. Cela expliquerait la disparition de voito.

Voir aussi plăcĭtŭm > piaito > piato "plaid" (FR:292).


- Pour le français :

Pour le français, G. Straka (DLR:257), suivi par F. de La Chaussée (IPHAF:112), donnent une syncope précoce : vŏcĭtŭ(m) > */voktʋ/ >... "vide", idem pour plăcĭtŭ(m) > */plaktʋ/ >... "plaid". Pour l'occitan playt, on déduit la même position pour H. G. Herford quand il donne : plăcĭtŭ(m) > *plactum (> playt, plach... "plaid") (LPA:17). Les trois auteurs font explicitement le parallèle avec factum "fait".


J'interprète la pensée de F. de La Chaussée (il veut expliquer l'aboutissement a.fr. vuit Renart) : la syncope de vŏcĭtŭ aurait dû se faire tardivement car les sons k et t sont éloignés, donc comme dans -ātĭcu, au VIe siècle. Mais pour la placer avant la sonorisation t > d (vers l'an 400), IPHAF considère que c'est peut-être une syncope analogique sur le modèle de factu, et date cette syncope de la fin du IIIe siècle. Mais dans ce cas, on peut objecter que la palatalisation de -ki- aurait déjà dû affecter vŏcĭtŭ : donc cette syncope serait encore plus précoce, au plus tard au début du IIIe siècle.





*vŏcĭtŭ(m) (scénario de La Chaussée) (d'après IPHAF:112)
(scénario peu probable selon moi)



> (début IIIe siècle : syncope précoce par analogie avec factum) */vòktʋ/

> (évolution kt > yt) */vòɣtʋ/ > > */vòytʋ/
> (diphtongaison romane conditionnée par y) */vʋòytʋ/

> */vuit/
a.fr. vuit Renart



Cependant, le scénario ci-dessus n'explique pas d dans le fém voide (Roland), masc vide (Renart). Le modèle analogique pour */vòktʋ/, à savoir factum, a abouti à "fait, faite", donc */vòktʋ/ aurait dû aboutir à masc vuit, fém vuite. Je pense que l'a.fr. vuit peut s'expliquer simplement par l'apocope d'un type vuide et le durcissement de la consonne devenue finale.


D'un autre côté, Fouché donne une première étape précoce vŏcĭtŭ(m) > */vogitʋ/ (PHF-f3.:609).


Y.-C. Morin (SADP:126, note 15) propose une syncope "après la sonorisation des obstruantes intervocaliques" pour obtenir des "obstruantes sonores géminées", mais ne développe pas. Il rapproche ce cas de frĭgĭdŭm > */frégdó/. Ici */vòddʋ/ ?).


*vŏcĭtŭ(m) (scénario sur la base de Fouché, PHF-f3:609)
(scénario très probable selon moi)

> (réfection ?) /vógitʋ/

> (1e moitié du IIIe siècle : spirantisation de g devant i puis > yy) */vòyyitʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisation de t) */vòyyidʋ/

> (vers la même époque : diphtongaison conditionnée par y) */vʋòyyidʋ/

> (syncope, protégeant d de l'amuïssement) */vʋòydʋ/



> (réduction de la triphtongue ʋòi > ʋi, mutation -ʋ > -ó) > * /vʋèidʋ/ > */vʋidó/

> (VIIIe siècle : apocope, antériorisation du ʋ) */vuid/

> (durcissement de la consonne devenue finale) */vuit/

> (vers l'an 1200 : bascule des diphtongues) */vüit/
a.fr. vuit Renart
> (analogie sur le féminin ci-dessous) */vüidə/
> (réduction de la diphtongue) /vidə/ → masc vide


vŏcĭtă(m)

> (VIIIe siècle : pas d'apocope au féminin) */vuidə/
fém vide




- Pour l'occitan :


Pour expliquer AO vueg, vǫig, fém vueja, vǫja, je ne vois pas d'autre solution que de poser une étape vŏjŭ, en latin populaire, provenant de vŏcĭtŭ, par "usure", usure encore plus forte qu'en domaine d'oïl ou qu'en Italie, avec t > ∅.


*vŏcĭtŭ(m) (scénario que je propose)

>




D-T (*adsĕdĭtăt)

(LPA:15)


*adsĕdĭtăt > (s')assèta "(il s')assoit" (voir verbes en -ĭtārĕ : *adsĕdĭtārĕ).

Le verbe *adsĕdĭtārĕ a abouti à oc assetar "asseoir", avec conservation de è (< ĕ) dans les formes rhizotoniques : s'assèta "il s'assied".


Pour le français, les exemples suivants ("assied", "assiette", "empiéter", "piéton") montrent que la syncope est postérieure à la diphtongaison romane spontanée.

*adsĕdĭtăm

> (diphtongaison, possible par l'absence d'entrave) *assiedita (possiblement [assiè̯ðéta])

> (syncope) *assiedta > *assietta

> (vers l'an 400 : la sonorisation est empêchée par l'entrave de tt) *assietta

> "assiette" (CNRTL "assiette")



pĕdĕs, -ĭtĭs "piéton" *pĕdĭtā > fr "piéter" (CNRTL "piéter") (voir "piéton", "empiéter") (voir verbes en -ĭtārĕ : *pĕdĭtārĕ)


pēdĭtŭm > oc pet "pet, vent", fr "pet"


cŭpĭdĭtās *cŭpĭdĭĕtāt > AO cobeja, cobeita et fr "convoite" < a.fr. coveitie (CNRTL: "convoiter") (voir aussi à P-D ci-dessus : cŭpĭdŭm)




G-T (Agăthăm)

(LPA:17)


Agăthăm > Agde ; Ata dans Sancha Ata retranscrit en "Saint-Chaptes" (30)


dĭgĭtŭm > AO dẹt, dit "doigt"

Voir aussi ci-dessus frīgĭdŭm.


cōgĭtăt > AO cuidar, cujar, cudar, cutar "croire, penser" : voir évolution de frīgĭdŭm avec les deux variantes freida et freja "froide".



G-NT (vīgĭntī, trīgĭntā)

Pour vīgĭntī "vingt", trīgĭntā "trente", quădrāgĭntā "quarante"..., voir g




L-T (Arĕlātĕm)

 


Dans le schéma L-T, il existe Arĕlātĕm "Arles" (sans doute prononcé Arĕlātĕ), et également lat. hālĭtŭs "souffle, exhalaison ; haleine" semble avoir un descendant actuel : béar alet, alit "haleine, souffle" (TDF) : ce dernier doit être étudié (emprunt au latin ? ou héritage ? En tout cas esp. hálito, it. alito sont des emprunts au latin).


Le latin sŏlĭtŭs "habituel", sŏlĭtŭm "chose habituelle" (voir fr "insolite" emprunté au latin) ne semble pas avoir de descendant populaire en occitan, contrairement à sŏlērĕ "avoir coutume" > oc soler.


Le latin călăthŭs "panier, corbeille" a des descendants en francoprovençal et dans les dialectes d'Italie du nord : FEW 2:61b : [tsó] Blon. "casier d'un bahut à grain", et dérivés ; Italie du nord : calto, colto ; cádora Côm. "panier à dos, hotte", etc. Voir aussi Prob:78.


Arĕlātĕm "Arles"

(EPF:123 et suiv., ETP:58-61)


Quel étymon ?


En provençal, le nom de la ville est Arle [arlé] (le -s français a été rajouté, comme dans certains noms de villes : "Lourdes", "Londres"). En AO : PVid Arle, GirRouss Arle, RaimTors Arlle.


D'abord, il faut remarquer que les étymons latins ci-dessous ne présentent pas la voyelle apophonique, sinon aurait Arŭlātĕ au lieu de Arĕlātĕ (voir Apophonies devant l pinguis). Cela confirme sans doute que le mot n'est pas d'origine latine, et qu'il n'a pas été influencé par le latin comme le fut Măssĭlĭă (voir étymologie de Marselha).


Selon F. Gaffiot (DGF:157), Ausone (292) emploie Arĕlăs, -ātis, César emploie Arĕlātē, indéclinable (C. 1, 35, 4 ; 2, 5, 1), et on trouve Arĕlātum, -āti et Arĕlātus, -āti, dans IA (289) (voir IAAH:archive.org) et Cassiodore (Var. 8, 10).

Normalement, c'est l'acc. Arĕlātĕ(m) qui a donné pr Arle "Arles" ; cependant Arĕlātĕ(m) aurait dû donner régulièrement un pr Arlat.


Certes, la filiation nom. Arĕlăs > pr Arle est tentante, mais Antoine Thomas (EPF:124) la réfute :

 "1° Il n'existe pas un seul exemple de formation d'après le nominatif dans les noms de lieu ;

  2° La correspondance phonétique entre Arelas et Arles n'est qu'apparente. Ce dernier point demande à être développé. Si Arelas était le point de départ de la forme vulgaire, le nom provençal ne pourrait être que Arlas. Or, en ancien provençal, comme en provençal moderne, on dit Arle et non Arlas. Dès le XIIe siècle, on lit dans une chanson de Peire Vidal : Anar / M'en volh ad espero / Entr' Arle e Tolo."

Charles Rostaing donne un troisième argument (ETP:59) :

"Aux objections d'A. Thomas, on peut ajouter qu'Arelas est une forme savante créée par des poètes."

En effet Ch. Rostaing déduit des occurrences latines que la forme Arelas, -atis, alors que "la Vie de Saint-Césaire, écrite dans la région d'Arles, ne connaît qu'Arelate ou Arelato."


Problème de l'accent tonique


Dans pr Arle, l'accent tonique sur le a initial peut s'expliquer de deux manières :


  - Selon Antoine Thomas (EPF:125), le nom. Arĕlăs > (syncope au contact de r, fin IIe siècle) Arlăs a influencé l'accentuation sur l'acc. Ar(ĕ)lātĕ(m) > Arlătĕm (voir le cas semblable : prĕsbtĕrŭm > *prĕsbĭtrŭ > "prêtre", PHF-f2:467).


  - On connaît de nombreux noms de villes en France qui ont conservé un accent particulier gaulois (voir Remarques sur les emprunts au gaulois) ; certes peut-être pas de quadrisyllabes avec l'accent sur l'initiale, comme un Arĕlātĕm, mais ce n'est pas du tout à exclure : à étudier.



Problème de la disparition de t


Après la syncope *Arelate > *Arlate, le second a a évolué en e : *Arlete, peut-être en passant par *Arlite : voir a en pénultième de proparoxyton. Comment expliquer l'évolution *Arlete > Arle ? Concernant arlatenc "arlésien", il est probable que ce soit une adapation savante de AO arlenc.


1. Pour expliquer la disparition de t, Antoine Thomas (EPF:124) propose le scénario *Arlede > (métathèse) *Ardele > *Ardle > *Arlle > Arle.

Cependant selon Albert Dauzat (NLOÉ:57, note 3), la métathèse dont il est question n'est pas possible : "La phonétique ne  permet  pas  d’admettre  la  métathèse proposée par M. A. Thomas (Essais, 124)." A. Dauzat ne développe pas cet argument : pourquoi cette métathèse serait-elle impossible ? Je pense que cette métathèse *Arlede > *Ardele n'est pas à écarter.


Je développe le scénario d'Antoine Thomas :


Arĕlātĕ(m)

> (syncope ancienne) *Arlā

> (influence du nominatif : déplacement d'accent sur la 1e syllabe) *Arlātĕ

> (t > d, affaiblissement a > e) *Arlede

> (métathèse) *Ardele

(On peut aussi placer la métathèse avant t > d : *Artale > *Artle > Arle)

> *Ardle > *Arlle > Arle.


2. H.G. Herford (LPA:20) estime que l'apocope *Arlede > Arle, comme dans tĕpĭdŭm > oc tebe "tiède", est plus probable que la métathèse *Arlatem > *Artle (ci-dessus). Mais cette apocope serait en opposition avec tout ce qui existe pour consonne-T : on ne connaît aucun exemple d'une apocope de type occitan (ci-dessus), mais seulement des syncopes : même dans les cas consonne-consonne-voyelle-T : hŏspĭtĕm > òste, compŭtŭm > comte (ci-dessous).


3. Il existe une troisième solution pour expliquer la disparition de t, qui est sans doute plus convaincante : il est tout à fait envisageable que *Arlede évoluât en *Arlee > Arle (voir le cas particulier où t intervocalique > ∅ au sud). C'est d'ailleurs le scénario proposé par Charles Rostaing :

(ETP:60-61) "Arlate a donné d'abord *Arlede : l'exemple de Mimate > Mende nous prouve que la chute de a post-tonique a été postérieure à la sonorisation des sourdes intervocaliques ; le -d- intervocalique se trouvant dans une position extrêmement faible, puisqu'il est placé entre deux syllabes inaccentuées, est tombé avant la chute de la voyelle post-tonique."






M-T (Mĭmătĕm)

(LPA:18 : pour l'autre, -m-t- > -nd-)

La quasi-totalité des mots occitans ci-dessous montrent un aboutissement en -nd-. Cela montre qu'une syncope s'est réalisée après les sonorisations.

Pour cŏmĭtĕm "comte" : influence savante ? syncope précoce ?


ămĭtăm > AO amda "tante" (a.fr. ante, ang.nor. aunte)

*Arenemĕtŭm > Arnempde > Arlempde (43)

*Cassematem > Chassemde, Chassempde > Chassende (43, "terroir de la commune d'Ours-Mons", NEPF:49)

cŏmĭtĕm > AO cọmte "comte", nom cŏmĕs > AO CR coms.

dŏmĭtŭm > AO domde "dompté"

*fĕmĭtăm > AO fẹnta, fẹnda, fẹmta, fẹmda, fienda "fiente"

Mĭmătĕm > Mende "Mende" (48)


RM-T

*tĕrmĭtĕm > tèrtre "tertre, colline"




N-T (gĕnĭtŭm)

(LPA:18)

anatem > anet "canard"

gĕnĭtŭm > gent, gen ; gĕnĭtăm > genta.

*vanito ? > van "vanterie"


GN-T

cognitum > coinde, cuende, conhde, cointe, conge "joli, gracieux, aimable"


RN-T

*Cornate > Cornde, Corde, Conde (hameau de la commune de Bains (43).



P-T (hŏspĭtĕm)

(LPA:13)


MP-T

compŭtŭm > AO cọmte, cọmde, cọnde "compte"


SP-T

hŏspĭtĕm > oste, osde



S-T (pŏsĭtŭm)

(LPA:16)

pŏsĭtŭm > post

prepŏsĭtŭm > prebost, prebosde



R-T (spīrĭtŭm)

(LPA:19)

spīrĭtŭm > AO espirt : c'est la forme héritée, esperit semble emprunté mais je me demande s'il n'y a pas eu métathèse espirt > esprit (> esperit ?) ; en tout cas il est évident que ce mot a une dimension savante chrétienne.



V-T (Brīvātĕm)

(LPA:15)


Brīvātĕm > Briude "Brioude" (43) : en latin classique, on a Brīvās, Brīvātĕm mais :

- soit son origine gauloise explique l'accent sur la première syllabe (gaul *Brivati "muni d'un pont") ; le gaulois acceptait l'accent sur la première syllabe même si la pénultième était longue ;

- soit l'accusatif a évolué sur le modèle du nominatif, comme il a été proposé pour Arle (ci-dessus), donc l'accent se serait porté sur la première syllabe : *Brīvătĕm.

Il faut remarquer que la syncope s'est réalisée après la sonorisation (Brīvātĕm > Brivade > Brivde > Briude), contrairement à ciutat (< cīvītātĕm). Par contre, en espagnol, cīvītātĕm > ciudad comme pour Bīvātĕm > Briude.






Consonne-V

N-V (Gĕnăvăm)

Gĕnăvă "Genève"



(GOG:63) "Genava, la forme la plus ancienne à laquelle nous puissions remonter, était un proparoxyton, dont l'accentuation primitive s'est conservée dans l'allemand Genf et dans le patois δənəva. Lorsque le français devint réfractaire à la prononciation proparoxytonique, la réduction en paroxyton s'effectua de façon différente suivant les régions."

Remarque : l'accent du mot allemand est un argument critiquable car l'allemand accentue tous les mots sur la première syllabe ; mais a.fr. Genve(s) (ci-dessous) est un meilleur argument.


(LNB:36) "César nous a transmis dans le De Bello Gallico le nom latinisé de l’une des trois capitales des Allobroges, Genève (les deux autres étant Vienne et Cularo / Grenoble). Les manuscrits de César proposent deux formes GENAVA et GENUA. Qu’ont fait les linguistes français ? Ils ont appliqué les lois évolutives du français de Paris, en partant du mot latin GENAVA et en ont obtenu très facilement Genève. C’est enfantin : il suffit d’accentuer GENĀVA sur la deuxième syllabe en lui donnant un a long et appliquer les lois les plus simples de la phonétique évolutive de la langue d’oïl pour l’explication d’un mot qui n’est pas en domaine d’oïl, mais en domaine francoprovençal. L’explication était si simple qu’elle a convaincu les latinistes eux-mêmes, si bien qu’un excellent dictionnaire latin-français (le Gaffiot) accentue GENĀVA sur la pénultième en lui donnant un a long. [...] Appliquons à un mot francoprovençal la phonétique francoprovençale et tout ira mieux." (Le texte comporte par la suite une erreur puisqu'il donne la forme phonétique latine de référence : ['genaːwa] avec accent sur ge et avec a long, alors que l'auteur veut donner un a bref).


Il me semble qu'on peut raisonnablement penser que :


- Gĕnăvă était un toponyme étranger au latin (a bref en pénultième) ;

- Lorsqu'il a été emprunté par le latin, sans doute à une époque très ancienne (latin archaïque ?), par apophonie (ă > ŭ) il a évolué en [génʋwa], transcrit Gĕnuă (ŭv écrit V). Ce pourrait donc être le même mot que Gĕnuă "Gênes", peut-être avec la même origine.


Les auteurs ci-dessus (GOG:63, LNB:36) dégagent trois voies d'évolution : 


Voie 1 : (syncope) Gén(e)va > a.fr., vaud Genve(s), Genvre(s), > all Genf.

Voie 2 : (apocope) Géne(va) > vaud Genne(s), adjectif Génois.

Voie 3 : (basculement de l'accent) : Géneva > Genéva > Genève.


Voir ci-dessus : Cannapis > canebe, Jacobus > *Jacomus > patr.sav. Jaquemoz (Jaquème).

Dans "Genève", pour l'explication du e en deuxième syllabe, comme dans canebe, Jaquemoz : il s'agit d'une neutralisation de la syllabe post-tonique (apophonie) : /a/ (forme Gĕnăvă) ou /o/ (forme *Gĕnŭvă) > /ə/.