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Réfection des déclinaisons
01-04-2025


(Partie en chantier, voir aussi apocope des formes déclinées où ce thème est développé).


L'ouvrage RLHI (pages 185 et suivantes) donne une excellente base pour comprendre l'évolution des déclinaisons latines dans les langues romanes.






I. Noms : de cinq à deux déclinaisons












Adjectifs : de deux classes à une classe.


Voir aussi : locutions médiévales figées de type maire grand, aiga bolhènt.


Les adjectifs latins se divisent en deux classes :

- adjectifs de 1e classe, suivant les modèles de rosa, dominus, templum ;

- adjectifs de 2e classe, suivant les modèles de la 3e déclinaison.


Parmi les adjectifs de la 2e classe, la plupart conservent leur déclinaison (avec évolution) jusqu'à l'AO : grandis, follis, fortis, legalis, regalis, viridis

mais ceux en -er ont très tôt tendance à s'intégrer à la 1e classe : pauper, eris "pauvre" devient pauperus, -a, -um.



(GHLF 2:264, remarque) : "La tendance à donner un féminin spécial aux adjectifs biformes remonte très haut. Déjà en latin on trouve pauperus paupera pour pauper. L'Appendix Probi remarque déjà qu'il faut dire : pauper mulier, non paupera mulier" ; la forme vulgaire en -us, -a se retrouve dans l'ital. povero - povera, et dans le prov. paubre - paubra. De même en gallo-roman communis, dolens, follis et mollis ont été remplacés par communus, dolentus, *follus, *mollus ; ces adjectifs présentent dès les plus anciens textes provençaux et français une forme spéciale en -a ou -e au féminin. Il en est de même de dulz - douce (prov. dous - dousa) qui remonte peut-être à un *dulcius pour dulcis, et de tous les adjectifs en -eis (-ensis) : courteis - courteise (prov. cortes - cortesa), franceis - franceise, etc."


Attestations antiques

Prob:42 :

pauper mulier non paupera mulier
"pauper mulier, pas paupera mulier [pauvre femme]"








II. De six à deux cas, puis un cas

Pour résumer :


Les déclinaisons latines se simplifient pour aboutir à trois cas, puis deux cas : cas sujet (< nominatif) et cas régime (< accusatif).


(Développer les 5 déclinaisons de noms, et les 2 classes d'adjectifs)




Système à deux cas du latin populaire



1e déclinaison
2e déclinaison
3e déclinaison
sg nominatif 
capră
mūrŭs
pānĭs

oblique capră
mū
pā
pl nominatif caprĕ / caprăs
mū
pānēs

oblique   caprăs
mūrŏs
pānēs


Tableau ci-dessus : système reconstruit du système à deux cas en latin populaire (d'après RLHI:188, j'ai rajouté la quantité des voyelles finales)



Cas régime :

Schématiquement, seul le cas régime subsiste aujourd'hui, en occitan comme en français (et dans les autres langues romanes ?) : c'est le cas qui a donné la plupart des formes actuelles des noms et adjectifs.


Au pluriel, le -s provient du -s latin à l'accusatif dans 1ed. rosās, 2ed. dominōs, 3ed. patrēs, 4ed. domōs, 5ed. rēs. Ce -s du pluriel est aujourd'hui caractéristique de la Romania occidentale par opposition à la Romania orientale, qui est caractérisée par un pluriel en -i, -e (it i ragazzi "les garçons", le ragazze "les filles").



Cas sujet :

Au pluriel, le cas sujet en -i en AO (seulement dans les premiers témoignages écrits) est signalé dans ÉMPACL (p. 35-37) (d'après Comptes rendus in Romania, Charles Rostaing, 1969).






Développement du tour prépositionnel


En parallèle de la réduction des déclinaisons, l'usage des prépositions devient beaucoup plus fréquent. Par exemple :

regis > de rege "du roi"



Les utilisations particulières de ăpŭd (> amé), mais aussi la créations de nombreuses prépositions combinées sont aussi une conséquence de la simplification des déclinaisons : *ăpŭd-hŏque (> "avec"), ăb-antĕ > abante (> avans), dē-intus ... (> deintus > dins), *dē-ex-post > despuei, etc.








Pluriels masculins asymétriques

A. Thomas (NPASM) attire l'attention sur l'existence en AO d'un "nominatif pluriel asymétrique", complètement absent de l'a.fr.. "Asymétrique" doit être compris comme une différence entre accusatif singulier (CRS) et nominatif pluriel (CSP), alors que le "système classique" montre une forme identique pour CRS et CSP (exemple : mur) et une forme identique pour CSS et CRP (exemple : murs).




paradigme classique (symétrique)
   
paradigme asymétrique

singulier
pluriel

singulier
pluriel
cas sujet
auzels
auzel

auzels
auzelh
cas régime
auzel
auzels

auzel
auzels






Tableau ci-dessus: paradigmes masculins symétrique et asymétrique (cas de auzel < avicellus "oiseau"). 




En étudiant les textes en AO, l'auteur aborde en fait deux types de formes CSP causant l'asymétrie :


- formes obtenues par dilation de ī final

La dilation par ī final est aussi connue pour les "démonstratifs" (voir notamment ĭllĕ > ĭllī > il).


Voici des exemples : (Boeci) auzil < ăvĭcĕllī, (source ?) cabil < căpellī ; la symétrie exige auzel et cabel. Mais A. Thomas (NPASM:357) estime que "l'l finale peut être mouillée sans que la graphie accuse ce mouillement". Il est alors possible que i soit issu de la fermeture devant lh.



- formes obtenues par palatalisation (par ī ?)


À partir notamment de l'étude de LSid, A. Thomas déduit une règle pour ces formes asymétriques : "Tous les mots masculins (participes, adjectifs ou substantifs) dont le radical se termine, en latin ou en germanique, par t, d (précédés ou non d'une consonne), II, nn, rn — et ces mots-là seulement — subissent la palatalisation au nominatif pluriel : t et d deviennent h, Il devient Ih, nn devient nh, rn devient rh." (NPASM:355)


Il donne par exemple : (LSid) monh "mondes", elemenh "éléments", efanh "enfants", anh "ans", auzelh "oiseaux" ; (SFoi) donzeill "damoiseaux".


Il ne signale pas les démonstratifs et les articles, qui me paraissent suivre la même loi : aquelh, lhi.


Par ailleurs, un problème d'interprétation graphique se pose, sans que l'auteur ne soulève le problème : formah (pour format), esperih (pour esperit), peccah (pour peccat). A. Thomas parle de palatalisation, mais comment ce -h était-il prononcé ? À la façon espagnole comme dans Madrid ? (θ).


Enfin, l'auteur conclut qu'il n'a fait que signaler des faits, et qu'il convient de les expliquer, dans une étude dont il propose le titre : "du rôle de l'ī des nominatifs pluriels latins dans la déclinaison des parlers romans de la Gaule" (NPASM:363). Force est de constater que plus d'un siècle après sa publication, les pluriels masculins asymétriques n'ont pas soulevé l'enthousiasme des linguistes, puisqu'aucune nouvelle étude n'est parue sur ce sujet.





III. Changements de déclinaison
   


A. Du neutre au féminin (rāpŭm > raba)
   

Voir RLHI:193-194. Au nominatif et à l'accusatif, tous les neutres pluriels latins ont pour désinence . Cela est vrai pour tous les noms neutres :

- les neutres de la 2e déclinaison : prātŭm, -ī "pré" : prātă ;

- les neutres de la 3e déclinaison : tempŭs, -ŏrĭs "temps" : tempŏră ;

- les quelques neutres de la 4e déclinaison : gĕlŭ, -ŭ "gel" : gĕlŭă (mais employé surtout à l'ablatif gĕlū).


Cette caractéristique a mené à une réinterprétation des neutres pluriels en féminins singuliers de la 1e conjugaison (rosa), dès le latin classique.


mirabilium > mirabilia ; (avec peut-être AO meravẹlh provenant du neutre singulier conservé mirabilium)

morum > mora (> amora, "mûre") ;

opus (neutre) > pluriel réinterprété en féminin singulier opera (> òbra, "œuvre") (idem pour pecus > it. pecora "brebis")

(Columelle) rapum > rapa "navet, rave" in RLHI:193 ;






Par ailleurs, je me demande si une notion de pluriel (sens collectif) n'a pas pu jouer dans certains cas : voir *baccŭlŭm "bâton" > *baccŭlă "ensemble des bâtons, gaulis" > blaca.





B. De -ăm à -ānĕm (scrībăm > escrivan)
   


Voir suffixe -an.


Des noms de personne de la première déclinaison (en -ă, -æ), majoritairement féminins, mais aussi parfois masculins, ont acquis un nouveau paradigme en -ă (-ā?), -ānĭs (troisième déclinaison).


Exemple :


lat.class. n. m. scrībă, ac. scrībăm

> lat.vulg. n. *scrībă/ā? (1),  ac. *scrībānĕm

> AO CS escrivans (1), CR escrivan "écrivain"



(1) En latin vulgaire, je pense que n. *scrībă/ā? a dû acquérir rapidement une forme sigmatique, par exemple *scrībānĕs, représentant une étape vers la déclinaison symétrique de type (murs "mur") : CS escrivans, CRP escrivans < *scrībānēs.


La part de l'influence de la déclinaison des noms de personne en , -ōnĭs, ainsi que la part de l'influence des flexions d'origine germanique sont discutées, mais je pense qu'on doit distinguer deux couches :

- la première couche concerne les mots du latin vulgaire commun (type *scrībānĕm > escrivan, "écrivain") dont l'origine germanique est possible ;

- la seconde couche est représentée surtout en a.fr., ancien francoprovençal et anciennes langues rhéto-romanes affectant les prénoms féminins (type a.fr. Berte / Bertain) et les noms de rivières (type a.fr.pr. Isera / Iseran), dont l'influence germanique semble assurée. Concernant les noms de rivières, voir à ce sujet l'article d'un grand intérêt hydronymique, d'Antoine Thomas (EPF:41-48, partie "noms de rivières en AIN", dont je donne un extrait à l'étymologie de -an(2)). 


Le paradigme AO CS puta / CR putan, a.fr. pute / putain a une origine incertaine, voir ci-dessous (il faut notamment mieux étudier l'origine de l'italien puttana : ancien gallicisme ou non).


Pour le français, -ānĕ(m) évolue régulièrement en -ain, voir a devant nasale ; pour l'occitan, -ānĕ(m) évolue en -an.


Le mot masculin lat.class. naută "matelot" a même pu donner les deux formes accusatives, en -ānĕm et en -ōnĕmacc *nautānĕm, acc *nautōnĕm > AO nautanier / nautonier ; voir naută (Influence de au sur t).



LPC

occitan
-ăm > -ānĕm
> -an



ăvĭăm > ăvăm > ăvānĕm (1)

a.g. aban, auan, abaa "aïeule, grand-mère" (2)





















Tableau : évolution -ăm > -ānĕm dans les noms communs.

(1) Pour les régularisations morphologiques du couple ăvŭs "grand-père" / ăvĭă "grand-mère", voir l'étymologie de avi.

(2) Pour l'évolution de v en gascon



Voici les passages clés de Wilhelm Meyer-Lübke (GLR2:27-28) :


"Les noms propres de femmes et les noms qui désignent des personnes féminines, plus rarement d'autres substantifs de cette classe, forment, dans le français et le rhétique, leur cas oblique en -an, leur pluriel en -anes [pour le français, en -ain(s)]. On rencontre les formes déclinées amita amitanis ["tante"] dans les chartes latino-romanes de la France orientale, de la Rhétie, du royaume lombard, et l'ancien français en offre encore le reflet dans Berte, Eve, Pinte, Guile, Fole, ante, pute, nonne avec leur accusatif Bertain, Evain, Pintain, Guilain, Folain Car. 147, I, antain, putain, nonnain [...]"

"Sa limitation aux seules régions contiguës aux pays germaniques annonce qu'il s'agit ici d'une imitation de la flexion germanique -a, -un, imitation née sous l'influence de la déclinaison -o, -onis, (qui se trouvait dans le latin Nero Neronis et le germanique Karlo Karlon) et qui eut pour point de départ les noms propres empruntés aux langues germaniques, puis qui passa aux noms appellatifs les plus étroitement apparentés aux noms propres."

"Un phénomène apparenté au précédent apparaît dans les rares masculins en -a conservés par la langue populaire, en tant qu'il se rattachent aux mots en -o. Scriba, barba (oncle), tata, atta (père), guardia (gardien), ont comme accusatifs scribane, barbane, tatane, attane, guardiane [1], d'où viennent l'ital. scrivano, le franç. écrivain, l'esp. escriban ; l'ital. guardiano, le franç. gardien, l'esp. guardian ; l'ital. barbano ; le roum. tată, au gén. tătîne Arch. Jas. I, 249, au plur. tătînrĭ Cod. Vor. ; le tarent. attane. Cf. aussi le calabr. tsianu (où doivent être amalgamés barbanu et tsiu) et l'a.-franç. ermitain, qui existe à côté de ermite."


[1] L'auteur aurait dû mettre l'astérisque (*) à tous ces accusatifs.



Voici l'intégralité du paragraphe de Veikko Väänänen, avec des exemples d'inscriptions latines entrant dans ce schéma (ILV:109 §239) :


« Déclinaison en -a, -ānis (et , -ēnis). — Sous l'influence de la distinction qu'on faisait en parlant de personnes entre le cas sujet et le cas régime, la flexion des thèmes à nasale du type latro, -ōnis, Otho, -ōnis a été étendue aux thèmes en -a (et en des noms grecs) : CIL X (Pozzuoli) 2965 mamani, ibid. 3646 (Misenum) tatani, ibid. 6402 Barbanem (Tarente) acc. de Barba, VIII 383 Barbani [datif] ; Pompéi 5797 et 5859 Cypareni dat. de Cypare (de même CIL VI et X 294) ; PerAether 23, 3 nomine Marthane, Fredeg. Berthanem1.
Cette déclinaison survit en a.fr., ante, antain < amita, -ane 'tante', none, nonain < nonna, -ane, pute, putain (> it. putta, puttana) < *putta, -āne ? (§ 112)2 ; it. dial. barba, pl. barbani, amita, pl. amitāne (Rohlfs, Ital. Sprache, II § 371) ; noms de femmes en a. fr. Eve, Evain, Berte, Bertain, etc. ; roum. mamă, tată ["papa"], gén.-dat. (anc.) mămîni, tătîni.


1. J. Jud, Recherches sur la genèse et la diffusion des accusatifs en -ain et en -on, Thèse de Zurich, 1907 ; J. Jud faisait intervenir un superstrat germanique ; mais cette influence est exclue au moins pour les cas de , -ēnis de Pompéi.

2. REW 6890 pūtus, *pūttus ["enfant"] ; cette étymologie, étayée par it. putto, putta [REW:515 a.it. putto "garçon", putta "fille", fr. putain, prov. puta, putana], nous paraît préférable à pūtidus, étymologie proposée par W. Foerster et reprise par Wartburg, FEW, t. 9, p. 636. »



Concernant les noms germaniques avec changement d'accent  (PHF-f2:150, remarque III in fine) :

« Parallèlement [aux noms masculins, type Hūgo > v.fr. Hue ; Hūgon > *Hūgōnem > v.fr. Hugon] les noms propres féminins germaniques en ´a, ´an ont pris à l'accusatif la terminaison -áne ; cf. Álada > Aude, Bértha > Berte, Gisĭla > v.fr. Gisle, etc., mais Áldan > Aldánem > v.fr. Audain, Bértan > Bertáne > v.fr. Bertain, Gísĭlan > Gisilánem > Gislain-Guislain, etc. »



Enfin, l'article cité ci-dessus "noms de rivières en AIN" dans (EPF:30-50) est important pour l'hydronymie, voir des extraits à -an(2)