Cette diphtongaison n'affecte que l'occitan et peu de mots ; elle a été
peu étudiée.
Schéma général :
/i/
> /i̯é/ (et ses
évolutions) : anguillăm > anguīlă(m) > anguiela
"anguille"
/u/ > /ʋ̯ò/ (et ses évolutions) : mūlă(m) > muòla "mule"
Exemples :
anguillăm > anguīlă(m) > anguiela "anguille", avec évolutions : anguièla, anguiala (languedocien), anguila (niç., lim. dauph.), enguila (gasc.) (TDF)
mūlă(m) > muòla "mule", avec évolutions : muela, miòla, muala... ; mula (u non diphtongué) seulement en gascon et limousin (TDF).
Parfois : /é/ > /iè/ (GIPPM-1:134)
(GAP:71) "I + L. — I long suivi de l développe dans certains dialectes un e ou un a : iel, ial. Les exemples ne sont pas très nombreux dans les textes anciens ; cependant on en trouve dès le XIIIe siècle.
Ex. Mille > mial; villam > viala ; aprīlem > abrial (on trouve aussi, suivant les dialectes, miel, viela, abriel) ; filum > fial, etc."
(GAP:83) "Dans mūlum, cūlum, un o
s'est développé entre ü et l (note infrapaginale : Comme
un e ou un a se développe entre ī et l ;
cf. supra) : d'où müol, cüol, puis plus tard mi
[la seconde note infrapaginale n'est absolument pas claire].
Exemples :
latin
|
|
français
|
|
occitan
|
-īl- > -il- |
-il- |
-i̯é- | ||
anguillăm
>
anguīlă(m) |
anguille |
anguiela |
||
aprīlĕ(m) |
avril |
abrieu |
||
argīllăm > argīlă(m) | argile |
argiela (argela...) |
||
fīlārĕ |
filer |
fielar |
||
fīlŭ(m) |
fil |
fieu |
||
mīlĭă
(pl. de mīlle) |
mille |
var. Miela... (1) | ||
pīlă(m) |
pile |
piela (2) |
||
vīllăm
> vīlă(m) |
ville |
viela |
||
-ūl- > -ul- | -ul- |
-ʋ̯ò- |
||
cŭcūlŭ(m) |
coucou
(3) |
coguòu, coguieu |
||
cūlŭ(m) |
cul |
cuòu, quieu |
||
mūlŭ(m) |
mul
(a.fr.) "mulet" |
muòu |
||
mūlă(m) |
mule |
muòla |
||
Tableau ci-dessus. Diphtongaison devant -l- absente en français, mais présente en occitan.
(1) Pour mīlĭă (pluriel de mīlle), la prononciation [l] et non [y] dans fr "mille", oc mila, miela... pourrait être expliquée par la reformation sur le singulier mil (c'est l'explication que donne FEW 6/2:91b pour l'italien, mais pour le français, son explication n'est pas très claire : influence du latin ?). La variante miela est attestée notamment dans Lei Mielas "Les Milles", hameau d'Aix. L'origine en est l'unité de mesure mila, de mille passus "mille pas" : nombre entier de milles entre Aix et Marseille.
(2) Cela vaut pour les deux étymons : pīlă "mortier, auge" et pīlă "pilier, colonne".
(3) La forme française "coucou" a conservé le -k- par influence du cri de l'oiseau ; par ailleurs elle est héritée d'une forme cŭcŭlŭm, issue de cŭcūlŭm par assimilation des deux voyelles (également par influence du cri de l'oiseau) : CNRTL.
Détails :
Cette diphtongaison affecte l'occitan et pas le français.
Elle affecte i
et u
Elle se réalise "par l'arrière" (c'est la partie finale de la voyelle qui se modifie) et elle aboutit à une diphtongue ouvrante. Cela signifie que son degré d'aperture croît au cours de son émission (la bouche s'ouvre davantage) : i > i̯é ; u > ʋ̯ò.
Elle n'affecte pas les mots avec l
+ ĭ, ă en
Datation : Elle est probablement ancienne, peut-être contemporaine de la diphtongaison française qui a lieu dans le nord de la Gaule (voir diphtongaison française) : VIe siècle (voir ci-dessous mon raisonnement : avant l'antériorisation du son u). J. Ronjat (GIPPM-1:126) donne les attestations viela, abriel dans SÉnim.
Étudier (GIPPM-1:117).
Pour i, voir (GIPPM-1:125).
Pour u, voir (GIPPM-1:129). Le problème est que J. Ronjat n'envisage pas si le ū latin est encore réalisé /ʋ/, ou s'il est déjà réalisé /u/ (antériorisation du ʋ aux VIIe, VIIIe siècles).
(Raisonnement personnel, 2025)
S'il est toujours difficile de rechercher les causes d'un changement
articulatoire dans une société disparue, ici j'estime qu'il est très
tentant d'invoquer le rôle du
L'effort des galloromains pour prononcer le l pinguis selon les
standards de l'époque, avec utilisation de la gorge, a dû intervenir sur
l'articulation en position
On peut même invoquer l'interprétation biaisée d'un néo-latinisant à
l'écoute de [iː
speakmoreclearly.com : « Un autre exemple est le mot "felt"
["feutre"]. Vous devez déplacer votre langue de la position de la
voyelle "e" au son /
Par contre il semble difficile d'invoquer l'influence ouvrante de l, car alors on aurait du mal à expliquer pourquoi r n'aurait pas eu la même influence : on dit dire, rire, vira (< dīcĕrĕ, rīdĕrĕ, *vīrăt) sans diphtongaison de i ; on dit cura, mur, pur, purga, segur (< cūrăm, mūrŭm, pūrŭm, pūrgăt, sēcūrŭm) sans diphtongaison de u.
Je propose les scénarios suivants pour l'évolution de ūl dans cūlŭm "cul", qui mènent à nos deux variantes dialectales cuòu et quieu :
Ci-dessous, il faut que je revoie le type quieu (comparaison avec le type fuòc / fuec ?).
cūlŭ(m) > (
→ (voie 1) (antériorisation du ʋ) */küòl/ > (vocal. du l) cuòu /küòʋ̯/ > (différ.) */ki̯òʋ̯/ > */ki̯èʋ̯/ > quieu /ki̯éʋ̯/
→ (voie 2) > (
Les scénarios que je propose ci-dessus sont peu différents mais un peu
plus détaillés que ceux proposés par J. Ronjat pour les deux solutions
menant à quieu. Ils méritent
d'être mieux étudiés.
Selon GIPPM-1 (p. 130) :
- cūlŭ(m) > cuòu > (différ.) *quíu /kiʋ̯/ > quieu /ki̯éʋ̯/
- cūlŭ(m) > *cuel
> *cuéu /küéw/ > /ki̯éw/
> quieu
/ki̯éʋ̯/
Outre les cas du tableau ci-dessous, je cite :
- (de audire) AO auzil > auziel "ouïe" (GLR1 :64) ;
- aqui l'an cargat > aquiel an cargat (GLR1 :64) ;
- ...