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Transcription phonétique, variations régionales de la prononciation, et quelques problèmes d'orthographe
   
07-09-2023
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I. Transcription phonétique
 

La transcription utilisée n'est pas celle de l'alphabet phonétique international, peut-être difficile pour beaucoup de français. Mais c'est à peu près celle utilisée par le CNRS pour l'atlas linguistique de la France (par exemple l'ALEP), c'est-à-dire l'alphabet de Rousselot-Gilliéron (ou de l'abbé Rousselot).


Cependant j'ai remplacé plusieurs symboles de ce dernier alphabet par des symboles de l'API ; pour les cas peu intuitifs, je mets le plus souvent des infobulles pour être clair.



A. Accent tonique
 

Une syllabe soulignée porte l'accent tonique :


Cantar [kãta] (chanter), canta [kãto/a] (il chante)


Je souligne indifféremment la syllabe ou la voyelle tonique.





B. Voyelles 
 
1. Durée (quantité vocalique)

 

La durée vocalique, ou quantité vocalique, est très généralement brève en provençal (quantités vocaliques en occitan). Il me semble que quand on entend des voyelles longues, c'est seulement dans un discours emphatique.


Le français parlé avec l'accent méridional est d'ailleurs caractérisé par l'absence des voyelles longues.


Le cas des voyelles nasales est particulier (ci-dessous).


Quand elle existe, une voyelle longue est notée suivie du symbole [ː] comme  [].



2. Voyelles simples
 


a. Triangle vocalique
  
Diphtongaison_romane_dans_la_Romania.jpg

Le triangle vocalique de l'occitan. Ce type de schéma permet, dans toutes les langues, d'avoir une représentation des voyelles utilisées dans un repère à deux axes.

  - L'axe "antérieures-postérieures" représente la profondeur du point d'articulation, c'est-à-dire la partie de la bouche employée pour prononcer les voyelles (avec la langue à l'avant ou à l'arrière de la bouche).

  - L'axe "ouvertes-fermées" représente le degré d'ouverture (ou d'aperture), c'est-à-dire la position de la langue plus ou moins rapprochée du palais quand on prononce ces voyelles.


Pour le français, on doit distinguer deux a différents : [a] et [ɑ], d'où une forme de trapèze du schéma (triangle ou trapèze vocalique). La série ɑ-ò-ó-ʋ est prononcée avec les lèvres formant un rond, d'où le nom de voyelles arrondies. Il en est de même pour la série œ-ë-u. Les autres sont non arrondies.


  Ce schéma concerne l'occitan standard, et le provençal standard, mais il existe d'autres voyelles selon les dialectes et les locuteurs, voir ci-dessous [e], [o], voyelles de timbre intermédiaire.



b. Liste des voyelles simples
  

[a] = a

[ë] = e fermé (comme dans "jeu", "feu")

[œ] = e ouvert (comme dans "peur", "œuf")

[é] = é fermé (comme dans "purée") - C'est la e estrecha.

(/é/ était parfois noté en graphie médiévale ; voir "Du latin au provençal 2" e point souscrit). 

[è] = è (comme dans "mère", "fer") - C'est la e larga. La bonne prononciation [é] ou [è], bien que fluctuante dans certains mots (soleu, pebre) est en général très importante pour avoir le bon accent. Voir aussi prononciation de en.

(/è/ était parfois noté ȩ en graphie médiévale ; voir "Du latin au provençal 2" e caudata).

[e] = voyelle intermédiaire entre é et è. Cette lettre est souvent employée pour retranscrire un e prétonique, mais on peut hésiter avec la suivante [ə].

[ə] = "schwa", voyelle neutre, centrale, qui existait par exemple en français en fin de mot féminin : "canne", "voiture", et que certains prononcent encore surtout dans le midi.

[i] = i

[ó] = o fermé (comme dans "flot", "peau") - C'est la o estrecha.

(/ó/ était parfois noté e graphie médiévale, par analogie avec ci-dessus).

[ò] = o ouvert (de homme, sol) - C'est la o larga.

(/ò/ était parfois noté ǫ en graphie médiévale, par analogie avec ȩ ci-dessus).

[o] = intermédiaire entre ó et ò

[u] = u (comme dans "sûr")

[ʋ] = ou (comme dans "poule").




3. Voyelles "nasales"

 

Dans cantar, lòng, anèm, les voyelles "nasales" sont prononcées "avec un fort accent méridional" (voir voyelles "nasales" provençales). La voyelle est partiellement nasalisée, ce qu'indique le tilde (~) (voire pas du tout nasalisée) ; et une consonne nasale est sensible à sa suite, mais peu prononcée, donc écrite en exposant : par exemple [ò̃ŋ] dans lòng "long".

Très souvent, les voyelles "nasales" sont mal prononcées par les néo-provençalisants, qui réalisent par exemple en finale soit un -g (lo pan [pãŋg], soit un -n (lo pan [pan]).


La consonne nasale peu prononcée sera :

- m devant p, b (acampar, semblar) ;

- n devant t, d (sentir, candèla) ;

- ŋ dans les autres cas : lònga lò̃ŋgò/a], encara [é̃ŋkarò/a]..., pan [pãŋ], fen [fé̃ŋ], prim [prĩŋ], codonh [kʋdʋ̃ŋ]...


Je n'ai pas placé ŋ, m, n pour le moment dans les articles du dictionnaire (par simple négligence).


Pour la longueur (quantité) des voyelles nasales, voir la longueur des voyelles nasales toniques en pénultième.


[ã] = a partiellement nasalisé : França [frãŋso/a] "France".

[é̃] = é partiellement nasalisé : lenga [lé̃ŋgo/a] "langue". Voir ci-dessous prononciation de en.

[è̃] = è partiellement nasalisé : anèm [anè̃ŋ] "(nous) allons" - la différence entre [é̃] et [è̃] est parfois ténue, mais elle existe et elle est très importante pour avoir le bon accent. Voir ci-dessous prononciation de en.

[ẽ] = son intermédiaire entre les deux sons précédents.

[ĩ] = i partiellement nasalisé comme le i de "ping-pong" (sans entendre aucun g) : vin [vĩŋ] "vin".

[ò̃] = o ouvert partiellement nasalisé comme le o de "ping-pong" (sans entendre aucun g) : tròn [trò̃ŋ] "tonnerre".

[ũ] = u partiellement nasalisé : mesclum [mesklũŋ] "mesclun, mélange de salades vertes". Cette voyelle nasale est plus ou moins ouverte selon les régions et les locuteurs, parfois proche de [œ̃].

[œ̃] = œ partiellement nasalisé : luench, une des prononciations : [lüœ̃ŋ].

[ʋ̃] = "ou" partiellement nasalisé comme dans "kung-fu" (sans entendre aucun g): Avinhon [aviñʋ̃ŋ]




4. Éléments non accentués de diphtongues

 

À l'intérieur de diphtongues (ou de triphtongues), il existe un (ou deux) éléments non accentués, ou éléments faibles. Cependant la distinction entre élément faible de diphtongue et semi-voyelle (appelée aussi semi-consonne ou glide : ci-dessus) a été négligée pendant longtemps par les linguistes, et aujourd'hui la situation n'est pas claire. Voir Diphtongues : discussion.


Pour le moment dans les articles du dictionnaire, je n'ai utilisé que les semi-voyelles pour la retranscription phonétique (y, w, ü). Dans de nombreux cas, la bonne transcription devrait être : i̯, ʋ̯, u̯ pour les trois éléments ci-dessous.


[y] = paire [payré], familha [famiyo/a]

[w] = soleu [sʋw]

[ü] = buòu [büòw] (bœuf)


J'attends de disposer de nouvelles études pour être plus clair sur ce point. En une première approche, il me semble que certains informateurs au nord du mont Ventoux prononcent de vraies diphtongues.



5. Voyelles de timbre intermédiaire

 

Dans plusieurs cas, l'emploi de voyelles de timbre intermédiaire a été nécessaire, par exemple pour représenter le son intermédiaire entre o et a. L'alphabet de Rousselot-Gilliéron a prévu pour cela un système de voyelles superposées (ex : aͦ = son intermédiaire entre o et a). Mais je me suis heurté à des problèmes techniques pour retranscrire la diversité des situations. J'ai donc choisi de représenter par exemple par [(oa)] un son intermédiaire entre o et a.



6. Voyelles réduites

 

Une voyelle peu prononcée, qui peut être à peine perceptible, est écrite en exposant (petite lettre en hauteur), par exemple a réduit : [a].




C. Consonnes

 

Les lettres ont les mêmes valeurs que les lettres françaises, avec les précisions suivantes :

- [ʃ] prononcé "ch" : chivau [tʃivaw] "cheval" ;

- [s] prononcé "ss" : caçar [kasa] "chasser" ;

- [g] prononcé comme dans "gare" : agantar [agãta] "attraper" ;

- [ṙ] = r "roulé" (dans certains terroirs ; voir ci-dessous dans les variantes régionales, les deux types de r "roulé") ;

- [ñ] = gn : montanha [mũtaño/a] "montagne" ;

- [λ] = l "mouillé" (comme dans l'italien voglio "je veux" ; jadis le lh occitan était prononcé ainsi dans tout le domaine d'oc, mais à présent le l "mouillé" n'existe que vers l'ouest (Gard...), l'extrême nord du domaine étudié... Le lh est à présent réalisé en général [y] dans les deux départements étudiés.


- [h] (pour mémoire) : quelques données comparatives en gascon utilisent le son [h], qui est un h aspiré (h fricatif). Il provient de l'évolution du f. Parfois, à l'écriture, on est obligé d'utiliser le point intérieur, qui permet de distinguer nh et n·h, ainsi que sh et s·h. Exemples : des·har, variante de desfaire "défaire", in·hèrn, variante de infèrn "enfer".




Semi-consonnes (ou semi-voyelles, ou glides)

 

Les semi-consonnes sont y, w, ü ; elles ont un statut très fluctuant selon les linguistes (consonnes, semi-consonnes, semi-voyelles, glides). Elles sont difficiles à distinguer des éléments faibles de diphtongues (ci-dessous). En latin, j et v étaient des consonnes, voir yod et waw en latin).

Pour l'occitan, par exemple dans filha "fille", la valeur ancienne de lh [λ] (ci-dessus) a en général évolué, comme pour le français, vers [y] : [fiyo/a]. En position intervocalique, les autres semi-consonnes sont rares : w est limité presque uniquement au gascon, ü existe-t-il en position intervocalique ?



Consonnes réduites

 

Une consonne peu prononcée, qui peut être à peine perceptible, est écrite en exposant (petite lettre en hauteur), par exemple r réduit : [r], ŋ réduit : [ŋ] (ci-dessous pour les voyelles "nasales").





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II. Variations régionales de la prononciation
 
A. Voyelle finale atone du féminin : [o/a]

 

La voyelle finale atone du féminin a est prononcée selon les terroirs [o], [a], ou [ə]. La prononciation [a] est la plus ancienne (voir latin, italien, espagnol), et elle est conservée dans les zones hachurées sur la carte. J'ai choisi d'écrire [o/a] ; chacun peut la prononcer avec le timbre de son choix. Par exemple, la pèira = la pierre, est transcrit [yro/a] ; ce mot peut être prononcé [yro], [yra], [pèyrə], et les intermédiaires.



B. Prononciation de u

 

Le u se prononce [ë] (e fermé comme dans jeu) dans certains terroirs assez nombreux. Par exemple, susar = suer, est transcrit [suza], mais peut être prononcé [sëza].

Étudier l'ancienneté de ce phénomène (antériorisation du u latin).




C. Prononciation de e, é, è.

 

Merci à Bernard Moulin pour ses informations.


Les e, é, è posent parfois problème.


1. Règle générale : respect de l'origine étymologique

 

Logiquement, le e ou é du provençal se prononce toujours [é] ("e" estrecha) : la carreta, la cresta, crénher, prenes "tu prends". Le è se prononce toujours [è] ("e" larga) : la tèsta, lèst, tèrra. Dans ces mots, la valeur du e ouvert ou fermé est constante dans tout le domaine d'étude, et on se doit de bien le prononcer. La prononciation et l'orthographe sont ainsi en conformité avec l'étymologie : è provient du ĕ latin, /é/ provient du ē ou du ĭ latins (voir ici dans : Du latin au provençal).


Les néo-provençalisants sont parfois approximatifs, notamment dans la prononciation de mots comme carreta (charette) : la prononciation est toujours [karéto/a], alors qu'avec l'influence du français, on a tendance à le prononcer [kato/a]. (Bernard Moulin, comm. pers.).



2. Variations autour de la règle générale

 

La prononciation de certains mots peut dépendre des locuteurs ou des régions, et il est connu que les provençaux prononcent en général conseu, soleu, veire avec un e ouvert /è/ (voir ci-dessous un texte de Robert Lafont). L'idéal est de bien écouter la prononciation des locuteurs ayant appris la langue "au berceau". Il faut souvent raisonner au cas par cas. Le TDF note beaucoup de variantes, par exemple soulèu et souleu, mais elles ne sont pas toutes répertoriées. L'ALEP est aussi une très bonne source. Nous tentons d'approfondir la question dans ce site, pour chaque mot où cela pose problème.

Cela dit, la connaissance des règles de l'évolution depuis le latin jusqu'à l'occitan reste la base, comme expliqué ci-dessus.


Certaines grandes tendances sont expliquées dans les Préconizacions dau CLO (source archivée ici, p. 138).


Concernant la graphie, les Préconizacions dau CLO (ici, p. 139) précisent :

"Quand se sent lo besonh de notar estrechament un parlar determinat, es admés de repartir "è" e "e/é" per notar la pronóncia locala exacta. Aicí la forma referenciala es en gras e la varianta en maigre: castèu (varianta: casteu), parlèsse (var. parlesse), prètz (var. pretz), soleu (var. solèu), temps (var. tèmps), ven (var. vèn), Provença (var. Provènça), sciéncia (var. sciència)…" (pour temps, ven, lexique-provence préconise au contraire la graphie tèmps, vèn ; voir les arguments ci-dessous : prononciation de en, én, èn).


Par ailleurs devant r (ou rarement l), e se prononce [è]. Il s'agit de l'influence ouvrante de r. Par exemple vergueta se prononce [vèrto/a].


Enfin il faut signaler que le e prétonique se prononce souvent [e], c'est-à-dire avec une prononciation intermédiaire entre [é] et [è]. Par exemple : petit [peti]. 


Aurelha, aurilha (oreille) : certains mots se prononcent avec un e fermé, qui devient très fermé dans certaines régions (intermédiaire entre [é] et [i], et qui est même parfois réalisé [i].      

Exemples : Aurelha, botelha, abelha, Marselha.

à continuer (le [i] est-il étymologique ou secondaire à [é] ?).

Les mots en -ier, ièr ?


Ce domaine touche aussi à l'alternance vocalique (e,è) dans la conjugaison de nombreux verbes.



D. Prononciation de en, én, èn : la lenga corrènta [la lé̃go kʋrè̃to] mou13

(Merci à Bernard Moulin pour ses informations)


(Comprendre les tenants et les aboutissants de ce problème a été long. Courant 2015, concernant la Provence, j'ai pris la décision de modifier la norme de PCLO au sujet de l'accent écrit sur e nasalisé, pour les raisons qui suivent. Le site contient encore probablement quelques incohérences sur ce plan).


À l'écoute attentive des enregistrements, on se rend compte que les locuteurs provençaux font bien la distinction articulée entre /é̃/ et /è̃/. Le degré d'ouverture du e est fluctuant et on se demande souvent si on entend plutôt /é̃/ ou plutôt /è̃/, mais une différence nette apparaît régulièrement quand on entend deux mots à proximité :

la lenga corrènta [la lé̃go kʋrè̃to] mou13 = la langue courante.

Le mot lenga est toujours prononcé avec e fermé (e estrecha), alors que corrènt est prononcé avec un e plus ouvert (e larga), comme tous les participes présents. De façon générale, il semble que /é̃/ soit toujours assez typique, alors que le degré d'ouverture de /è̃/ varie tout en étant plus ouvert que /é̃/.



Cette prononciation des provençaux n'est pas une fantaisie : elle provient de l'évolution des voyelles latines au cours des Ier et IIe siècles après J.-C. : voir mutation du système vocalique. L'évolution historique est la même que pour le paragraphe ci-dessus (Prononciation de e, é, è). On peut en déduire que les autres dialectes ont aboli la distinction entre /é̃/ et /è̃/, à des dates probablement variables.


Dans la langue d'oc, les dialectes autres que le provençal et le vivaro-alpin ne font pas cette distinction entre /é̃/ et /è̃/. L'évolution phonétique à l'ouest du Rhône a mené à la fermeture de è devant nasale implosive. L'IEO (PCLO) avait supprimé les accents : ben, ren, temps, corrent. La distinction entre /é̃/ et /è̃/ ne se faisant plus dans presque tous les dialectes autres que le provençal et le vivaro-alpin, on comprend la gêne qu'imposerait le maintien des accents. Mais comme développé dans la partie "Du latin au provençal 2" ici (pour l'évolution du e latin), on peut estimer que la suppression des accents est une perte de la richesse du provençal (et du vivaro-alpin), et il a été décidé de les maintenir dans ce site. Les mots ci-dessus s'écriront donc : bèn, rèn, tèmps, corrènt. Mais on écrira lenga, Provença, sembla (qui proviennent des mots latins lĭnguam, Prōvĭncĭam, sĭmĭlat), et qui sont effectivement prononcés avec /é̃/ (cependant Provença est souvent prononcé avec /è̃/). Cet aspect est particulièrement difficile pour un non-provençalisant car le français contient moins de voyelles nasales que le provençal (voir la raison historique dans la partie "Du latin au provençal 1" ici).



Comme il est précisé ici, Frédéric Mistral avait tenu à respecter la distinction à l'écrit entre en et èn, mais il serait intéressant de savoir s'il s'est aidé de l'étymologie, ou bien de la prononciation effective (quelques cas sont cependant discutables : il donne sèmbles au lieu de sembles "tu sembles", que j'ai enregistré fréquemment).


Redonnons ici la règle énoncée dans la partie ici :

Que ce soit pour e ou pour en : si le mot français est en /yè/, /yè̃/, alors le mot provençal est en /è/, /è̃/ : il porte l'accent grave. Cette règle ne peut pas aider quand e est entravé (suivi de deux consonnes), puisque le français n'a alors pas pu subir la diphtongaison romane en (èrba, vèntre...)... mais le castillan l'a subie ! (Celui qui connaît le castillan peut s'aider de la règle : si le mot castillan est en /yè/, alors l'occitan est en /è/ et réciproquement : ierba <=> èrba ; corriente <=> corrènt ; vientre <=> vèntre ; tiempo <=> tèmps ; aprende <=> aprend - il y a cependant eu des réfections analogiques en castillan : siembra, hiende alors qu'en occitan souvent : sembla, fende).


Voici une source fournie (et traduite) par Benard Moulin (encore merci à lui) :

Robert Lafont (L'ortografia occitana, lo provençau, 1972) :

"le provençal, et surtout le rhodanien, a tendance à réaliser comme des "è" [ouverts] de nombreux "é" [fermés] romans [c'est-à-dire de l'ancien occitan] : [...] consèu, solèu, [...] vèire (= verre ou voir), rèm (= rame), Provènça.... Parallèlement, le rhodanien a maintenu "è" [ouvert] devant une consonne nasale alors que l'occitan commun le fermait : rèn, cènt, sèmpre, dènt, disènt. Mais "e" restait fermé dans le suffixe -ment : autrament, bastiment. Comme l'ouverture de "é" en "è" n'a pas une valeur phonologique claire, qu'elle distingue graphiquement le provençal de l'ensemble occitan, qu'elle se justifie surtout en rhodanien, et qu'elle surcharge l'écrit d'accents, nous pensons qu'on pourrait se dispenser de la noter: [...] conseu, soleu, [...] veire, rem, Provença, [...], ren, cent, dent, disent." [fin de citation]

Les Préconizacions dau CLO (ici, p. 138) précisent :

"E mai se la distincion entre "è" larga e "e/é" estrecha es encara ben viva en occitan orientau, l’usatge pòt esitar subre lo gra d’apertura dins tota una sèria de mots. En generau, dins lei mots que fluctuan ansin, la distincion fonologica es pas clara entre "è" e "e/é" (Lafont 1972).

Aquò es sovent lo cas per "e" seminasala, plaçada davant "n, m" en fin de sillaba (ex. Provença, setembre, ren, temps): per de rasons fisicas d’articulacion, lei vocalas seminasalas fan una distincion mens neta entre vocalas largas e estrechas (Martinet 1996: 44).

Redonnons les conseils des Préconizacions dau CLO cités plus haut (source archivée ici)  :

"Quand se sent lo besonh de notar estrechament un parlar determinat, es admés de repartir "è" e "e/é" per notar la pronóncia locala exacta. Aicí la forma referenciala es en gras e la varianta en maigre: castèu (varianta: casteu), parlèsse (var. parlesse), prètz (var. pretz), soleu (var. solèu), temps (var. tèmps), ven (var. vèn), Provença (var. Provènça), sciéncia (var. sciència)…"


Ce sujet touche aussi à l'alternance vocalique (e,è) dans la conjugaison de nombreux verbes. Voir par exemple une discussion à semblar.




E. Influence ouvrante du r et problèmes connexes

 

1. Influence ouvrante du r et du l

 

Pour des raisons articulatoires, une voyelle suivie de r a tendance à s'ouvrir, notamment si le r est suivi d'une consonne ("r implosif") (IPHAF:105, GIPPM-1:135).

Cela est aussi le cas pour l (IPHAF p. 121, GIPPM-1 p. 135).

Estela > (estèla) (mais la graphie ne note pas cet accent grave) ; peut-être aussi : gèla > jala "il gèle".


En français, pour l'influence ouvrante du r, on peut donner : "vierge" (< virge) ; "cierge" (< cirge) ; "beurre" (< bure) ; "marché" (< mercatum) ; "dartre" (< derbitum) (IPHAF p. 105). Pour l'évolution er > ar, les grammairiens ont combattu les prononciations populaires en [a] au profit d'un retour à la forme étymologique en [è]. Ils ont réussi par exemple pour "mercredi", qui a éliminé l'ancien marcredi. Mais la tendance populaire a triomphé dans "marché", "dartre".

En occitan, on peut donner : Cièrgue (< Cirĭcus, nom propre), estiela (l) (< stellam).


En français, pour l'influence ouvrante du l, on peut donner : "chaleur", "chalumeau", "chalonge" (passé en anglais à challenge), qui auraient dû être cheleur, chelumeau, chelonge en vertu de la loi de Bartsch

Dans une grande partie de la Provence, on trouve une influence ouvrante du r très marquée pour /é/ prétonique devant (rr) ou (r + consonne), qui devient /a/ :


en prétonique (syllabe avant l'accent tonique) :

/é/ + r + consonne > /a/ + r + consonne


Les dictionnaires récents (DPF p. 16, DBFP, DOGMO) proposent de ne pas le noter à l'écrit. Donc on peut avoir : enterrar [ẽtara], ermàs [armas], ferrat [fara], mercat [marka], merluça [marluso/a], terralha [tarayo/a].


Dans les conjugaisons, enterrar [ẽtara] conserve le [a] même en tonique : entèrra [ẽtar(o/a)] "il enterre". Dans l'ouest des Bouches-du-Rhône, même tèrra se prononce [taro] (par ouverture de /è/ tonique devant r, ou bien par analogie avec enterrar [ẽtara]).


Par ailleurs, per [pèr] étant proclitique, il peut parfaitement évoluer en [par], conformément à la règle ci-dessus. La prononciation [par] a souvent été enregistrée.


Il faut remarquer que même un /é/ étymologique (explication ici) a subi l'influence ouvrante du r (ou bien une analogie avec les autres mots en èr) :


 vĭrĭde(m) > /vérdé/ > /vèr/


Accent graphique sur e devant r + consonne (et devant l) :


On doit mettre l'accent grave sur e devant r + consonne en graphie classique, en fonction de l'étymologie (cas de "la è larga tradicionala" dans l'extrait ci-dessous) :

"L’ortografia classica nòta sensa esitacion la è larga tradicionala davant rr o davant r + consonanta: tèrra, guèrra, pèrdre, èrba (mai classicament: verd). L’ortografia mistralenca suprimís l’accent grèu dins aquela posicion e mai se la pronóncia referenciala mistralenca es [è]: “terro, guerro, perdre, erbo”" (PCLO, source archivée ici, p. 139).

(Pour la graphie mistralienne en effet, l'accent grave n'est jamais mis mais on le prononce toujours [è] : "on le prononce ouvert s'il est suivi de deux l ou de deux r ou bien d'un r et d'une autre consonne" GP-F ; notons que cette règle n'est pas respectée dans "cèrvi, cèrbi" du TDF).


Il faut donc en fait distinguer deux cas :

- cas où /è/ provient de la mutation vocalique des premiers siècles de notre ère : l'étymologie impose è pour tous les e devant r ;

- cas où /è/ provient de l'influence ouvrante de r ou l subséquent : verd qui provient du latin vĭrĭde(m) devrait se prononcer [vér] du fait de la mutation vocalique ; mais il est toujours prononcé [vèr] au moins dans les enquêtes réalisées. Le PCLO cité ci-dessus préconise d'écrire quand même verd. On peut citer, dans le même cas que verd, clerc, ferma (fermar), verga ; estela.



Pour le mot hérité du grec nerta, la prononciation enregistrée est /nérto/ ; ce cas doit être étudié. 



Remarque : cette influence ouvrante s'est réalisée naturellement à plusieurs époques, par exemple en latin archaïque : voir facteurs tempérant l'apophonie.



2. Transformation de e prétonique en a

 

Ce phénomène semble indépendant de l'influence ouvrante de r ou de l, et il est bien mal connu. Il affecte des mots français en re- et un grand nombre de mots occitans. Son étude semble très négligée pour le français, et absente (?) pour l'occitan.


Pour les verbes français avec un préfixe ra- :


Le CNRTL donne (on développe ici les abréviations) :  "Variante ra- du préfixe re- : Elle a son origine dans un fait de prononciation ancien. On trouve encore vivante au XIXe siècle une alternance re-/ra- pour rabouiller, raconter, rafraîchir, ragaillardir".


Comme verbes français avec ra- (considéré comme une variante de re-), citons (GEMNC) :

rabibocher, rabrouer, radoter, raffut(er), rambiner, rapapilloter, rapetasser, ratatiner, et une série de verbes en -ouiller :

rabouiller, rafouiller, ragouiller, ratouiller, rassouiller.

Pour de nombreux verbes français à base adjectivale ou nominale (rafraîchir, rajeunir...), on hésite entre une variante ra- du préfixe re-, et "le résultat d'une double préfixation en a- puis re- dont le stade intermédiaire (*ajeunir) n'est pas attesté" (GEMNC).


Pour les mots provençaux, je me borne pour le moment à citer quelques exemples, qui montrent une étendue du phénomène bien plus large qu'en français. Il s'agit de phénomènes d'assimilations et de dissimilations à distance.


Rementar > ramentar
Repassa > rapassa
Ressar > rassar.
Revassejar > ravassejar.
Redòrta > radòrta.

Creserèu > cresarèu.
Remarque : samèla (semèla) (Avignon) : voir CNRTL.

Bertàs > bartàs ? (Bertàs : Stes-Maries)

On peut se demander s'il n'existe pas un schéma de transformation des verbes en e-e-a > a-e-a :
Cresinar > crasinar
Rementar > ramentar
Semenar > samenar
Trepejar / trapejar

Escabeçar > escabaçar

Repassar > rapassar
Ternassar > tarnassar

Tremontana < tramontana





F. Prononciation de j et de ch

 

Les sons [dj] (jaune) et [tʃ] (chin) sont prononcés [dz] et [ts] dans les zones hachurées de la carte. Par exemple, jaune "jaune", est transcrit [djawné], mais peut être prononcé [dzawné] ; chin = chien, est prononcé [tsĩ] dans les mêmes zones, et non [tʃĩ]. Les locuteurs qui prononcent ainsi réalisent parfois tout de même un léger chuintement. On obtient alors un son intermédiaire : [d(jz)], [t(ʃs)].


Voir réflexion sur les aboutissements actuels de ce, ci, ge, gi en position forte et  diversité géographique des palatalisations.




G. Prononciation de r

 

1. Prononciation de r en Provence
 

TDF ("R") : "à Avignon et Saint-Rémy de Provence, on grasseye cette lettre ; à Toulon, Aix, Marseille et Arles, on la roule quand elle est seule, et on la grasseye quand elle est double".


Dans la majeure partie de la Provence (zone [r] de la carte), les locuteurs distinguent traditionnellement deux r (deux phonèmes).

Par contre dans la région d'Avignon et de Saint-Rémy, comme le signale F. Mistral ci-dessus, r est toujours prononcé comme en français standard.


Voici les deux r du provençal :



Le r simple intervocalique
 

C'est un [] r alvéolaire "battu" (plutôt que "roulé"), bref, liquide, proche du l ; dans le site il est transcrit [ṙ], voir API : [ɾ] (lien Wikipédia). Je pense qu'il est souvent plus bref et plus liquide que dans l'espagnol pero ou l'italien mare. Il est parfois réalisé complètement [l] : pereu [pélew] rou84 sttr84, amarum [amalũ] rou84, mei parènts [mi palè̃] gou84 ont été enregistrés. Il est souvent amuï devant yé : parier [payé] "pareil", amorier [amʋyé] "mûrier" ; il est aussi amuï dans certains autres cas dans certains territoires (tiassar [tyasa] pour tirassar). 



Le r dans toute autre position
 

Le r dans toute autre position (rr, r pré- ou postconsonantique, r initial ou final) : c'est le r français standard, c'est-à-dire le r fricatif uvulaire aussi appelé "r grasseyé", voir API [ʁ] (lien Wikipédia) ; dans le site il est transcrit [r].


Les locuteurs font ainsi nettement la distinction entre -r- et -rr- intervocaliques. Si on prononce un r à la place d'un autre, ils nous reprennent. Ce sont deux phonèmes (et non deux allophones). Ainsi amarra "amarre" se distingue de amara "amère" à l'oral.





2. Prononciation de r en domaine vivaro-alpin
 

TDF ("R") : "les Dauphinois", les "Provençaux des Alpes roulent l'r, rampellon".


Les enquêtes montrent en effet que tout au nord du domaine d'étude (vallée du Toulourenc : nord-Vaucluse, sud-Drôme), certains locuteurs roulent tous les r, comme dans de nombreuses campagnes françaises au XXe siècle : r battu ou r roulé, voir API (liens Wikipédia [ɾ], [r]).

Je ne sais pas si la prononciation distingue r et rr à l'intervocalique, à étudier.

Pour le moment, j'ai confondu ce son avec [ṙ] précédent dans les quelques cas où j'en ai eu besoin.




3. Prononciation de r à l'ouest du Rhône
 

TDF ("R") : "les Languedociens, [...], Gascons, Catalans [...] roulent l'r, rampellon".


Ainsi plusieurs régions du domaine d'oc et de la Catalogne roulent (ou roulaient) l'r, comme dans le vivaro-alpin ci-dessus.




TDF ("R") : "À Lodève, Montpellier, et dans quelques pays du Rouergue, r médian se prononce comme d : paire, paide, gaire, gaide, cagaraulo, cagadaulo, vèire, bèide".


Le r simple intervocalique prononcé d est ainsi distingué de r en toute autre position, dans quelques régions assez restreintres. Mais j'ignore si dans d'autres régions, r intervocalique simple est distingué de rr intervocalique (par exemple en étant roulé moins longtemps, ou bien r serait simplement "battu", et rr serait "roulé").


Le d à la place de r est attesté précisément dans l'ALF :

aira "aire" [ayda] Pau34, [aydó] Agd34 ;

beure "boire" [béwdé] Agd34Pau34 ;

cagaraula "escargot" [kagadawló] Agd34 ;

farina "farine" [fadinó] Agd34, [faina] Pau34 ;

gaire "guère" [gaydé] Agd34Pau34 ;

paire "père" [paydé] Agd34Pau34 ;

pèiras "pierres" [pèydas] Pau34, [pèydòs] Agd34 ;

ressaire "scieur de long" [résaydé] Agd34Pau34 ;

sautarèla "sauterelle" [sawtadèló] Agd34 ;

veire "voir" [bèydé] Agd34Pau34 ;

vipera "vipère" [bipédó] Agd34 ;

etc.

mais plòure "pleuvoir" [plòwré] Agd34Pau34.




TDF ("R") : "En Languedoc, r se change souvent en n, par une erreur populaire sur les dérivés des mots en ou : acaloura, acalouna, moucadourat, moucadounat, meiouro, melhouno."


(Apparemment l'ALF ne contient aucun des mots acaloura, moucadourat, meiouro).






H. Transformation du [s] intervocalique en [ks]

 
Vers l'ouest des Bouches-du-Rhône, Avignon, au moins une partie orientale du Gard, le [s] intervocalique est souvent prononcé [ks]. Si une diphtongue précède, elle disparaît.

Exemples :

caucida "chardon Cirsium arvense" est prononcé [kʋksido] et non [kówsido] ;

taisson "blaireau" est prononcé [tiksʋ̃] et non [téysʋ̃] ;

eissame "essaim" est prononcé [eksamé] et non [éysamé] ;

diccionari "dictionnaire" est prononcé [diksyʋnari] et non [disyʋnari] comme le voudrait la règle des groupes consonnantiques ;

aucèu "oiseau" est prononcé [ʋkw] et non [óww].


Il faut expliquer l'origine de ce phénomène articulatoire.

 


(à continuer)