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Partie 1.
Clivage oc / oïl


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LE CLIVAGE LANGUE D'OC / LANGUE D'OÏL
15-09-2023
      

Il faut remarquer que cette partie permet d'obtenir un outil pour discriminer les mots occitans authentiques des francismes.


Remarque : à l'inverse, cet outil permet aussi de discriminer les mots français authentiques des occitanismes, comme les mots "abeille", "araire", "cigale", "cigogne", "escalade", "escalier", "escargot", "figue", probablement "lac", "tocsin", peut-être "amour", "jaloux", "aigu / aiguille"...

Certains dérivés en -ade : "arcade", "aubade", "ballade", "bastonnade", "bourgade", "cantonade", "cassonade", "charade"... probablement "palissade".


(À ce sujet, le DOGMO distingue francismes et gallicismes.)


Remarque : Dans le but de prouver que SLég est un texte français et non occitan, Gaston Paris se propose même de "faire passer en revue les principaux traits qui caractérisent respectivement, dans leur état le plus ancien, la langue d'oïl et la langue d'oc" (VSLRM:277).



Conventions :

1. La présence d'un astérisque (*) devant un mot signale que celui-ci est reconstruit, non attesté dans les écrits. Il est déduit de l'étude de sa descendance. Exemple : *soliculus, *soliclus sont des formes en latin populaire suggérées par solelh, "soleil". Des attestations parallèles peuvent étayer la reconstruction, comme ici oricla "oreille" (Prob : auris non oricla "le bon mot est auris, et non oricla"). 

2. Le symbole ">" signifie "évolue en". Le symbole "<" signifie "provient de".

3. La transcription phonétique suit celle utilisée dans le reste du site, définie ici. Les symboles utilisés pour retranscrire les sons disparus sont en général expliqués par des infobulles. Ajoutons :

   - /ː/ qui indique un allongement de la durée de la voyelle, par exemple /aː/ représente un ā, dans le système vocalique latin ;

   - ∅  qui indique une disparition de phonème ;

   - i̯, a̯, ʋ̯, u̯, e̯, o̯, ò̯ qui preprésentent les éléments non accentués de diphtongues ou de triphtongues. 






Introduction
 


1. L'occitan est plus conservateur que le français


La langue d'oc, comme le français, sont des langues romanes : elle proviennent de l'évolution du latin. 


(GIPPM-1:3) (r.g.f.) "L'usure phonétique des mots latins est bien moindre dans notre langue qu'en français [...]"


Globalement, la langue d'oc est plus conservatrice que le français : elle est donc plus proche du latin que le français. En raison de la romanisation plus ancienne, mais aussi en raison d'une influence germanique (franque) plus réduite, la population de la moitié sud de la Gaule a dû ressentir plus tardivement que le latin n'était plus compréhensible. Cela est sans doute aussi à l'origine d'une scripta plus tardive de la langue d'oc, par rapport au français NDF




Par ailleurs, il faut être conscient qu'il a existé une deuxième voie de transmission du latin à l'occitan, en plus de la voie "populaire" : c'est la voie "savante", ou "demi-savante". On parle aussi "d'emprunts" au latin. Cette voie semble avoir joué un rôle important dans la naissance de la langue d'oc, voir ci-dessous : voie savante plus développée en occitan qu'en français.





2. Latin classique et latin vulgaire
 
a. Évolution des linguistes sur le latin vulgaire

 

Le latin vulgaire (souvent synonyme de "latin populaire") a plusieurs définitions qui suivent l'évolution de la pensée en linguistique et en socio-linguistique.


Je précise que je n'identifie jamais "latin vulgaire" à "latin tardif" (par exemple postérieur à la mutation vocalique), identification que font encore certains linguistes (voir RLHI:37 : trad.angl. "la méprise selon laquelle le latin populaire commence dans les temps post-classiques". Je considère le latin vulgaire contemporain du latin classique, voire du latin tardif ; le latin vulgaire peut donc très bien posséder les quantités vocaliques, héritées de l'indo-européen, qui étaient respectées à l'oral mais qui ont commencé à s'abolir au I er siècle de notre ère (bien que le respect des quantités vocaliques dans un "registre bas" soit contesté : Benedetti et Marotta, 2012).


Au fil des études, le sermō vulgāris apparaît de plus en plus comme un registre (ou un ensemble de registres) de la langue parlée, parallèle au latin classique (sermō urbānus). On peut considérer qu'on parlait le latin dans plusieurs registres : cultivé ou populaire, chacun avec ses degrés : "soutenu", "familier", "relâché", plus le degré noble : "oratoire", pour le registre cultivé (1).

De nombreux auteurs considèrent le "latin vulgaire" comme issu du "latin classique", ce qui est complètement remis en cause. D'autres considèrent que "latin classique" et "latin vulgaire" étaient tous deux issus du vieux latin (ou latin archaïque) (HDLL:18). Cette dernière position ne contredit pas la suivante (en gras ci-dessous).


(1). Lanly André. Michel Banniard. — Du latin aux langues romanes. Paris, Nathan, 1997 (Collection 128/Linguistique, 160). In: Cahiers de civilisation médiévale, 42e année (n°166), Avril-juin 1999. pp. 199-201.


Michel Banniard (archive:27) propose : "Allons jusqu'au bout de ces propositions : le latin parlé (quel que soit son registre et quelle que soit sa dénomination, cotidianus, familiaris, uulgaris) n'était pas une forme dégradée du latin littéraire ; tout au contraire, le latin littéraire fut une extraction du latin parlé ; nier son origine en retournant le flux de l'histoire langagière est une opération antique qui a si bien réussi que les philologues modernes ont intériorisé cette construction comme si elle était un produit de l'évolution naturelle." L'auteur veut dire que l'entreprise de Cicéron, Quintilien etc. d'élaborer un latin classique, admirable, et de dévaloriser un latin parlé, vulgaire, considéré comme du latin classique "dégénéré" a réussi au point que les philologues modernes continuent de penser dans ce schéma.


Remarque : ci-dessus je ne considère que l'aspect lexical, mais si on se réfère à l'article ACAL, la même "supercherie intellectuelle" aurait fonctionné à propos de l'accent latin (mélodique ou tonique, voir histoire de l'accent latin).



Voici par exemple la situation linguistique en Gaule à la chute de l'empire romain (qui a lieu en l'an 476), vue par M. Banniard (archive p.44) d'après notamment les témoignages de Sidoine Apollinaire (lettres de 470 et 472 ; Sidoine avait vécu en Auvergne, à Arles, et à Lyon). "Il conviendrait de se représenter la société romaine de la Gaule de ce temps comme un ensemble complexe : des archipels de locuteurs savants ; des nébuleuses de locuteurs semi-savants, etc... Les échanges langagiers eux-mêmes se produisent à des niveaux multiples, selon les locuteurs en présence, selon le contexte de communication, selon les sujets abordés. Cette intrication des phénomènes rend très difficile une description strictement linguistique de la langue parlée. (...) le latin était prononcé de manière différenciée selon le rang social, le niveau culturel et les situations de communication des locuteurs, les lettrés comme Sidoine réagissant très consciemment contre une phonétique trop vulgaire. Ces écarts ne semblent toutefois pas avoir compromis le fonctionnement de la communication générale latinophone, et sa continuité laissait aux obstinés comme Sidoine le loisir d'exprimer leur nationalisme romain par le truchement de leur lutte pour la latinité." L'auteur note aussi que le gaulois était très certainement encore parlé dans certaines vallées du massif central au Ve siècle (et en Bretagne ?). Et il ne faut pas oublier le basque, langue non-indoeuropéenne, qui est encore parlée aujourd'hui.   



b. "Protoroman", et autres termes voisins de "latin vulgaire"
 

En liaison avec l'évolution de la position des linguistes, plusieurs vocables sont apparus, désignant des concepts voisins de "latin vulgaire" : "roman", "latin parlé", "roman commun", "protoroman". Le mot "roman" est ambigu : il a plusieurs acceptions complètement différentes, dont celle utilisée dans l'acronyme DÉRom (ensemble des langues dérivées du latin... plus précisément du "protoroman", dont voici la définition ci-dessous).


Le site DÉRom emploie "protoroman", dont voici deux niveaux de définition (QP:4) :

(1) Protoroman2 : langue reconstruite par la méthode comparative qui représente la langue ancestrale parlée autrefois dont descendent les langues romanes ;

(2) Protoroman1 : langue ancestrale parlée autrefois dont descendent les langues romanes.

(Protoroman1 englobe Protoroman2).


La méthode comparative consiste à comparer les langues romanes actuelles pour reconstituer la langue ancestrale. Je dirais qu'a priori, une telle méthode reconstitue une langue forcément unifiée (même si en réalité elle ne l'a jamais vraiment été) puisque dans cette méthode, on recherche justement tous les points communs entre les langues romanes actuelles. Cependant Éva Buchi (QP:3) écrit : "la langue reconstruite qui se dégage de ses premiers articles [du DÉRom] ne ressemble en rien à une langue uniforme, mais se présente déjà comme un diasystème assez complexe". Cela peut sembler paradoxal, mais on conçoit qu'on peut abaisser le "degré de communauté" entre toutes les langues romanes, pour tenter de reconstituer une langue plus réelle et moins théorique, plus hétérogène géographiquement (donc plus proche du Protoroman1 défini ci-dessus).


De même, les auteurs du DÉRom évitent les termes exprimant une uniformité du latin parlé. Par exemple ils n'emploient pas koinè, langue ou registre véhiculaire qui aurait permis de communiquer dans tout l'Empire Romain et qui a sans doute existé comme la koinè au sens strict. Ils n'emploient pas "roman commun" qu'Ursula Reutner donne comme synonyme de "protoroman" (LLR:202-203). Par contre ils emploient "panroman" quand un terme est reconnu dans toute la Romania.


Les débats à venir vont sans doute faire évoluer tous ces concepts.




3. Découpage temporel
 

Différents critères peuvent être retenus pour découper des périodes linguistiques :

- évolution morpho-phonétique ;

- évolution graphique quand elle existe ;

- évolution littéraire quand elle existe.


Il n'y a pas d'harmonisation parmi les auteurs : le découpage du parler en périodes est différent selon les sources. (Étude et argumentation à faire)


Ci-dessous pour les phases les plus anciennes (jusqu'au protooccitan : VIIIe siècle), j'adopte le découpage temporel de Michel Banniard (archives : 1, 2).


LPC : Latin Parlé d'époque Classique (-200 - +200).

LPT : Latin Parlé Tardif (IIIe-VIIe siècle).

LPT1 : Latin parlé tardif de phase 1 (IIIe-Ve siècle) (LPT « impérial », c'est-à-dire qui a été parlé pendant la dernière période de l'empire romain d'occident) ; selon moi de nettes divergences sont déjà perceptibles entre le nord et le sud de la Gaule, notamment concernant les modalités de la diphtongaison romane.
LPT2 : Latin parlé tardif de phase 2 (VIe-VIIe siècle) (LPT "mérovingien" en Gaule du Nord.... [LPT "gothique" en Gaule du Sud - je n'ai pas trouvé de justification de ce terme - archive] ; "wisigothique" en Espagne ; "lombard" en Italie, LPT d'Afrique du nord : archive...).

PR : Protoroman (VIIIe siècle) désigne l'ensemble des langues romanes émergentes.

PO : Protooccitan (VIIIe siècle).

PF : Protofrançais (VIIIe siècle).

Voir cependant l'an 600, par convention naissance des langues romanes (ci-dessous)

Pour mémoire selon M. Banniard : AFC : Ancien Français Classique (IXe-XIIIe siècle).

AFT : Ancien Français Tardif (XIVe-XVe siècle)

AO : Ancien Occitan (environ 800 à environ 1500).

 

OM : Occitan Moderne (environ 1500 à aujourd'hui).





4. Ce qu'on sait sur l'origine du clivage
 

Comme il est dit plus haut, la langue d'oc est beaucoup plus conservatrice que le français.

L'article CLGR indique : "le français est l'aboutissement d'une longue série de transformations phonétiques qui ont affecté toute l'aire gallo-romane mais qui ne sont qu'ébauchées en occitan. Autrement dit (...) l'occitan présente en synchronie plusieurs stades parcourus et révolus de la diachronie du français." L'occitan est donc resté plus proche du latin que le français. Cette page web le montre largement, bien que certaines innovations soient propres à l'occitan ou au domaine occitano-catalan.

Pour expliquer l'origine de ce clivage, les auteurs ont invoqué les trois domaines suivants.



a. Le substrat
 

Le substrat (c'est-à-dire ce qui est antérieur à la romanisation) : peuplement gaulois (celte) plus fortement implanté au nord de la Gaule, populations ligures et ibères solidement ancrées dans les trois massifs du sud (Pyrénées, Massif Central, Alpes), et résistant à la celtisation ; il ne faut pas oublier l'installation des grecs dans certaines régions du sud (Marseille à partir du VIe siècle avant J.-C., vallée du Rhône, Nice, Agde...) - voir "Mots grecs de Marseille". L'auteur Pierre Bec signale (LO:21) : "Quant à la question des substrats, a fortiori des sub-substrats, elle ne devrait être maniée qu'avec une grande prudence et ne saurait jamais être exclusivement déterminante" (pour déterminer le clivage oc/oïl).



b. La romanisation elle-même

 

La romanisation elle-même : conquête plus précoce de la Gaule du sud par les romains (jusqu'en 118 avant J.-C. in CLGR), alors que le nord s'est opposé farouchement à l'invasion romaine jusqu'à la bataille d'Alésia en 52 avant J.-C. ; le latin importé au sud et au nord l'aurait été à deux stades différents : latin "plus archaïque" au sud et latin "plus progressif" au nord ; il faut remarquer que les Alpes, le Massif Central, la Loire (ainsi que sa région sud vers l'Atlantique) ont constitué des barrières géographiques importantes, isolant le nord du sud, et reprises au IVe siècle pour fonder les deux diocèses de la Gaule (carte ci-dessous) ;




c. Le superstrat
 

Le superstrat (c'est-à-dire les causes postérieures à la romanisation) : dans le nord de la Gaule, les invasions des Francs, peuple germanique, à partir du début du Ve siècle, modifie progressivement le latin parlé ; vers le sud, l'influence des francs est limitée. Cet aspect est développé par exemple par Pierre Riché :

(ÉCOB:152) : "Dans ces conditions, il est évident que nous ne pouvons pas étudier l'éducation des laïcs en Gaule, sans distinguer deux domaines géographiques : celui qui comprend l'Aquitaine, la Burgondie et la Provence, et celui du groupe Neustrie et Austrasie. Les contemporains avaient eux-mêmes conscience de ce qui opposait ces deux Gaules : jusqu'au milieu du VIIIe siècle, les Francs désignent les Aquitains du nom de Romani. [...] De plus, cette Gaule, que l'on peut appeler "barbare" par opposition à la Gaule "romaine" du Sud, est largement ouverte à de nouvelles pénétrations germaniques venant d'outre-Rhin. Par suite, la fusion romano-barbare s'est faite dès le VIe siècle aux dépens de l'élément romain."

À propos de la disparition des écoles (où l'on apprenait le latin) :

(ÉCOB:173-174) "La Gaule "barbare", nous l'avons dit, n'appartient plus au domaine de la civilisation de l'écrit. Depuis les invasions du IIIe siècle, la civilisation romaine qui avait marqué ces régions s'y était maintenue difficilement. Les écoles urbaines, si elles ont existé, on disparu de bonne heure. Au IVe siècle, Ausone ne cite aucun professeur au nord de la Loire".

Voir ci-dessus importance du latin écrit dans la naissance de la langue d'oc.




Diocèses de la Gaule au 4e siècle

Limites des diocèses de Gaule au IVe siècle.

(in Sophie Thibaud "L'occitan" sans date, in PÖCKL Wolfgang, RAINER Franz, PÖLL Bernhard. Introducción a la lingüística románica. Madrid : Gredos, 2004.:194)

La limite entre les deux diocèses préfigure déjà la limite entre domaine d'oc et domaine d'oïl. Il faut dire que des signes nets de divergence apparaissent déjà dans le latin parlé du nord et celui du sud de la Gaule, comme montré dans la partie "Du latin au provençal 2" ici.

Concernant la région de la façade atlantique au sud de la Loire, il faut préciser que celle-ci sera gagnée plus tard à la langue d'oïl jusqu'à l'embouchure de la Gironde (Poitou, Saintonge...).








 


5. Présentation des tableaux

  

Certains tableaux présentés dans cette partie ne sont pas exacts dans le sens où il n'y a pas eu évolution de l'occitan vers le français. Mais ils montrent de façon simple que l'occitan est souvent resté bloqué dans son évolution à partir du latin à un stade par lequel le français est très souvent passé (voir introduction).


Il serait plus rigoureux de présenter l'évolution sous la forme d'un arbre phylogénétique (arbre d'évolution des espèces vivantes) :


 

Schéma. Évolution du son latin /ka/ à l'initiale ou derrière consonne, en Gaule (représentation sous forme d'arbre phylogénétique ; le son /ch/ représente /ʃ/ de l'API). Par exemple, le mot latin capra évolue en cabra en sud-occitan, chabra en nord-occitan, "chèvre" en français. Pour les transformations phonétiques mentionnées, voir ci-dessous palatalisation ; loi de Bartsch


On peut représenter le même arbre sous la forme suivante :


latin

Ve s.

XIIIe s.



actuel

ka
>
> >
> >
sud-occitan
ka

tcha
> > > nord-occitan
tcha
cha
che

>
français
cha, che

Tableau. Évolution du son latin /ka/ (à l'initiale ou derrière consonne) en Gaule

(représentation sous forme d'arbre phylogénétique en tableau, avec échelle de temps en haut ; le son /ch/ représente /ʃ/ de l'API).






I. Importance du latin écrit dans la naissance de la langue d'oc



A. La voie héréditaire et la voie savante : mots hérités et mots empruntés

Cette partie fait référence pour une très large part à l'article QNCLÉ.



1. Définitions : les deux catégories de mots

La voie héréditaire est aussi appelée "voie populaire". Un mot héréditaire est dit aussi "hérité".


Citons l'article QNCLÉ :

"(...) sur le plan lexical le vocabulaire latin survit dans les langues romanes dans deux grandes catégories de mots :

• les mots héréditaires dont font partie les mots transmis par une tradition sans faille, les mots ayant subi toutes les conséquences de leur emploi ininterrompu du point de vue sémantique, morphologique, phonétique.

• les mots empruntés au latin qui constituent la deuxième catégorie est due à une survie des mots sur le plan culturel, plus précisément à une reprise ultérieure des relations avec le monde classique, à une résurrection lexicale qui se manifeste à partir du fond (sic) latin."



"Un mot héréditaire est une « unité lexicale transmise par tradition orale ininterrompue et ayant subi, de ce fait, tous les changements phoniques qui caractérisent cette langue » (Chambon 2010: 62). (...) « Il s’ensuit banalement que l’étymon d’un mot héréditaire est nécessairement un mot oral » qui sera présenté en notation phonétique, précédé d’un astérisque qui signale que l’étymon est reconstruit (Jean-Pierre Chambon, 2010)."

Pour le provençal, on peut citer ostau "maison" < hŏspĭtālĕm : le mot latin a subi les transformations décrites dans Du latin à l'occitan pour aboutir à ostau. Le français "hôtel" est l'aboutissement du même étymon en domaine d'oïl.



"Par contre, un mot emprunté, en l’occurrence au latin, est une unité lexicale introduite d’une langue dans une autre et qui a une existence plus scripturaire qu’orale. Les règles d’adaptation ont imposé à l’emprunt des modifications minimales de sorte qu’il y a une quasi équivalence entre le segment de départ et le segment d’arrivée."

Pour le provençal, on peut citer espitau "hôpital" < hŏspĭtālĕm : le mot latin a subi des transformations minimales, en domaine d'oc comme en domaine d'oïl pour aboutir respectivement aux mots espitau et "hôpital". Voir par exemple ci-dessous s devant consonne conservé en sud-occitan.




2. Les deux types d'emprunts

Pour le projet TLF-Étym, les auteurs ne distinguent que deux catégories de latin : "latin tout court (sous entendu de l’Antiquité) et latin médiéval". Les autres subdivisions communes (latin archaïque, latin classique, latin impérial, latin tardif : bas-empire, bas-latin) semblent délicates pour l'étude diachronique de la langue.


"Par convention on considère que la naissance des langues romanes se situe autour de 600, le latin de l’Antiquité couvre la période allant du IIIe siècle av. J.-C. à 600, tandis que le latin médiéval s’étend de 600 au XVe siècle".


Le latin médiéval était "le véhicule universel et permanent de la culture". C'était la langue de l'église, de l'administration, de la justice, des sciences, des historiens, des écrivains, des grammairiens... Petit à petit, les langues romanes accèdent à l'écrit et empiètent sur le latin. Depuis le Moyen Âge, les langues romanes (et non romanes) ont emprunté des mots soit au latin classique, soit au latin médiéval.


Ainsi les nouvelles notices étymologiques du CNRTL distinguent les emprunts ("transferts linguistiques") au latin de l'Antiquité, et les emprunts au latin médiéval (voir aux articles "différer", "temporel", "obole"...). Les auteurs reconnaissent une troisième catégorie de mots : cas indécidables (on ne peut pas trancher entre emprunt au latin de l'Antiquité et emprunt au latin médiéval, comme "défectif").



a. Emprunts au latin de l'Antiquité

"Il s’agit clairement d’un emprunt au latin de l’Antiquité (appelé latin tout court dans la métalangue de TLF-Étym) si la ou les première(s) attestation(s) incite(nt) à penser que l’emprunt a été effectué à travers la traduction d’un texte antique".

Au moins pour le français, les emprunts au latin classique se sont réalisés notamment dans un mouvement d'intérêt intellectuel pour les œuvres classiques de l'antiquité, avec l'apparition de mots latins francisés dans les traductions, comme "différer", qui est une francisation du latin classique differre vers 1355 (traduction d'un texte de Tite-Live).



b. Emprunts au latin médiéval

"Il s’agit clairement d’un emprunt au latin médiéval :

• si l’étymon a été créé en latin médiéval (dérivé, emprunt à une langue vernaculaire)
• si l’étymon a développé un sémantisme secondaire (inconnu du latin de l’Antiquité) en latin médiéval
• si l’étymon présente en latin médiéval une particularité morpho-syntaxique inconnue du latin de l’Antiquité".








B. La voie savante est plus développée en occitan qu'en français

 


Les distinctions ci-dessus sont sans doute valables pour la langue d'oc.


Cependant il reste à réaliser une étude approfondie sur la "voie savante" dans la naissance et l'évolution de l'occitan. De nombreux indices montrent que la voie savante, l'influence du latin écrit, ont eu des conséquences très importantes sur la nature même de l'occitan.



Citons ÉCOB:147 (en parlant des mérovingiens, c'est-à-dire du Ve au VIIIe siècle :

"Les Germains [ndlr : les Francs] n'ont colonisé qu'une petite partie de la Gaule, et tout en essayant d'imposer leur autorité à tout le regnum, n'ont rien changé de l'organisation administrative et sociale des autres régions situées en gros au sud de la Loire et du plateau de Langres. Là, s'est maintenue la civilisation romaine et, en particulier, la culture romaine. En utilisant non seulement les chroniques, mais également les diplômes conservés ou les copies de ceux qui ont disparu, les formulaires, les inscriptions, nous constatons que toute une partie de la Gaule mérovingienne participe encore à la civilisation de l'écrit."


ÉCOB:149 : "Nous pouvons donc tracer une ligne allant de Nantes à Genève, en passant par Le Mans, Orléans, Autun, qui pourrait marquer la frontière nord de la civilisation de l'écrit."


Voir aussi ci-dessous la notion de superstrat.




Je donne ci-dessous quelques groupes de mots provençaux qui montrent un fort impact de la voie savante, de l'écrit latin, plus fort qu'en français.



a. Mots en -i ou -ia (sauvia "sauge", òrdi "orge"...), voir mots occitans en -i, -ia, -iar.

 

b. Mots de type plaga : avec g intervocalique primaire (notamment le son latin ga), voir voie 3 plāgăm > plaga.

  

c. Mots de type nivol : Probablement, certains mots issus de proparoxytons latins sont d'origine savante (type nivol "nuage", pibol "peuplier"...)

 

d. Verbes en -ficar (ou -ificar)

 

Il s'agit souvent de mots latins déjà existants, où la deuxième composante (-fĭcārĕ) était une évolution de făcĕrĕ "faire" (apophonie ă > ĭ). Mais -ĭfĭcārĕ est devenu un suffixe, vivant en latin de l'Antiquité puis en latin médiéval. Par voie semi-savante, en français, -ĭfĭcārĕ a donné -ifier et en occitan cela a donné -ificar (à développer).


Amplificar, deificar, edificar, estratificar, fortificar, modificar, pacificar, petrificar, rareficar, sacrificar, verificar (liste à compléter).








II. Palatalisations de /ka/, /ga/ absentes en sud-occitan

 

Au Ve siècle après J.-C., les syllabes /ka/ et /ga/ en position forte se sont palatalisées respectivement en /tʃa/ et /dja/ au nord de la ligne ca/cha, alors qu'ils sont restés inchangés en sud-occitan. Il s'agit des quatrièmes palatalisations.



Il faut remarquer que dans le nord de la France, au nord de la ligne Joret (dialectes picard et normand septentrional), /ka/ et /ga/ en position forte sont également conservés. Par exemple dans les toponymes : Camarācŭm > "Cambrai" (59) en regard de "Chambray" (27) (DENLF:135).



L'origine de ces palatalisations est toujours discutée : certains auteurs invoquent le substrat gaulois, mais il apparaît plutôt que ce soit le superstrat franc qui en soit à l'origine.



latin


sud-occitan (provençal...)


nord-occitan


français

/ka/
>
/ka/
/tʃa/
/ʃa/, /ʃe/
capră(m)
cabra
chabra
chèvre
cantāre
cantar
chantar
chanter







/Cka/ >
/Cka/ /Ctʃa/ /Cʃa/, /Cʃe/







mŭscă(m)
mosca
moscha
mouche
sĭccāre
secar
sechar
sécher
vaccă(m)
vaca
vacha
vache







Tableau. Évolution de la syllabe latine /ka/, à l'initiale ou derrière consonne, en Gaule.



Signalons que la syllabe latine /ka/ en position faible a évolué en /ga/ dans toute la Romania occidentale par sonorisation, voir évolution de k intervocalique ci-dessous. On parle alors de /ga/ secondaire. (En nord-occitan, on peut avoir plicare > plejar "plier", precare >  prejar "prier", voir devenir du yod provenant de c intervocalique).



Pour /ga/ en position forte :


latin


sud-occitan (provençal...)


nord-occitan


français

/ga/
>
/ga/
/dja/
/ja/, /je/
galbĭnŭ(m)
jaune (1)
jaune
jaune
gallă(m)
gala
jala
(emp galle)
gallīnă(m) 
galina
jalina
geline
gallŭm
gau

jau

a.fr. jal "coq"
garrīcă(m)
garriga

jarrija, jarría

n.d.l. Jarrie, La Jarrie
gaudĭŭ(m)

gaug

jaug

a.fr. joi "joie"







/Cga/ >
/Cga/ /Cja/ /Cja/, /Cje/







pūrgāre
purgar
purjar
purger







Tableau. Évolution de la syllabe latine /ga/, à l'initiale ou derrière consonne, en Gaule.

(1) forme jaune en sud-occitan : les formes occitanes sont empruntées au français (FEW 4:26b). On attendraitgaune.



La syllabe latine /ga/ en position faible est étudiée à : spirantisation de g devant a dans "Du latin au provençal 2".





III. Consonnes intervocaliques moins transformées en occitan
   


Vers l'an 400 après J.-C., les consonnes sourdes intervocaliques /p, t, k, s, f/ subissent la sonorisation dans la Romania occidentale : elles évoluent respectivement en /b, d, g, z, v/. Le phénomène se réalise également si la consonne est suivie de r. Voir les détails à p, t, k, s, f (sonorisations), b, d, g (spirantisations ?).


Par contre, dans le nord de la Gaule, elles évoluent encore : elles subissent une spirantisation (Ve siècle) suivie d'autres phénomènes.




A. Vue d'ensemble sur les consonnes intervocaliques


Pour les consonnes sourdes p, t, k, s, f : 


- en occitan, la seule transformation des consonnes sourdes intervocaliques est la sonorisation : vers l'an 400 après J.-C., /p, t, k, s, f/ évoluent dans la Romania occidentale respectivement en /b, d, g, z, v/. Voir aussi durcissement de la consonne devenue finale.


- en français des phases supplémentaires se sont réalisées : la spirantisation (Ve siècle) suivie d'autres phénomènes (IPHAF:49, 51).



Pour les consonnes sonores b, d, g :


Classiquement, les linguistes estimaient que b, d, g intervocaliques étaient réellement prononcés /b, d, g/ en latin, puis subissaient des phases de spirantisations décalées dans le temps selon les régions de la Gaule. Depuis peu, une nouvelle théorie considère que b, d, g intervocaliques étaient des spirantes dès le LPC (voir nouveau scénario pour b, d, g intervocaliques) ; c'est cette théorie que je privilégie dans lexique-provence. Leur devenir est variable, voir le tableau ci-dessous.



latin


occitan


français

p
rīpă(m)
>
b (b secondaire)
riba

v
rive
b /β/
făbă(m)
>
v
fava

v
fève
t
batare
vīta(m)

>
d (d secondaire)
badar
vida


y (1)
baer, beer > bayer, béer
vie

d /ð/
sūdārĕ
> z
susar

y (1)
suer
k (suivi de a, o, u)
nĕcārĕ
sēcūru(m)

lŏcārĕ
>
g (g secondaire)
negar
segur

logar

y (1)
a.fr. neer, neier > noyer
a.fr. seür > sûr
a.fr. loer, loier > "louer"
g /ɣ/ (suivi de a, o, u)
plāgă(m)
 dōgă(m)
>
y, j, ∅, (v, g) (2)
plaga, plaia, plaja
doa, doia, doga, doja, dova


y, v (2)
plaie
douve

  a(u)gŭstŭ(m)
negare

aost, avost, agost
neiar, nejar, negar

août
a.fr. neier > "nier"





Tableau ci-dessus. Évolution des occlusives intervocaliques latines en occitan et en français.


(1) Pour y ou ∅, PH-2020:262 estime que la disparition de la consonne a entraîné l'apparition de yods épenthiques : "L'insertion de ce yod anti-hiatique a lieu en AF seulement, ce dont témoigne le fait qu'à côté des formes avec yod il existe systématiquement des formes sans yod, qui représentent l'état primitif de l'AF". Voir yod épenthique dans les hiatus secondaires.

(2) Pour g intervocalique, la situation est variable selon les voyelles environnantes et la région ; les consonnes entre parenthèses sont souvent des consonnes de résolution d'hiatus ou bien pour g occitan, ce peut être aussi un rétablissement par la voie savante ou un renforcement dialectal de ɣ voir : g intervocalique.



Pour résumer, les tableaux ci-dessus montrent les faits suivants.

Du moins sur le plan de l'écrit :

En français :
- le destin des b primaires et secondaires s'est finalement confondu pour donner v ;

- le destin des d primaires et secondaires s'est finalement confondu pour donner ;

- le destin des g primaires et secondaires s'est finalement confondu pour donner .


En occitan (sud-occitan), le destin de ces consonnes primaires et secondaires ne s'est pratiquement jamais confondu car les sonorisations sont restées bloquées : /b/, /d/, /g/ secondaires n'ont pas évolué depuis l'an 400 environ.






On peut tenter une synthèse semblable pour les groupes muta cum liquida. Dans le tableau ci-dessous sont donnés en priorité les groupes muta cum liquida primaires, mais l'évolution des groupes secondaires est souvent voisine : voir les études plus précises dans les tableaux suivants.



latin


occitan


français

pr
capra(m)
>
br
cabra
>
vr
chèvre
br

labra(m)

>

>

br, ur

labra, laura



vr

lèvre

pl
dŭplŭ(m)
>
bl
doble

bl
double
bl (1)

oblītāre

>


bl (1)

oblidar



bl (1)

oublier

tr
pătre(m)
dr
quădrātu(m)
> dr
*padre
*cadradu
> ir
paire
cairat


>

rr, r
père
carré
kr
lăcrĭma(m)
>
gr
lagrema
>
yr > r
larme
gr
flagrāre
nigra(m)
>

gr, ir
flairar
negra
>
ir
flairer
noire
kl (2)
măcŭla(m) > macla
>
lh
malha

ill
maille
gl (2)
rēgŭla(m) > regla
>
lh
relha

ill
reille (dialectal "planche")





Tableau ci-dessus. Évolution des groupes latins intervocaliques "occlusive + r ou l" (muta cum liquida) en occitan et en français.


(1) Le groupe consonnantique -bl-, est primaire seulement dans oblītāre ; ailleurs il est issu de syncopes (IPHAF:150) ; voir la partie "Du latin au français 2", par exemple pour tăbŭlă ici.

(2) Les groupes kl et gl sont toujours issus de syncopes à l'intérieur des mots (IPHAF:69), mais il y existe nĕglēctŭm, qui a des descendants en AO.



B. Consonnes sourdes
 
1. Évolution de p, pr, pl intervocalique
 

Pour l'occitan, voir les détails à p, pr, pl intervocaliques.


Pour le français : après les sonorisations (/p/ > /b/ vers l'an 400), le nord de la Gaule connaît une phase de spirantisation inconnue au sud de la Gaule : /b/ > /β/ au Ve siècle, puis de fortition : /β/ > /v/ sans doute également au Ve siècle (IPHAF:51).



latin


occitan


français

p
>
b (b secondaire)
>
v
rīpă(m)
riba
rive
-p-
>
-b > -p
(b devenu final)

-f
(v devenu final)
căpŭ(m)
cap
chef
pr
>
br
>
vr
capră(m)
cabra
chèvre
p'r
>
br
>
vr
pip(e)re(m)
pebre
poivre
pl
>
bl

bl (1)
duplŭ(m)
doble
double
p'l
>
bl

bl (1)
capŭlŭ(m)
cable
câble (chable)

Tableau ci-dessus. Évolution de p intervocalique en Gaule (avec muta cum liquida).



(1) Selon IPHAF (p. 37), pour -pl-, -p'l-, aucun exemple n'est probant (pour le français) ; pourtant bien qu'on puisse hésiter avec l'aboutissement français -p'l- (copulam > couple), l'aboutissement général semble bien être -bl-.



2. Évolution de t intervocalique
 

Pour l'occitan, voir les détails à t, tr, t'l intervocaliques.


Pour le français, après les sonorisations (/t/ > /d/ vers l'an 400), une grande partie nord de la Gaule connaît une phase de spirantisation inconnue dans le domaine sud-occitan : /d/ > /ð/ au VIe siècle, puis /ð/ s'amuït au IXe siècle : /ð/ > (IPHAF:53, 197, 212). "La chute est complète vers la fin du XIe siècle." (PHF-f3:600) En français et en nord-occitan, la chute du t a pu entraîner des variantes avec yod épenthique, voir ci-dessus.



latin


sud-occitan
(provençal...)


nord-
occitan


français

t
>
d (d secondaire) >
i, ∅

i, ∅ (1)
vītă(m)
cantātă(m)
*batārĕ

vida
cantada
badar

via, viá
chantaia
baiar

vie
chantée
baer, beer > bayer, béer
vĕnūtă(m)
venguda

vengüa, vengüá

venue

tr
pătrĕ(m)



t'r
-ātŏr



>
 



dr    >    i̯r (2)
padre  >  paire
-adr > -aire


dr

>

r, rr (3)
père
-ére (trouvère)
t'l (4)
>
?
>
?
spat(ŭ)lă(m)

espatla (espaula, espanla...)

épaule







Tableau ci-dessus. Évolution de t intervocalique en Gaule (avec muta cum liquida).


(1) Pour l'apparition du i, voir ci-dessus yod épenthique.


(2) Pour tr > dr > ir, s'agit d'une transformation typique de l'occitan ; ce serait même la seule : d'après NAPG, "l'occitan ne pourrait se définir génétiquement que par une seule innovation ancienne à la fois commune à tout son espace et spécifique, à savoir l'évolution en [-jr-] des groupes -TR-, -DR- primaires ou secondaires." Les mêmes auteurs mentionnent que cette évolution est attestée entre les années 560 et 675 environ. 


(3) Par exemple le français "père" provient de : patrem > padre >  paè̯δre > paè̯re > père.

Pour l'aboutissement r ou rr en français, selon PHF-f3:719sq. (in DAðr), puis selon DAðr :

(Les devenirs de tr  et dr sont identiques)

- en général voyelle accentuée + tr latin > accent + r français (pătrĕm > "père") ;

- mais ĕ / ŏ accentués + tr latin > ie, uo accentués (dipht. spont.) + rr français (pĕtrăm > "pierre", Altĭŏdŭrŭm > Auçuerre "Auxerre") ;

- tr latin + accent > rr français + accent (pătrīnŭm > a.fr. parrin "parrain") ; 

Les explication de PH-2020:163, 181-182 permettent bien d'expliquer les types "père" et "parrain, carré", mais pas le type "pierre, Auxerre".


(4) tl est sans doute toujours secondaire à l'intérieur d'un mot (source ?).






3. Évolution de c (k) intervocalique

 

Il n'est question ici que de c suivi de a, o, u. Pour c suivi de e, i, voir les premières palatalisations et les troisièmes palatalisations.


Pour l'occitan, voir les détails à k, kr, kl intervocaliques,


Pour le français : après les sonorisations (/k/ > /g/ vers l'an 400), le nord de la Gaule connaît une phase de spirantisation inconnue dans le sud de la Gaule : /g/ > /ɣ/ au Ve siècle, puis toujours au Ve siècle, toujours dans le nord :


- /ka/ après i, e, a : /k/ > /y/ (nĕcārĕ > neier > "noyer") (ci-dessus yod épenthique) ;

- pour /ka/ après o, u : /k/ > jŏcārĭ > "jouer", vōcālĕm > a.fr. vouel / voieul voir vouel à w épenthique ;

- pour ăquăm > *awa > èwe, eau, voir ăquăm ;

- pour -ācŭm, lăcŭm : voir ci-dessous toponymes en -ācŭm (diphtongaison française de ā) ;

- pour cæcŭm, græcŭm > a.fr. cieu "aveugle", grieu "grec", voir étude de /è/ devant k.


(pour le nord de la Gaule : IPHAF:55, 56)




Tableau de synthèse : k, kr, kl, kt intervocaliques
 

latin


occitan


français

k

>
g (g secondaire)
>
i, ∅ (1)
nĕcārĕ
jŏcārĭ
sēcūrŭ(m)


negar
jogar
segur

neer, neier > noyer
jouer
sûr
kr
>
gr

(igr)

macrŭ(m)


magre


(maigre)

kr V m (2) >
gr V m >
i̯r m > r m
 lăcrĭmă(m)

săcrāmentŭ(m)


lagrema

sagrament, sarrament


layrme > larme

sayrement > serment

k'r >
i̯r
i̯r

făc(ĕ)rĕ


faire


fayre > faire

k'l (3)

>
λ (lh)
λ (ill)

macŭla


malha


maille

Ck'l (3)

>
Ckl
Ckl

ăvuncŭlŭ(m)


oncle


oncle

sk'l (3)

>
skl > sl > ^l
mascŭlŭ(m)

mĭscŭlārĕ


mascle

mesclar


masle > mâle

mesler > mêler

kt >
i̯t / (pr) ch
i̯r

factă(m)


faita / facha


fait






Tableau. Évolution de /k/ intervocalique en Gaule (également muta cum liquida, et ct).


(1) Pour l'apparition du i, voir ci-dessus yod épenthique.

(2) kr + voyelle + m est très résistant à la syncope. Le français est finalement parvenu à la syncope en vocalisant g secondaire.

(3) kl est toujours secondaire à l'intérieur d'un mot (IPHAF:69).




Digramme français ai

 

Il me semble que le digramme français ai provient de la convergence de multiples évolutions phonétiques :


- type bāsĭārĕ > baiser (s + i, e en hiatus) ;

- type laxārĕ > laisser (cs = x)


- évolution de -āca vers -aie, prononcé /ayə/ en a.fr. (bācăm > baie).


-ācă /aːka/ > /aːga/ > /aːɣa/ > /ayə/ > /è/


On peut également songer aux toponymes en -ācŭm > -ai, -ay.


- évolution de a devant m ou n (lānăm > laine) ;


- évolution de a devant ñ devenu implosif : (*banĕŭ(m) > bain) ;


- évolution de -actŭs, -actă vers -ait, -aite prononcés /ayt/, /aytə/ en a.fr. (lactĕm > lait), voir évolution de kt ;



Pour -ācă vers -aie : (ADoi:74) : 


"ivraie, n. f. (latin populaire ebriāca, ancien français evraie, -oie) (...)

Alors que dans ce mot la graphie ai s'explique par une évolution phonétique régulière du suffixe -aca, -aye, -aie, il y a eu cependant longtemps hésitation dans l'usage graphique entre ai et oi, la forme en -aie ne s'imposant comme forme unique qu'à partir de Acad. 1835."


Je pense que cela s'explique par le fait que le digramme oi a aussi représenté /è/.


Le digramme ai a été utilisé dans d'autres cas : type "craie", type "châtaigne", type "aile" ; dans ces trois derniers cas, il ne reflète pas une ancienne prononciation /ay/.




Toponymes en -ācŭm
 


Voir ci-dessous : -ācŭm, -ĭācŭm (diphtongaison française de ā).




4. Évolution de s intervocalique
 

Pour l'occitan, voir les détails à sonorisation de s.


latin


occitan


français

/s/

>
/z/ (1)

/z/

causă(m) [kawsa]


causa /kawza/


chose












Tableau. Évolution de /k/ intervocalique en Gaule. La sonorisation de s ne s'est pas notée dans la graphie. Le z a servi à noter /tz/ en français (IPHAF:43).

 


5. Évolution de f intervocalique
 

Pour l'occitan, voir les détails à f intervocalique.


latin


occitan


français

f (φ) (ton. ?)
f


dēfŏrĭs
defòra
dehors






f (φ) (post-ton.?)
f, v, ∅ (1)

v, ∅ (1)







Stĕphănŭ(m)
Estèfe (lim, gasc), Estève (prov)...
Estièvene (a.fr.) "Étienne"







Tableau ci-dessus. Évolution de f intervocalique en Gaule.


(1) En syllabe post-tonique, le f intervocalique a des évolutions variables, voir dans la partie 2 sonorisation de f.  




Cette évolution plus réduite des consonnes sourdes latines en occitan explique en grande partie pourquoi de nombreux mots français ont des consonnes différentes des mots occitans.





C. Consonnes sonores
 

La plupart des auteurs ne se posent pas la question de savoir comment se prononçaient b, d, g intervocaliques à l'époque latine : pour eux, ils se prononçaient évidemment comme aujourd'hui /b/, /d/, /g/.

Cependant Xavier Gouvert préfère les considérer comme des spirantes dès le LPC (voir nouveau scénario pour b, d, g intervocaliques).



1. Évolution de b intervocalique
 

Voir ci-dessus pour les hésitations concernant la prononciation latine : /b/ ou /β/.


Pour l'occitan, voir les détails à b intervocalique, bl intervocalique, br intervocalique.

 

latin


occitan


français

b

>
v
>
v

făba(m)

>

fava


fève

br >
ur
vr

libra(m)

>

liura


livre (fém.)

bru / bre? (dern) >
br >
vr

libru(m)

>

libre


livre (masc.)

b'r >
ur
vr

scrīb(ĕ)re

>

escriure


escrivre > écrire

bl >
bl

bl

oblītāre

>

oblidar


oublier

b'l >
ul / bl

bl
tăbŭlă(m) >
taula
table

stăbŭlŭ(m)

>

estable


étable






Tableau ci-dessus. Évolution de b intervocalique en Gaule.



2. Évolution de d intervocalique
 

Voir ci-dessus pour les hésitations concernant la prononciation latine : /d/ ou /ð/.


Pour l'occitan, voir les détails à d intervocalique, dr intervocalique.

Pour le français, F. de La Chaussée estime que "d > δ entre la fin du Ve siècle et celle du VIe siècle" (IPHAF:45), puis δ s'amuït au IXe siècle (IPHAF:97, corrigenda p. 212).


latin


occitan


français

d

>
z

sūdāre

>

susar


suer

dr >
/i̯r/
r, rr (1)

quădrātŭ(m)

>

cairat


carré

d'r >
/i̯r/
r, rr (1)
gaul -dŭrŭm "forteresse" >
-ire (Içoire "Issoire" 63) (2)
-rre (Auxerre, Tonnerre, Nanterre)
(2)





Tableau ci-dessus. Évolution de d intervocalique en Gaule.

 

(1) Pour le français, pour r / rr, voir ci-dessus.

(2) Pour d'r, "Bouloire" (72) (Bolodro, VIIe siècle) montre qu'en domaine français, d'r a pu aussi évoluer en /i̯r/ comme en domaine occitan. (*Bolodurum : p-i-e bolo "hauteur" ? DENLF:80a ou gaul bolo "prunelle" ? TGF1:175 — gaul "forteresse").

Pour Auxerre, Nanterre, Tonnerre, aussi Briare, Brières, Jouarre, Mandeure, etc. : TGF1:175-176.



3. Évolution de g intervocalique

 

Voir ci-dessus pour les hésitations concernant la prononciation latine : /g/ ou /ɣ/.


Pour l'occitan, voir les détails à g intervocalique, gr intervocalique, gl intervocalique.


latin


occitan


français

g

>
g, i, j, ∅, v (1)
>
i, ∅, v
plāgă(m) >
plaga, plaia, plaja

playe > plaie

dōgă(m)

>

doa, dova...


douve

gr >
/i̯r/
i̯r

flagrāre

>

flaira


flairer

gru / gre? (dern) >
gr
i̯r

nĭgrŭ(m)

>

negre


noir

g'l (2) >
// (lh)

rēg(ŭ)lă(m)

>

relha


(a.fr.) reille

ng'l >
ngl
ngl

cĭng(ŭ)lă(m)

>

cengla


sangle






Tableau ci-dessus. Évolution de g intervocalique en Gaule.


(1) La situation est très variable en fonction des voyelles environnantes, de la région, et de l'influence de la voie savante, voir partie 2 : spirantisation de g intervocalique.

(2) gl est toujours secondaire à l'intérieur d'un mot (IPHAF:69) sauf nĕglēctŭs.



4. Évolution de v intervocalique
 

Pour les détails, voir évolution de waw primaire.



latin


occitan


français

v

>
v

v

lăvārĕ

>

lavar


laver

v
au contact de o, u
păvŏrĕm



paọr > paur




peur






v
devenu final
clāvĕm

-u

clau


-f

clef





Tableau ci-dessus. Évolution de v intervocalique en Gaule.

 





IV. S devant consonne conservé en sud-occitan

 

Le sud-occitan conserve le s devant consonne sonore, y compris en cas de prosthèse (escòla, estèla, espina...). En français, ce s disparaît à l'oral aux XIIe, XIIIe siècles. Il est maintenu à l'écrit jusqu'à la réforme orthogaphique française de 1740, où il est remplacé par un accent circonflexe ("pâte"), ou par un accent aigu ("école").


En nord-occitan, ce s a évolué en /y/, /h/, /:/, ∅. Je ne connais pas la date de ce changement, mais on peut penser qu'il s'est fait en même temps que pour le français, ou plus tard. Concernant l'orthographe, on peut conserver à l'écrit la forme avec s, comme semble le préciser le C.L.O. (source archivée : Preconizacions:40). Mais en vivaro-provençal, il est logique d'accepter les orthographes escòla et eicòla (voir dialectes).


Cas particulier des consonnes non sourdes :

Devant les consonnes non sourdes [b - d - g - z - v - j - l - m - n - r] , la prononciation de s est aléatoire (prononcé ou non), voir par exemple préfixe des-.


latin


sud-
occitan


nord-
occitan


français

s
devant consonne sourde
 (y compris cas de prosthèse)

>
s
>
/y/, /h/, /:/, ∅
>
XIIe XIIIe siècles (mais s maintenu à l'écrit → 1740)
 ex- (*exclaricire...)

esclargir



éclaircir
pastă(m)
pasta
[pahto], [pa:to]
pâte
bstĭă(m)
bèstia (1)
[beytyo], [be:tyo], [behtjo]

bête (1)
schŏlă(m)
escòla
[éykòlo], [ékòlo], [éhkòlo]
école
stellă(m)

estela



étoile

   Stĕphănŭ(m) [stéφanʋ]


Estève




Étienne

s
devant consonne sonore (rare)
>
/y/
>


*blastĕmă(m) > blasme
blaime
blâme

*vassĕlltŭ(m) > vaslettu 


vailet, varlet


valet








Tableau ci-dessus. Évolution du son /s/ devant consonne en Gaule.

(1) bēstĭă(m) a donné bicha, "biche" par la voie populaire ; la voie présentée ici est une voie "demi-savante". 





V. Le -a du féminin est mieux conservé en occitan

 

Au VIe siècle, tout -a final évolue en /-ə/ dans le nord de la Gaule (IPHAF p.194), puis s'amuït récemment en français standard.

LPEPH:203, note 6   "(...) le [ə] final s'est probablement prononcé jusqu'au 15e siècle (Fouché (1958), p. 524, mais cf. Banitt (1972) p. 75 qui voit dans certaines graphies inverses la possibilité que [ə] ait pu disparaître dès le 13e siècle)."


Il faudrait étudier si les syncopes de type [sriz] pour "cerise" sont synchrones de l'amuïssement de /-ə/.


Dans le sud de la Gaule, le -a est conservé mais évolue bien plus tard (? siècle) dans de nombreuses régions en /ò/, /œ/, /ə/. Voir carte pour la pronciation actuelle en Provence : la zone hachurée montre encore une prononciation /a/ ; ailleurs on prononce /ò/, /œ/... Cette consonne finale n'est jamais amuïe alors qu'elle est généralement amuïe en français.






VI. Diphtongues

  

L'abondance des diphtongues (et des triphtongues) dans le provençal est un élément frappant pour un français néophyte écoutant du provençal. Les diphtongues sont d'ailleurs considérées comme disparues du français moderne (hors Québec, voir Wikipédia ici, 2017). Cependant en ancien français, diphtongues et triphtongues étaient très abondantes, mais elles se sont simplifiées au cours du temps (monophtongaison) - la graphie du français en garde la mémoire ("eau", "bœuf", "allaient"...). De ce fait, "la musique" du provençal actuel doit rappeler celle de l'ancien français sur ce point.




A. Diphtongue latine au conservée en occitan (et en partie eu grecque)
 

Remarque : pour les diphtongues latines æ et œ, voir la monophtongaison de æ et œ.



1. Diphtongue latine au conservée en occitan
  

Voir le développement à Diphtongue latine au.


Schéma général :

Occitan :   lat au > oc au /aʋ̯/ 

(la diphtongue est bien conservée ; dans certaines régions > /òw/ ; en position atone > /ów/ )


Français : lat au > fr /ò/   (fin du Ve siècle) (IPHAF:117)

(puis > ò, ó ou ʋ selon le contexte consonantique).


Donc l'occitan conserve la diphtongue latine au, contrairement au français, par exemple : lat causă(m) > oc causa /kaʋ̯zo/, fr "chose".



 

2. Devenir des diphtongues latines et grecques eu
   

- les mots latins savants d'origine grecque conservaient eu grec ; ils ont eux-même souvent suivi une voie savante pour arriver dans la langue occitane. Leur devenir est hétérogène : tantôt eu est conservé en occitan, tantôt eu est assimilé à au (voir la discussion à reumàs "rhume", reumatisme "rhumatisme".

reuma > reumàs [rówmas], s'enreumassar [é̃rówmasa] ; voir (AO) rauma / ręuma.

Europa > Euròpa...


- voie populaire par le grec de Marseille :

La diphtongue grecque ευ /èʋ̯/ s'est perpétuée en occitan dans tautena "calamar" (< τευθίς teuthís "calamar"). Tautena fait partie des mots provençaux d'origine grecque, provenant du "grec de Marseille" (FEW 13/1:290a), comme estubar, empurar etc.


En AO on a taute, tautenon "calamar". Voir étude de -aut-.


Donc cette diphtongue grecque s'est assimilée à la diphtongue au.







B. Diphtongaison romane limitée en occitan
   

Voir le développement plus détaillé à : diphtongaison romane.



1. Vue d'ensemble sur la diphtongaison romane
 

Voir le développement plus détaillé à : vue d'ensemble sur la diphtongaison romane.



La diphtongaison romane affecte è et ò toniques (respectivement < ĕ et < ŏ latins, voir mutation vocalique). Cependant les conditions de sa réalisation varient fortement selon les régions de la Romania (voir Place de l'occitan, diphtongaison romane). Sa réalisation est la suivante.


- début du IIIe siècle : /è/ > /iè̯/ (> /yè/, pour le français : /yè/, parfois /i/)

- début du IVe siècle : /ò/ > /ʋò̯/ (>... /üò/, /üé/, /yò/..., pour le français : /œ/)



Dans les domaines gallo-roman et catalan, on peut distinguer deux phénomènes : la diphtongaison romane spontanée et la diphtongaison romane conditionnée. Dans ces domaines géographiques, les deux types de diphtongaison affectent /è/ et /ò/ toniques libres mais de façon variable selon la langue et parfois le dialecte. En une première approche, on peut dire :


    - la diphtongaison spontanée se réalise devant n'importe quelle consonne latine (non palatalisée), ou même devant une voyelle en hiatus ;


    - la diphtongaison conditionnée se réalise seulement devant une palatale : elle ne se réalise donc apparemment qu'après la palatalisation de certaines consonnes latines qui exerçaient jusqu'alors une entrave.

 


La diphtongaison spontanée affecte systématiquement le français, et très peu l'occitan. Par contre, les deux langues sont affectées systématiquement par la diphtongaison conditionnée (conditionnée par la présence d'une palatale subséquente).


Il faut remarquer que cette diphtongaison affecte de la même manière l'italien (miele, fiero, dieci, cuore...), et encore davantage le castillan, dans lequel même les voyelles entravées sont diphtonguées (ferru > hierro ; herbe > ierba ; terra > tierra ; morte > muerte) (HDLL:65).





2. Diphtongaison romane spontanée très réduite en occitan

 

Pour l'occitan, voir le développement plus détaillé dans la partie "Du latin au provençal 2" : diphtongaison romane spontanée.




La diphtongaison romane spontanée touche la moitié nord de la Gaule ; elle touche aussi la moitié sud, seulement pour quelques mots : elle n'affecte que les /ò/ toniques libres suivis de k ou w (fŏcŭm > fuòc, bŏvĕm > buòu...)



a. La diphtongaison spontanée n'affecte presque que le français

 

La diphtongaison spontanée s'est produite (dans la moitié nord de la Gaule) :

- vers le début du IIIe siècle pour la voyelle è (IPHAF:182) ;

- vers le début du IVe siècle pour la voyelle ò (IPHAF:185).


Plus tard en domaine d'oïl, les diphtongues issues du ò se monophtongueront en /œ/, /ë/ (cœur, meule, œuvre...). Mais dans tous les cas, pour è et pour ò, elles donneront des voyelles différentes de l'occitan, qui lui, a conservé les voyelles du latin parlé tardif.



α. La diphtongaison spontanée de è n'affecte que le français
 
Schéma général (diphtongaison spontanée de è)
 

En domaine d'oïl, au début du IIIe siècle :


(à droite, j'écris les aboutissements tels qu'on les connaît en français moderne)


ĕ /è/ > /iè̯/    > /yè/  (cas général : "fier")

     > /yé/  (si la consonne finale ne se prononce plus : "pied", voir loi de position)

     > /i/   (si un i diphtongal apparaît après è : "dix")



Type "fier"

 
fĕrŭ(m) /ferʋ/  "sauvage"  
> (mutation vocalique)  */fèːrʋ/



français et francoprovençal 

(essentiellement d'après PHF-z:55, PHF-f2:251, 266-268 ; IPHAF:107 ne donne pas l'étape "rapprochement de è vers i" ni la loi de position, son scénario est donc incomplet) 



> (début IIIe siècle : diphtongaison romane spontanée)  */fiè̯ːrʋ/

> (fin Ve siècle : ʋ > ó)  */fiè̯ːró/
> (vers le VIIe siècle ? : rapprochement de è vers i)  */fiéːró/
> (VIIe-VIIIe siècle : apocopes)  */fié̯ːr/


dialectes du Nord-Est (PHF-f2:267-268)

dial. fir [fiːr]
(voir ALF:285 "le ciel")
francoprovençal (PHF-f2:268)

> (réduction de diphtongue seulement au féminin : pourquoi ?)  /fiːra/
→ alternance fier / fira


> (vers 1200 : bascule des diphtongues, consonification i > y)  */fi̯éːr/ > /fyéːr/
→ [fyéːɾ]
(é : Meigret, 1542 ; Maupas, 1625 ; encore Boyer, 1703)
dialectes de l'Ouest (sauf Normandie)

> (réduction de diphongue) */fér/  (extrapolé sur pé < pĕdĕm)
(voir → dial. [pé]
(ALF:1012 "pied")


> (début XVIIe siècle : loi de position)  */fyèːr/              (1)
→ [fyèːɾ]
(è : Oudin, 1633)
> (fin XVIIe siècle : ɾ > ʁ/) [fyèːɾ] > [fyèːʁ]
→ "fier"




occitan    (l'occitan a toujours conservé le timbre [è] depuis le latin vulgaire)


> (fin Ve siècle : ʋ > ó)  */fèːró/
> (VIIe-VIIIe siècle : apocopes)  */fèːr/ AO fȩr
(quand ? souvent perte de la valeur longue de è)  /fèr/


dialecte provençal maritime

> (perte de -r)  /fè/     
pr.ma. [fè] (TDF)
(tardivement, variable selon les régions : ɾ > ʁ/)  [fèɾ] > [fèʁ] fèr [fèʁ]




(1) Pour l'adjectif français "fier", le CNRTL donne : "Avec cher fait exception à la liste d'adjectifs en -er, -ier (léger, altier) qui ont perdu du XVIIIe au XIXe siècle la prononciation de l'r final du masculin ([léjé], [altyé]) rejoignant ainsi, peu à peu, les substantifs de même finale. Comparer aussi avec l'infinitif fier ([fyé]). On rappelle que cher rime avec léger, fier avec altier dans Racine".

L'auteur ne précise pas la prononciation dans Racine ; je pense que ce dernier envisageait la prononciation [fyèːr], [altyèːr], voir PHF-f2:251 (remarque vers le bas de page) : "Beaucoup de mots en -ier, dont l'r ne se prononçait pas au XVIe siècle, pas plus qu'aujourd'hui, ont repris l'r au XVIIe et au XVIIIe siècles, par exemple altier, entier, familier, régulier, seculier, singulier, etc. Dans ces mots, la prononciation de -ier s'est modelée sur celle de fier, hier. Cependant on a essayé d'introduire une distinction entre eux. C'est ainsi qu'au dire de Tallemant (1696), l'Académie voulait qu'on prononçât un ȩ dans entier, altier, mais un dans familiér, singuliér. [...]"


Pour l'occitan fèr "sauvage", le -r a résisté ou bien s'est amuï selon les dialectes (TDFpr.ma. [fè]).





Exemples de l'évolution de è (< ĕ) tonique libre en occitan et en français
 

latin


occitan


français

ĕ
>
è
>
/iè̯/ > /yè/, /i/...





bĕ

bèn (1)

bien
cælŭm > cĕlŭ(m)
cèl > cèu (prov)

ciel
κεράσιον > cĕrĕsĭă(m)
cerieisa

*cerieise > cerise
dĕcĕ(m)
dètz (2)
*/dièi̯tsé/ >... /dis/ dix
ĕrat
èra

a.fr. iere "était"
fĕbrĕ(m)
fèbre (3)

fièvre
fĕl(ĕ)(m)
fèl > fèu (prov)
fiel
fĕrŭ(m)

fèr

fier
hĕ

AO ȩr, OM franc ièr, aièr

hier
intĕgrŭ(m)
entèir (a.oc., auv) (3)
entier (entièir > a.pic. entir)
lĕpŏrĕ(m)

lèbre

lièvre
mĕl(ĕ)(m)
mèl > mèu (prov)
miel
pĕdĕ(m)



pied
pĕtră(m)

pèira (3)

pierre
rĕm(ĕ)(m)

rèn (1)

rien
rĕtrō
rèire (3)

arrière (< adrĕtrō)
Stĕphănŭ(m)

Estève

Étienne
tĕnĕt

tèn (1)

tient
tĕpĭdu(m)

tèbe

tiède
*trĕb > *trĕbum

Trève (30, 69) (4)
Trièves (69) (4)
vĕnĭt
vèn (1)

vient





Tableau ci-dessus. Diphtongaison romane spontanée de è (< ĕ) tonique libre : elle n'affecte pas l'occitan mais elle affecte le français.


(1) Les accents graves sur ces formes occitanes nasalisées sont supprimés dans la graphie classique, alors que lexique-provence conseille de les utiliser (pour le provençal), voir prononciation de en.


(2) Pour dĕcĕm "dix" : voir ci-dessous i diphtongal devant ke, ki, et la discussion à dĕcĕm.


(3) Dans fĕbrĕm, intĕgrŭm, pĕtrăm, rĕtrō, tout se passe comme si le groupe consonantique occlusive + liquide ne faisait pas entrave (IPHAF:36), donc la voyelle ĕ a pu diphtonguer en français. Voir les détails à : cas particulier de è et ò devant muta cum liquida.


(4) Le gaulois *trĕb "habitation" semble avoir donné Trève "Trèves" (communes du Gard et du Rhône), Trièves (commune du Rhône) TGF1:146. Il faudrait envisager Trièves (région de l'Isère), mais pour cette dernière appellation, Trĭvĭæ "déesse des carrefours" a été proposé comme étymon. À étudier.





β. La diphtongaison spontanée de ò n'affecte que le français (sauf devant k et w)
 

Schéma général
 

En domaine d'oïl, au début du IVe siècle :


(à droite, j'écris les aboutissements tels qu'on les connaît en français moderne)


ŏ /ò/ > /ʋò̯/    > /œ(cas général : "cœur")

     > /ë/  (si la consonne finale ne se prononce plus : "bœufs", voir loi de position)

     > /ò̃/ devant n (type "bon, bonne" ci-dessous)




Type "cœur"
 
(acc) cŏr /kór/  "cœur"  
> (mutation vocalique, sans doute alignement sur la 3e déclinaison du latin populaire pānĭs) 
*/kòːré/


(PHF-z:55-56 ; IPHAF:107 partent du latin classique cŏr, mais dans ce cas ŏ serait entravé, donc logiquement il n'y aurait pas de diphtongaison)




français

(essentiellement d'après PHF-z:55-56 ; IPHAF:107 ne donne pas l'étape "rapprochement de ò vers ʋ" ni la loi de position, son scénario est donc incomplet)



> (début IVe siècle)  */kʋò̯ré/
> (vers le VIIe siècle ? : rapprochement de ò vers ʋ)  */kʋó̯ːré/
> (VIIe-VIIIe siècle : apocopes)  */kʋó̯ːr/ Alexis, Guigemar quor */kʋó̯ːr/
> (XIe siècle ? différenciation de point d'articulation) */kʋé̯ːr/        (1)
Roland : quer, coer 
> (XIe siècle-début XIIe siècle : antériorisation de ʋ, au contact de é?) */kuéːr/
 → SteMarguerite : cuer...
> (XIe siècle-début XIIe siècle : labialisation (rapprochement de é vers u) */kuëːr/
> (vers 1200 : bascule des diphtongues, consonification u > ü)  */këːr/
> (XIIIe siècle : monophtongaison) */këːr/
> (début XVIIe siècle : loi de position)  */kœːr/          
> (fin XVIIe siècle : ɾ > ʁ/) [kœːɾ] >[kœːʁ]
→ "cœur"




occitan    (l'occitan a toujours conservé le timbre [ò] depuis le latin)

> (VIIe-VIIIe siècle : apocopes)  */kòːr/ AO cǫr
(quand ? souvent perte de la valeur longue de ò)  /kòr/


dialecte gascon

> (perte de -r)  /kò/                   
g còr /kò/ (voir ALF:306 "cœur")


(tardivement, variable selon les régions : ɾ > ʁ/)  [kòɾ] > [kòʁ] còr




(1) Pour le français, l'étape ʋó̯ > ʋé̯ est datée du XIe siècle dans IPHAF:107 (reprenant "Bourciez, Élém. § 263b"). Elle est datée du XIe- début XIIe siècle dans PHF-z:56. Cette datation est fondée sur les attestations graphiques (Alexis, Guigemar : quor ; Roland : quer, coer ; SteMarguerite : cuer..., voir CNRTL "cœur").




Évolution ŏ > /ʋò̯/ > /ë/, /œ/ en français : cas de cŏr "cœur" (d'après IPHAF:107). Voir aussi fŏcŭm > "feu".

(à partir de l'étape /kʋè̯r/, F. de La Chaussée signale que le scénario n'est pas connu avec certitude)

 

cŏr /kòr/ "cœur"

> (début du IVe siècle) /kʋò̯r/

> (quand ? différenciation ʋò > ʋé) /kʋè̯r/ (1)

> (ʋ labialise è en œ) /kʋœ̯r/

> (ʋ > u sous l'effet de œ, mais pour moi : c'est simplement l'antériorisation de ʋ au VIIIe siècle) /kuœ̯r/

> (vers 1200 : bascule des diphtongues) /ku̯œr/

> (quand ? amuïssement du premier élément de diphtongue) /kœr/ cœur

 

(1) je propose de rattacher cette différenciation au type fuego largement représenté en Romania occidentale, donc il s'agirait d'une transformation plus ancienne que le XIe siècle proposé par Bourciez Élém. § 263b in IPHAF:107.



Type "bon, bonne"
 

Selon F. de La Chaussée (IPHAF:134) :

"D'une façon générale, les voyelles toniques libres se sont diphtonguées devant une consonne nasale explosive [(c'est-à-dire intervocalique)], et l'on ne voit pas pourquoi elles ne l'auraient pas fait : amat > ae̯mat, bĕne > bie̯ne, plēnu > pléi̯n, bŏna, hŏmo, cŏmes, > bʋo̯na, ʋe̯m, kʋe̯ns ; la diphtongue ʋo̯-ʋe̯ a été éliminée par l'analogie de formes proclitiques (bon, on [c.s. de homme]) ; le nominatif cuens a disparu.

La question ne se pose que pour o > ó : [voir suite ci-dessous : type "don"]".




Exemples de l'évolution de ò (< ŏ) tonique libre en occitan et en français
 

latin


occitan


français

ŏ
ò
/ʋo̯/ >...> /œ/





cŏr
còr
cœur
fŏrŭ(m)
AO fòr (fur : franc.)
a.fr. fuer, feur, f.a. fur (voir Feurs 42) (1)
mŏlă(m)
mòla
meule
ŏpĕră(m)

òbra

œuvre
pŏpŭlŭ(m)

pòbol, pòple

peuple
prŏbăt

pròva
a.fr. prueve "(il) prouve"
rŏtă(m)
ròda
a.fr. ruee, reue "roue"





Tableau ci-dessus. Diphtongaison romane spontanée de ò (< ŏ) tonique libre : elle n'affecte pas l'occitan mais elle affecte le français.


(1) Pour fŏrŭm, le dérivé français "fur" (dans "fur et à mesure") est un développement particulier (je pense : amuïssement de œ au stade /fuœ̯r/). Le nom de la ville de Feurs (42) provient de Foros (segusiavorum), et le nom latin de cette ville a donné le nom de la région du Forez : pagus forensis (*pagus forēsis) > "Forez" (ici le -z s'oppose au cas général du francoprovençal, où -z, non prononcé, indique que la voyelle précédente n'est pas tonique ; ici elle est tonique ; par ailleurs il faudrait étudier la pononciation [è] en finale).




Dans cet exposé, la diphtongaison spontanée en français est le premier phénomène majeur qui explique pourquoi de nombreux mots français ont des voyelles différentes des mots occitans (voir le 2e phénomène majeur ci-dessous).










γ. La diphtongaison spontanée de ò devant k et w affecte le français comme l'occitan

 

Par exemple :

- fŏcŭm > oc fuòc, fuec, a.fr. *fuéu "feu" ;

- bŏvĕm > oc buòu, a.fr. buef "bœuf".


Voir le développement dans la partie "Du latin au provençal 2" : diphtongaison spontanée devant /k/ et /w/.




b. La diphtongaison conditionnée (devant palatale) est commune à l'occitan et au français, mais elle a évolué en français

 

Voir le développement dans la partie "Du latin au provençal 2" : diphtongaison romane conditionnée.



En occitan comme en français, devant les palatales :

y, , s', r', , è et ò antécédents ont subi la diphtongaison, avec la même réalisation que la diphtongaison spontanée :



 

- /è/ > /iè̯/ (>... /yè/, mais souvent > /i/ en français)

- /ò/ > /ʋò̯/ (>... /üò/, /üé/, /œ/ en français)



La diphtongaison conditionnée daterait au plus tard du début du Ve siècle.



Le résultat ʋ̯ò peut évoluer par la suite : ʋ̯ò >u̯ò > u̯è en occitan, et surtout, les deux diphtongues i̯è et ʋ̯ò ont beaucoup évolué dans la moitié nord de la Gaule pour donner le français actuel (liech "lit", nuech "nuit").




Dans cet exposé, cette évolution poussée de la diphtongaison conditionnée dans le nord de la Gaule est le deuxième phénomène majeur qui explique pourquoi de nombreux mots français ont des voyelles différentes des mots occitans (voir le 1er phénomène ci-dessus, et le 3e phénomène ci-dessous).

 






C. Diphtongaison française absente en occitan
 


Au VIe siècle se réalise la diphtongaison française dans la moitié nord de la Gaule. Elle peut être appelée "seconde diphtongaison", mais il ne faut pas oublier qu'elle n'affecte que la Gaule du nord. La "seconde diphtongaison" en occitan serait plutôt la diphtongaison du ò à partir du XIIIe siècle, ou bien la diphtongaison devant l. La diphtongaison française affecte les toniques libres é, ó, et un peu plus tard, a (IPHAF:107,194).


Francoprovençal : cette diphtongaison est aussi mise en évidence pour le francoprovençal, ou arpitan, voir ci-dessous, seulement pour é et ó.


Ainsi parmi les voyelles toniques libres, è, ò étaient déjà affectées par la diphtongaison romane surtout en Gaule du nord, et on voit ici que é, ó, a le seront aussi, toujours en Gaule du nord. Ce sont les processus essentiels qui différencient les voyelles d'oïl des voyelles d'oc. Les évolutions poussées de diphtongues et de triphongues en français accentueront cette différenciation des voyelles entre le nord et le sud de la Gaule.



Je cite Michel Banniard (CLD, archive p. 30-31) :


"Du VIIe au VIIIe siècle, la prononciation du latin change de nouveau dans des conditions qui commencent à donner à la parole des locuteurs du Nord une couleur vraiment différente de celle des locuteurs du Sud." Dans cette phrase, selon les datations de F. de La Chaussée (IPHAF:194), "VIIe" et "VIIIe" siècles sont trop tardifs, puisque la diphtongaison française aurait eu lieu au VIe siècle. "Dans le Sud, où les évolutions de ce type sont absentes, la parole devient la langue d'oc ; la “toile” s'y dit toujours [tela], la “fleur” [flore], “parler” [parlare]" "




1. Diphtongaison française au sens strict (é et ó toniques libres)
 


a. Vue d'ensemble sur la diphtongaison française
 

Au VIe siècle, la diphtongaison française au sens strict affecte é et ó toniques libres (respectivement < ē, ĭ et < ŭ, ō latins, voir ici). Elle est du type : 


/éː/ > /éi̯/    ...   >   /wa/   (/è/)

/óː/ > /óʋ̯/    ...     >   /œ/


Francoprovençal : cette diphtongaison atteint aussi le francoprovençal, ou arpitan : tēlă(m) > arp teila "toile", hōră(m) > arp awra (PHF-p:186), mais pas pour la voyelle a.


Cette diphtongaison se réalise "par l'arrière" (c'est la partie finale de la voyelle qui se modifie) et elle aboutit à une diphtongue fermante. Cela signifie que son degré d'aperture décroît au cours de son émission (la bouche se ferme davantage) : é > éi̯  ; ó > óʋ̯.


Citons HDLL:94 : "Les habitudes articulatoires des Francs en ont peut-être été encore une fois la cause. On croit que le francique a été caractérisé par un fort accent d'intensité (cf. allemand et anglais de nos jours). L'énonciation énergique d'une voyelle tend à produire un allongement ([é] > [éé] et [ó] > [óó]), ce qui entraîne une fermeture à la fin de l'articulation ([éé] > [éi̯] et [óó] > [óʋ̯] (...)."


Toute voyelle latine (brève ou longue) reste ou demeure brève en position entravée ; elle ne diphtongue donc pas (IPHAF:30, 35, mais cela n'est pas vrai pour le castillan, le roumain, le dalmate, pour la diphtongaison romane).


Voici ci-dessous l'évolution des diphtongues [éi̯] et [óʋ̯].



b. Diphtongaison française de é

 

Remarque : En nord-occitan, dans 5 départements (plus des bordures extérieures), il y a une diphtongaison pour tēlă mais elle est différente de la diphtongaison française (ALF carte 1308 "toile") : Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Corrèze : tiala, tièla, tiòla, (tiala, tiava), Hautes-Alpes : tièla, (tièra). Il s'agit ici d'une diphtongaison par l'avant. Elle n'existe pas pour pĭrăm > pera "poire". Peut-être l'étymon avait-il un e bref dans ces régions : *tĕlă ; il s'agirait alors d'une diphtongaison spontanée (ci-dessus). Mais "dix" (< dĕcĕm) montre une diphtongaison très peu présente dans ces départements (ALF carte 412 "dix"). À étudier.



Schéma général :


/éː/ > /éi̯/
   >               /wa/ (type "toile")

   >    dial.O. /è/ (type "craie")

Ce double traitement explique par exemple pourquoi on dit "français", "anglais" mais "danois", "chinois" (LDR:243). Voir suffixe occitan -és.


En occitan, ces mots sont restés très proches du latin : tela, plen, fen.



α. Type "toile"
 

L'aboutissement français actuel /wa/ est très éloigné du latin ēː/, alors que l'occitan conserve le timbre latin : tela [télo/a].


Le type /wa/ a mis très longtemps à s'imposer sur /wé/, voir ci-dessous digramme oi.


(ADoi:75 semble indiquer que /wa/ serait typique des dialectes de l'Est : Lorraine, Champagne, Bourgogne, Franche-Comté, mais le texte n'est pas clair, il donne oi sans parler de la prononciation).



tēlă(m) "toile"

(d'après IPHAF:96, 107 ; PHHL:167)


> (VIe siècle : diphtongaison française, -a > -e) /téi̯lə/ a.fr. teile (Voy. de Charlemagne)
> (milieu du XIIe siècle : différenciation de point d'articulation) /tói̯lə/ digramme oi 
> (fin XIIe siècle : assimilation de i̯ à ó) /tóé̯lə/
> (fin XIIe siècle : assimilation de ó̯) /tʋé̯lə/
(mais je pense qu'on peut invoquer /ó/ > /ʋ/ en français)

> (vers 1200 : bascule des diphtongues) /tʋ̯élə/
> (XIIIe siècle : raison peu claire) /tʋ̯èlə/
> (XIIIe siècle : raison peu claire) /tʋ̯alə/ (très longtemps considéré comme populaire)
> (XVIIIe siècle) /twalə/ → "toile" /twal/




ei > oi en prétonique (meitié > "moitié")
 

Pour le français, souvent ei > oi également en prétonique (E+I:65-66), comme par exemple dans a.fr. meitié >  "moitié". Ainsi, é roman est conservé en occitan, mais suivi de i, il passe à [wa] en français ("moitié"). Je n'ai pas trouvé d'explication de cette évolution ; PHF-f2.:447-448 la constate simplement, en distingant óy primaire ("foyer" < focariu), et óy secondaire qui est le cas qui nous intéresse. On pourrait classer cette évolution dans les différenciations de point d'articulation, comme pour le type "toile" juste ci-dessus, ou bien on pourrait la considérer comme une analogie sur l'évolution de type "toile".


latin


occitan


français






a.b.fr. brëkan > *brĭcā
bregar

a.fr. breier, broyer
dĕcānŭm
degan

a.fr. deien, doyen
lēgālĕm
leiau

a.fr. leial, loyal
lĭcē

leser, lesir

a.fr. leisir, loisir
mĕdĭānŭm
mejan

a.fr. meien, moyen
mĕdĭĕtātĕm
meitat > mitat

a.fr. meitié, moitié (1)
mĕssĭōnĕm
meisson

a.fr. meisson, moisson
nĕcā
negar

a.fr. neier, noyer
pĕctŏrīnăm
peitrina

a.fr. peitrine, poitrine

pĭscĭōnĕm
peisson

a.fr. peison, poisson

plĭcā
plegar

a.fr. pleier, plier, ployer

rēgālĕm
reiau

a.fr. regiel, royal

sĕxāgĭntā > sexanta
seissanta

a.fr. seixante, soixante

vĕctūrăm
veitura

a.fr. veiture, voiture

vĭdēmŭs
vesèm

a.fr. veion, voyons (2)

vīcīnŭm  > *vēcīnŭ(m)


vesin


 a.fr. veisin, voisin.


Tableau ci-dessus. Évolution ei > oi en prétonique en français.

(1) Pour mĕdĭĕtātĕm > "moitié", pour le -ié, voir ci-dessous type moitié.

(2) Pour vĭdēmŭs > "voyons", pour la flexion, voir le type "nous chantons"



Remarque : évolution /óy/ > /way/ (type "foyer")
 

Le type "foyer" ("broyer", "employer", "foyer", "loyer", "noyer", "voyelle"...) ressemble au type "aiguille", avec une évolution /óy/ > /way/. Dans Littré, il y a toujours la prononciation [óy] ; [way] est donnée comme alternative. Cependant dans ce type "foyer", l'évolution me semble parallèle à l'évolution du type toile (à étudier).




Digramme français oi

Le digramme français oi provient de l'évolution des toniques libres ē, ĭ > é > /ói̯/ en Gaule du nord ; il garde en mémoire la diphtongue /ói̯/ du XIIe siècle (tēlăm > toile).




Cependant d'autres voies phonétiques bien plus anciennes ont mené vers oi, mais elles concernent peu de mots :

- l'évolution des toniques libres ō, ŭ + ce, ci > /ói̯/ vers le IIIe siècle avec i diphtongal (vōcĕm > voix, aussi aucĕllŭm > oiseau) ;

- l'évolution de ĭ, ē + sce, sci au IIIe siècle avec i diphtongal (pĭscĕm > a.fr. pois, dér. poisson) ;

- l'évolution de s + ĭ, ĕ + voyelle avec i diphtongal (fŭsĭōnĕm > foison) ;

- l'évolution de t + ĭ, ĕ + voyelle avec i diphtongal (pōtĭōnĕm > poison) ;

- l'évolution de ō, ŭ + x : *bŭxĭtăm > boîte.



Quelques mots français contiennent le digramme oe, oê qui garde en mémoire la diphtongue de la fin du XIIe siècle : "poêle" /pwal/ < *pesle < pē(n)sĭlĕm (ADoi:78-81).


Mais l'histoire du digramme oi est "longue et tortueuse". Si aujourd'hui sa prononciation est uniformément /wa/ (/wè̃/ devant n implosif : "loin", "joindre"), sa prononciation a également été /è/ et /wè/. (ADoi:82) : "Historiquement la substitution de la prononciation moderne [wa] à oi prononcé [wε] a été très longue ; elle n'a définitivement triomphé de [wε] qu'après la Révolution. (...) Une des causes fondamentales du retard dans cette évolution est sans aucun doute à attribuer à des faits sociolinguistiques, les hommes de lettres et la magistrature maintenant la prononciation [wε] dans le langage soutenu, l'évolution en [wa] étant sentie d'origine populaire et propre à l'usage courant." 



β. Type "craie"
 


crētă(m) "craie"


L'aboutissement /è/, comme dans "craie", semble typique des dialectes de l'Ouest (ADoi:75). Il faut signaler que dans ce cas, le digramme ai ne reflète aucunement une ancienne prononciation /ay/ ; ce digramme a simplement été utilisé pour retranscrire /è/, comme on utilisait jadis e, ei, oi (avet pour "avait"). Voir la rime quadruple en /ètrə/ : estre : maistre : croistre : aparoistre (Jacques Tahureau, XVIe siècle, cité par Brunot in ADoi:76).


Le scénario d'aboutissement à /è/ n'est pas clair : les auteurs se contredisent. Je ne sais pas à quel stade de l'évolution de tēlă ci-dessus raccrocher "craie", ou la variante dialectale "tèle".


- (ADoi:75) : "réduction de l'ancienne diphtongue ei à e dans les parlers de l'Ouest et de la Normandie, dès la fin de la période de l'ancien français" (donc XIVe siècle, mais par quel cheminement ?).


- (PHHL:167) : j'adapte pour tēlă : /tʋ̯èlə/ > (XVIIIe siècle) /twèlə/ > (amuïssement de w) /tèlə/ : (notamment dialectes normands, voir carte ALF 1308 "toile" : tèle)



Les types écrits avec ai aujourd'hui sont (ADoi:73) :


- type "craie" : "craie", "claie", "raie", "taie", "faible", "raide", "harnais", "monnaie";


- type "(j')avais"  < hăbēbăm (formes verbales de l'imparfait et du conditionnel) : la prononciation /a/ semble généralisée rapidement, et non /avwè/ ;


- type "français" < franciscum ("anglais", "polonais" ; mais "chinois", "danois", "suédois", qui sont du type "toile" ci-dessus) ;


- type "chênaie" : -aie < -ētăm : "chênaie", "aulnaie", "oliveraie", "roseraie"...


- type "connaître" < cognōscĕrĕ, type "apparaître" < appārĕscĕrĕ : la diphtongue ne provient pas de ē, mais d'une synérèse entre une voyelle et i diphtongal de transition, voir verbes en -scĕrĕ.

 





γ. Types "plein"
 



Il s'agit du traitement de ē tonique libre devant n / m.


plēnŭ(m) "plein"

(d'après IPHAF:134, 136-137)


> (VIe siècle) /pléi̯n/

> (XIe siècle : action nasalisante de n) /plé̃ĩ̯n/

> (différenciation) /plè̃ĩ̯n/ (1)

> (XIIIe siècle) /plè̃n/

> (fin XVIe siècle) /plè̃/ "plein"


(1) Ici, on voit que l'évolution vers /wa/ est bloquée par la nasalisation (à expliquer).




δ. Type "foin"
 

Dans certaines régions (Bourgogne, Champagne, Lorraine), le type "plein" ci-dessus ne s'est pas réalisé : la différenciation a dû se réaliser avant la nasalisation (IPHAF:134).

D'où :


fēnŭ(m) (< fœnŭm)

> /féi̯n/ > (différenciation de point d'articulation) /fói̯n/ > (action nasalisante de n) /fó̃ĩ̯n/ > /fwè̃/ "foin" (or.dial.)
 


ε. Exemples de diphtongaison française de é
 

latin


occitan


français

ē, ĭ > é

e

/wa/ (/è/ or.dial.)
-ērĕ (*vŏlērĕ)

-er (voler)

-oir (vouloir)
clētă(m)
cleda

claie
crētă(m)
creda

craie
dĭgĭtŭ(m) > *dĭtŭ(m)

det

doigt (1)
fēbĭlĕ((m)
feble

faible
mŏnētă((m)
moneda

monnaie
pĭlŭ(m)
pel > peu (prov)

poil
pĭră(m)

pera

poire
pĭsŭ(m)
pese
pois
sētă(m)
seda
soie
sĭtĕ(m)
set
soif
tēlă(m)
tela
toile
vĭă(m)
via (2)
voie






 ēn, ĭn > én
en

ein (oin or.dial.)
fēnŭ(m)

fen

foin
mĭnŭs

mens

moins
plēnŭ(m)

plen

plein
rēnŭ(m)

ren

rein
sĕrēnŭ(m)

seren

serein






Tableau ci-dessus. Diphtongaison française de é absente en occitan, mais présente en français. La voyelle é tonique libre est diphtonguée en français.

(1) Pour dĭgĭtŭm > doigt, la forme écrite avec g "doigt" est une réfection étymologique (CNRTL).

(2) Pour vĭăm > oc via,  voir ea > ia (aussi f.dial. "vie" : FEW 14:371, 380 note 1 "à cause de l'hiatus").





c. Diphtongaison française de ó
 
α. Cas général de ó tonique libre en français
 

Schéma général :

/ó/ > /óʋ̯/    ...   > /œ/


flōre(m)   (d'après IPHAF:108,203)

(VIe siècle) /flóʋ̯ré/

(2e moitié du XIIe s. : différenciation óʋ̯ > éʋ̯) /fléʋ̯r/

> /flëʋ̯r/ ?

> (début XIIIe siècle : PHHL:189) /flër/

> (loi de position : ouverture [de type picard ?] ë > œ devant consonne articulée, commence au XVIe s.) /flœr/ "fleur"


L'étude ci-dessus concerne la Picardie et l'Île-de-France, régions préférentielles d'apparition du français.

Ailleurs en domaine d'oïl, on obtient :

> /flóʋ̯ré/          

> (VIIe, VIIe siècle : apocopes) → angl. flour "farine", flower "fleur"

> (assimilation óʋ̯r > ʋʋ̯r? > ʋr) /flʋr/ "flour"


L'aboutissement est identique à l'occitan flor /flʋr/ mais dans l'histoire du mot français "flour", il y a eu une diphtongaison française, qui a été réduite par la suite.


Voir aussi le blocage probable de la diphtongaison devant voyelle en hiatus dans scrōfăm > "écrou", mais non pour ŏ dans sarcŏphăgŭm > sarqueu > "cercueil" (IPHAF:31).




En occitan, ces mots sont restés très proches du latin : tela, plen, fen, flor, don.



Exemples :


latin


occitan


français

 ŭ, ō > ó
o
œ, ë
-ōrĕ(m) (dŏlōrĕm)

-or (dolor)

-eur (douleur)
-ōsŭ(m)

-ós

-eux
flōrĕ(m)

flor

fleur
gŭlă(m)

gola

gueule






Tableau ci-dessus. Diphtongaison française de ó absente en occitan, mais présente en français. La voyelle ó tonique libre est diphtonguée en français ; la diphtongaison est suivie d'une évolution menant à /œ/).




β. ó devant n / m
 

dōnu(m) (d'après IPHAF:134, 135)

> (VIe siècle) /dóʋ̯n/

> (XIe siècle : action nasalisante de n ; influence ouvrante sur ʋ de la nasalisation) /dõõ̯n/

> (XIIe siècle) /dõn/

> (fin XVIe siècle) /dõ/ "don"


Pour les féminins "couronne, personne, pomme, Rome" (< cŏrōnăm, persōnăm, pōmăm, Rōmăm...) [m] et [n] demeurent (alors que dans "don" on n'entend plus [n]) mais la voyelle /õ/ se dénasalise (PHHL:190,202). L'orthographe avec nn dans "couronne", mm dans "pomme"... représente encore l'ancienne nasalisation de o (référence ?).


 



 

2. Diphtongaison de a tonique libre en français

Une des grandes différences entre les voyelles de l'occitan et celles du français est le devenir de la voyelle latine a (ă, ā) tonique libre : le timbre est conservé en occitan, mais il a évolué vers [é] en français. Cette évolution française est interprétée comme provenant d'une ancienne diphtongaison.


(HSPGF:5 "[aː] > [eː] [...] on postule souvent une étape intermédiaire de diphtongaison, mais cf. Avalle 1966, [2002:307]". Je n'ai pas accès à ces œuvres d'Avalle).


Le point de départ de cette évolution française serait une prononciation [æ] du a latin en toute position, en Gaule du nord (logiquement jusqu'à la ligne cabra/chabra), réalisée au plus tard au IVe siècle. Cette prononciation aurait par ailleurs entraîné (?) la palatalisation de ca, ga en position forte (IPHAF:109, PHF-z:115). La prononciation [æ] n'aurait été que passagère, et les [æ] non affectés par la diphtongaison seraient retournés à une prononciation [a], même en finale (capra).


Francoprovençal : contrairement à é et ó, le francoprovençal (ou arpitan) ne connaît pas de diphtongaison de a (PHF-p:186). Par exemple : voir carte "clé" de l'ALF (clāvĕm > fr.pr. cla), aussi mănŭ(m) > fr.pr. man "main" (a devant nasale).


La diphtongaison du a tonique libre (< ā, ă) se réalise dans la seconde moitié du VIe siècle (IPHAF:108,194) (PHF-z:56, 196 : VIe siècle). Elle se rattache à la diphtongaison française. Voici sa réalisation (d'après IPHAF:108) :


a > */æː/ >  /æè̯(...> é, è) 


Remarque : conservation de a en français par influence savante :

GEAF:12-13 : "Le suffixe -álem a donné -el, comme le montrent les formes mortalem > mortel ; *missalem > missel ; cf. encore talem > tel ; qualem > quel ; mais on trouve de nombreuses formes en al (égal, royal, loyal, etc.), qui n’appartiennent pas sans doute à l’ancien fonds de la langue. On trouve mel (malum) à côté de mal ; animal est emprunté au latin. Beaucoup de mots savants ou de mots d’emprunt ont gardé l’a : étable, fable, table [note sur taule], adjectifs en -able : aimable, coupable, etc.; état, pape, candélabre, etc."



a. Cas général pour a tonique libre en français

 


Dans le cas général, la diphtongue évoluerait de la manière suivante :

(d'après IPHAF:108, complété avec PHF-z:57 pour la période à partir du XIe siècle)


ă ou ā

/aː/

> (au plus tard fin IVe siècle) */æː/

> (2e moitié du VIe siècle) */æè̯/

> (avant Eulalie : monophtongaison) */æː/? (1)

> (XIe siècle) *ː/

> (XVe , XVIe siècle : loi de position) /é/ ("pré"), /è/ ("mer")



(1) L'aboutissement */æː/ identique au point de départ semble a priori curieux. Il faut que je trouve plus de sources pour comprendre comment les spécialistes sont parvenus à ce scénario. Pour l'aboutissement /æː/, les linguistes hésitent sur le timbre. Dès les premiers textes français (Eulalie), ce phonème provenant de a latin est écrit e (presentede < presentatam, spede < spatham). Il ne rime ni n'assone avec [é] ni avec [è] (IPHAF:108).

 




Diphtongaison française de a : exemple de "pré" (d'après IPHAF:108, adapté) 


prātu(m)   /praːtʋ/                   (occitan : voir t devenu final)
> (au plus tard fin IVe siècle : antériorisation et fermeture de a) */prætʋ/

> (vers l'an 400 : sonorisations)  */præːdʋ/
> (Ve siècle : spirantisation de d et -u > -ó)  */præːðó/
> (VIe siècle : diphtongaison française)  */præːè̯ðó/
> (début VIIe siècle? : monophtongaison)  */præːðó/
> (VIIe, VIIIe siècle : apocope, causant le durcissement de la finale)  */præːð/ > */præːθ a.fr. pred (Roland)
> (XIe siècle) */préːθ/ (PHF-f2:248, à mieux étudier)

> (amuïssement consonne finale, causant l'abrègement de è)  /préː/ > /pré/
→ pré

Type "aile" : certains mots français autrefois écrits avec e, ont été réécrits avec ai, pour rappeler le a latin : "aile" autrefois écrit ele, "clair" autrefois écrit cler. Voir le digramme français ai ci-dessus (source à mettre : Fouché ?). Voir aussi la voyelle probablement longue de ai.



Toponymes en -ācŭm (et lăcŭs "lac")

 


Le suffixe -ācŭm a été employé abondamment pour créer des toponymes dans les régions de langue gauloise. En effet ce suffixe est considéré comme d'origine celtique. A priori, on peut penser que son évolution est identique à lăcŭ(m) "lac".


Remarque : il faut distinguer -ācŭm et ācŭm, voir ci-dessous -ĭācŭm.


Typiquement, -ācŭm évolue en :

 -ay [è] en domaine d'oïl ;

 -ac ou -at en domaine d'oc (la consonne finale étant prononcée ou non selon les régions) ;

 -eu, -eux, -aix, -eix, -ex, -at en domaine francoprovençal (le -x n'a jamais été prononcé, il indique simplement que la dernière syllabe porte l'accent tonique, BRPAM).


Pour l'aboutissement -ay en domaine d'oïl, deux scénarios différents ont été proposés :


- scénario sans diphtongaison française de a (IPHAF:56) (je n'arrive pas à expliquer cette non-diphongaison, et les explications de F. de La Chaussée sont très sommaires, voir note 1 ci-dessous) ;


- scénario avec diphtongaison française de a (PHF-f3:630), développé juste ci-dessous.




Pour -ācŭm, le scénario pour le français ci-dessous est exposé d'après la conception de PHF-f3:630, que j'ai développée. La datation des événements est conforme à IPHAF.

P. Fouché explique l'évolution lăcŭ(m) > a.fr. lai "lac" selon le même scénario ; fr "lac" est sans doute une forme occitane qui a pénétré vers le nord à l'époque prélittéraire (FEW 5:126b).


Problème de l'origine du -y : pourrait se demander si -y (ou -i) n'est pas issu de l'évolution phonétique de -c- latin > *-g- (secondaire) > *-ɣ-. Mais l'auteur rejette ce scénario : "D'aucune façon on ne peut admettre que l'i final du v. fr. lai soit le continuateur d'un [ɣ] au contact d'une voyelle vélaire finale."

Au contact de o, u, il faut remarquer que l'évolution g (primaire) > i existe en domaine occitan v-a : dōgă(m) > doia (voie 1). Mais il est vrai que devant u, en domaine occitan g (primaire) semble s'amuïr systématiquement.

F. de La Chaussée estime ci-dessous que le -c- latin (prononcé "à la gauloise" [χ]) a bien évolué en -i, mais son explication manque de clarté.


-ācŭ(m)    */-aːkʋ/     (1)
> (vers l'an 400 : sonorisations)  */aːgʋ/


voie 1. Français

> (Ve siècle : spirantisation de g)  */aːɣʋ/
> (fin Ve siècle : -u > )  */aːɣó/
> (VIe siècle : diphtongaison française) */aè̯ɣó/
> (VIe siècle : amuïssement de ɣ)  */aè̯ó/
> (VIe siècle : différenciation d'aperture)  */aó/
> (VIIe siècle : apocope)  */a/ → */a/
> (XIIe siècle : assimilation d'aperture) */è/   (IPHAF:206)
> (XIIIe siècle : réduction de diphtongue)  */è/   (IPHAF:206) → -ay, -ai
prononcé aujourd'hui /è/
(ex : Tŭrnācŭm > Tournai Belg, 61, Tournay 14, Ternay 41, Tonnoy 54... à comparer avec Tornac 30 ci-dessous). (DENLF:672).
voie 2. Occitan

> (fin Ve siècle : -u > )  */aːgó/
> (VIIe siècle : apocope)  */aːg/
> (puis durcissement de la consonne devenue finale) */aːk/ -ac

(ex : Tŭrnācŭm > Tornac 30, à comparer avec Tournai Belg, 61 ci-dessus). (DENLF:672).
voie 3. Francoprovençal ("arpitan")

Les terminaisons -ax, -eix, -ex, -eux possèdent un x strictement graphique, qui n'a jamais été prononcé (au contraire de "Aix", voir Ais). Ce x indique simplement que la syllabe doit être accentuée (BRPAM).
Aussi : Ambérieu, ...


Il reste à étudier l'évolution phonétique à partir du latin. En domaine francoprovençal, il n'y a pas eu la diphtongaison française.


→  -ax, -as, -at, -eix, -ex, -eux, -eu
(ex :
Oyonnax 
01 < *Audienacum DENLF:514 ;
Frontenex 
73, Frontenas 69, Frontonas 38 < *Frontenacum DENLF:306 ;
Meximieux 01 < Maximiacum DENLF:426 ;
Savigneux 01, 42 < Sabiniacum
DENLF:647, Vénissieux 69 < *Veniciacum DENLF:698 ;
Viriat 01, Virieu 01 : 2 communes, 38 < Viriacum DENLF:726)




(1) Selon F. de La Chaussée (IPHAF:56), en Gaule, les toponymes de type Cameracu (> Cambrai) étant celtiques, leur prononciation était vraisemblablement en */aːχʋ/ et non en */aːkʋ/. Je dirais qu'il est probable que la prononciation fût variable, selon les milieux sociaux et les époques : prononciation "à la gauloise" ou "à la romaine". En tout cas, selon moi pour la Gaule du nord, la prononciation /aːχʋ/ conduirait quand même à */aːɣʋ/ au Ve siècle (sonorisation vers l'an 400 χ > ɣ), et donc rejoint l'étape de la fin du Ve siècle dans le scénario du français ci-dessus.

F. de La Chaussée donne :  /aχʋ/ > /açʋ/ > /ayʋ/ > /ay/ > ... /a/ ; ce scénario me pose deux problèmes :

- pourquoi χ > ç ?

- pourquoi n'y aurait-il pas de diphtongaison française ?


Pour la Gaule du sud : problème de lăcŭm > lau "lac" : à faire.

(L'évolution lăcŭm > lac est celle attendue pour l'occitan général : voie 2 ci-dessus pour -ācŭm).

 



Toponymes en ācŭm

 


Le suffixe -ĭācŭm a été employé abondamment pour créer des toponymes dans les régions de langue gauloise. C'est une variante de -ācŭm ci-dessus ; comme souvent pour les suffixes latins (voir -ānŭs/-ĭānŭs, -ĕnsĭs/-ĭĕnsĭs), il provient de l'usage fréquent de -ācŭm suffixé à une base en -ĭŭs, -ĭă (ici des noms de personne, comme Aurēlĭŭs, Flāvĭŭs, Octāvĭŭs...). La présence de ĭ entraîne la réalisation des premières palatalisations pour toute consonne, par exemple pour n : -nĭācŭm > /ñ/... Le développement de la consonne palatale a donc logiquement entraîné l'effet de Bartsch (ci-dessous).



Cas général pour -ĭācŭm :


Normalement, beaucoup de toponymes français en -y prononcé /i/ proviennent de -ĭācŭm, mais il faut que j'étudie aussi les formes dialectales en (Vitry / Vitré).



F. de La Chaussée donne l'exemple :


Clippĭācŭm > */kli͜tʃieɣo / > */kli͜tʃiey/ > Clichy (IPHAF:124)


L'auteur n'explique pas comment on passe de ā à /ie/ mais l'explication est sans aucun doute la loi de Bartsch ci-dessous.



P. Fouché (PHF-f3:630) détaille bien davantage son scénario, et fait intervenir la diphtongaison française de a ainsi que la loi de Bartsch (voir ci-dessous l'évolution de Săbīnĭācŭm).


Remarque : les toponymes historiques montrent souvent une étape en -ey ou -ei, par exemple : Montigneium au XIIIe siècle pour Montānĭācŭ(m) > Montigny (Montigny-le-Bretonneux, 78).







Cas du type Aurēlĭācŭm

Voir r'l, r'n + ĭ, ĕ : Aurēlĭācŭm > Aurilhac (15...) et "Orly" (94) (premières palatalisations).



Cas du type Vĭctōrĭācŭm

Le problème est complexe. L'étymon Vĭctōrĭācŭm (ou Vĭctōr + -ācŭm) semble convenir pour les toponymes d'oïl Vitry, Vitray, Vitré, et pour le toponyme d'oc Vitrac (15, 19, 24, 63). Le i bref (ĭ dans Vĭct-) n'a pas donné é (voir ĭ > é) ; a-t-il fusionné avec y < c (yt < ct) pour donner i en roman ?

Par ailleurs il y a eu probablement syncope du ō prétonique : Vĭctōrĭācŭm > *Victriacu. La demi-palatalisation du r a donc dû être contrariée. Pour Vitrolles (Vitròla) (05, 13, 84) l'évolution est semblable (< *Vĭctōrĭō "petite statue de la Victoire" TGF1:404 ; Vĭtrŭm + -ĕō "verrerie" proposé par DENLF:708 ne semble pas convenir car a priori, tr > i̯r).


Scénario pour le cas général -ĭācŭm :

Le scénario ci-dessous pour le français est exposé d'après la conception de PHF-f3:630. Datations d'après IPHAF.


ācŭ(m)    /-iaːkʋ/     (1)


Le ĭ en hiatus entraîne :

- la palatalisation de la consonne antécédente ;

- la palatale obtenue complexifie la diphtongue française ei en triphtongue iei ;

- la triphtongue est réduite en i.



exemple : Săbīnĭācŭm  */saβiːniaːkʋ/
> (Ier siècle : yodisation)  */saβiːnyaːkʋ/
> (IIe siècle : 1es palatalisations, 1es étapes de la mutation vocalique)  */saβaːkʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisations)  */saviñaːgʋ/


voie 1. Français

> (Ve siècle : spirantisation de g)  */saviñaːɣʋ/
> (fin Ve siècle : -u > )  */saviñaːɣó/
> (VIe siècle : diphtongaison française de a) */saviñaè̯ɣó/
> (VIe siècle : loi de Bartsch) */saviñ a è̯ɣó/
> (VIe siècle : amuïssement de ɣ)  */saviñ a è̯ ó/
> (VIe siècle : différenciation d'aperture)  */saviñ a ó/
> (VIIe siècle : apocope)  */saviñ a /
> (assimilation d'aperture) */saviñ è
voie 1a : dialectes du Centre et de l'Est

> (iei > i)  */saviñi/ → - palatale -y

(ex : Gallĭācŭm > Jailly 21, 58 ;

Săbīnĭācŭm > Savigny, 26 communes françaises)


(Savigna 39, Sévignac 22).

voie 1b : dialectes de l'Ouest

> (iei > é)  */saviñé/ → - palatale

(Savigné 37, 72 : 2 communes, 86, Sévigné 35)



voie 2. Occitan

> (fin Ve siècle : -u > )  */saviñaːgó/
> (VIIe siècle : apocope)  */saviñaːg/
> (puis durcissement de la consonne devenue finale) */saviñaːk/ > /saviñak/
> (souvent amuïssement de la consonne finale) /saviña/
→ - palatale -ac

(ex : Gallĭācŭm > Galhac 12, 31, 81 ;

Săbīnĭācŭm > Savinhac, 11 communes de France, Sevinhac, 2 communes dans

64).

voie 3. Francoprovençal (arpitan)

(à faire)


→ - palatale -eux...

(ex : Gallĭācŭm > Jailleux 01, (Bourgoin)-Jallieu 38 ;

Săbīnĭācŭm > Savigneux, 01, 42)


(1) Pour la prononciation de -ĭācŭm en gaulois, même remarque que ci-dessus.






Tableau d'exemples de a tonique libre
 



Dans le tableau ci-dessous sont présentés des exemples d'évolution en occitan et en français de a tonique libre devant consonne autre que m, n.


latin


occitan


français

ā, ă > a
a
é, e





-ācŭ(m)
(Tŭrnācŭm)

-ac
(Tornac)
(ci-dessus toponymes en -ācŭm)

-ay
(Tournai, Tournay...)
ācŭ(m)
(Aurēlĭācŭm, Săbīnĭācŭm)

-ac
(Aurilhac, Savinhac)
(ci-dessus toponymes en -ĭācŭm)

-y (1)
(Orly, Savigny)










-ārĕ (cantārĕ)

-ar (cantar)

-er (chanter) (1)
-ālĕ(m) (hŏspĭtālĕm)

ostal > ostau

a.fr. ostel > hôtel
-ātŭ(m) (cantātŭm)

-at (cantat)

-é (chanté)
ālă(m)

ala

aile (a.fr. ele)
cănĕ(m)

can

chien (1)
capră(m)

cabra

chèvre (1)
căpŭ(m)

cap

chef (1)
clārŭ(m)

clar

clair (a.fr. cler)
clāvĕ(m)

clau

clef
mărĕ

mar

mer
mātrĕ(m)

maire

mère
mĕdĭĕtātĕ(m)

mitat

moitié (1)
nāsŭ(m)

nas

nez
nāvĕ(m)

nau

nef
pătrĕ(m)

paire

père
prātŭ(m)

prat

pré











Tableau ci-dessus. Aboutissements de a tonique libre latin (devant consonne autre que m, n) : conservation en occitan, diphtongaison /aè̯/ > /é, è/ en français


(1) Pour -ĭācŭm, parfois -ārĕ, pour "chien", "chèvre", "chef", pour "moitié", "amitié", "pitié", voir la loi de Bartsch ci-dessous. 





b. Cas particulier : a devant nasale (m ou n)
 

En français, si a est suivi d'une consonne nasale (m ou n), l'ancienne diphtongue française /aè̯ / se ferme en /ai̯/, voir influence fermante de la consonne nasale ("aimer", "demain", "faim", etc.). La prononciation française actuelle est /è/ ou /è̃/, mais l'orthographe conserve la mémoire de cette ancienne prononciation. 


Remarque 1 : Il ne faut pas confondre cette évolution avec l'apparition du i diphtongal de transition lié aux palatalisations, par exemple dans "bain", "copain" (ci-dessous).


Remarque 2 : Il semble que cette évolution particulière de a devant nasale soit l'argument essentiel d'une diphtongaison française de a ; c'est ce que laisse penser la phrase de PHF-z:56 : "Sauf postposition d'une consonne nasale, áȩ se monophtongue en ȩ ouvert dès la période prélittéraire [...]". (chercher les premières occurrences de cette idée de diphtongaison de a). L'autre argument peut être un parallèle avec la diphtongaison de é et de ó.



Dans le tableau ci-dessous, je tente de répertorier tous les cas d'évolution de a tonique libre devant nasale en occitan et en français.


latin


occitan


français

an / am

an / am

ain / aim





-āmŭs
(cantāmŭs)

-am
(cantam)

(VIIe s.) *-ains
(nous *chantains) (1)
-ānŭ(m)

-an

-ain
aerāmĕn

aram

(arain >) airain
ămăt

ama

aime
an, an sīc

AO ans, ansin (2)

a.fr. ains, ainsi (2)
castellānu(m)

castelan

châtelain
certānŭ(m)

certan

certain
dāmŭ(m)

dam

daim
dē mā

deman

demain
*dērĕtrānŭm

AO dereiran "dernier"

a.fr. derrain "dernier"
exāmĭnĕ(m) (3)

eissame (3)

essaim (3)
fămĕ(m)

fam

faim
fŏntāna(m)

fontana

fontaine
lat.pop. fŏrānŭ(m)

foran

forain
grānă(m)

grana

graine
hūmānŭ(m)

uman

humain
lānă(m)

lana

laine
lĕvāmĭnĕ(m) (3)

levame (3)

levain (3)
Jordānĕ(m)

Jordan

Jourdain
mănŭ(m)

man

main
nănŭ(m)

nan

nain
pānĕ(m)

pan

pain
plānŭ(m)

plan > plana

plain > plaine
pūta(m), *pūtta(m) ou dér. pūtĭdŭ(m) (4)

putan

putain
rōmānŭ(m)

roman

romain
sānŭ(m)

san

sain
*scrībānĕ(m) (5)

escrivan

écrivain
sĕptĭmānă(m)

setmana

semaine
sŭbĭtānĕŭ(m)

AO sobdan, sobtan

soudain
vānŭ(m)

van

vain
vīllānŭ(m)

vilan

vilain





Tableau ci-dessus. Aboutissements de a tonique libre latin devant m, n : conservation en occitan, diphtongué /aè̯/ > /ai̯/, en français (l'orthographe du français conserve l'ancienne prononciation /ai̯/).


(1) Pour cantāmŭs > (nous) *chantains, (forme jamais attestée, voir par exemple MVAF:239, l'auteur oublie d'ailleurs l'astérisque), voir la désinence actuelle -ons ("Réfection des conjugaisons").

(2) Pour an > ans, ains, ette étymologie est une proposition personnelle, voir ansin.

(3) exāmĭnĕ(m), lĕvāmĭnĕ(m) ont subi l'apocope des proparoxytons en occitan, mais la syncope en français (> *examne, *levamne).

(4) Pour l'étymologie de putan, "putain", voir pūt(t)ŭs (Réfection des déclinaisons).

(5) Pour masc *scrībānĕm, il s'agit d'un accusatif populaire du lat.cl. scrī "copiste, scribe", sur le modèle des noms en , -ōnĭs (CNRTL "écrivain").





3. Action d'un phonème palatal sur a ou é subséquent en français
 

Les phonèmes palataux ont eu une action fermante sur a et é subséquents.


 
a. Action d'un phonème palatal sur a subséquent : loi de Bartsch
 

Karl Bartsch (références?) avait constaté que certains mots français comme "chien" ne suivent pas le modèle prātum > "pré" ci-dessus, mais développent une diphtongue .


Loi de Bartsch, ou effet de Bartsch (PHF-z:115) :

"Tout á tonique libre, immédiatement précédé d'une consonne palatalisée, subit une influence fermante qui le conduit à se fermer en í. [...] Il s'agit bien d'une diphtongaison, mais ici conditionnée et que l'on désigne traditionnellement sous l'appellation de loi ou d'effet de Bartsch, du nom du philologue qui, le premier, l'a mise en évidence."


Les auteurs rattachent à la loi de Bartsch l'action sur a initial libre (atone), comme căballŭm > *chéval "cheval" (PHF-z:116-117, IPHAF:113).


Francoprovençal : la loi de Bartsch s'exerce aussi pour le francoprovençal, malgré l'absence de diphtongaison française de a tonique libre. Par exemple : chievra [tʃyévra], [tʃyèvra] "chèvre", lyo chivau [tʃivó].





α. Action d'un phonème palatal sur le segment initial de a tonique libre (cănĕm > "chien")
 


Pour le français, certains mots comme "chien", a.fr. chief "chef", a.fr. chievre "chèvre", "moitié", ne suivent pas le modèle prātum > "pré" ci-dessus, mais développent une diphtongue . Beaucoup d'entre eux ont vu par la suite une simplification ié > é.



Type "cher" (a.fr. chier)
 

Par exemple pour cārŭ(m) > a.fr. chier "cher" deux théories expliquent l'évolution depuis le a latin. L'étude du francoprovençal pourrait aider à trancher entre les deux théories, car dans cette langue la loi de Bartsch s'exerce alors qu'il n'y a pas de diphtongaison française de a (voir par exemple le type "moitié" ci-dessous). Mais les aboutissements semblent hétérogènes, tantôt avec , tantôt avec ia : fr.pr. chièvre "chèvre", metiat "moitié" ; les influences françaises et occitanes ont pu jouer. À étudier.


- Théorie avec diphtongaison française de a :


Le phonème palatal a une influence fermante sur le segment initial de a tonique libre, qui venait d'être diphtongué en aè̯ comme indiqué ci-dessus (diphtongaison française). Cela crée donc une nouvelle diphtongaison ; celle-ci se réalise "par l'avant" (c'est la partie initiale de la voyelle qui est modifiée). Au total, on obtient une triphtongue, qui se simplifie en voire en è :



/a è̯/ > (diphtongaison par l'avant) / a è̯/ >  / è/ (> /è/)


Exemple de "cher", synthèse d'après IPHAF:108,113 :

cārŭ(m)

> tcharó (Ve siècle)

> tchaè̯ró (VIe siècle)

> tchiae̯r > tchièè̯r 

> (désaffrication, ʃié > ʃé) tchièr > cher.



- Théorie sans diphtongaison française de a :

(PHF-z:115-116), à faire.


> (1e moitié du Ve siècle) /äærʋ/ (a est resserré en æ, PHF-z:115)

>



latin


occitan


français






ā, ă tonique
/a/

/i̯é/ (> /é/)
-ā
(derrière future palatale)

-ar

-ier (> -er)





cănĕ(m)

can

chien
capră(m)

cabra

a.fr. chiévre > chèvre
căpŭ(m)
cap

a.fr. chiéf > chef
cārŭ(m)
car
a.fr. chiér > cher
căsăm

casa

a.fr. chiése "maison"
(voir chiés > chez)

Tableau ci-dessus. Effet de Bartsch (cas général). Le a tonique libre latin aboutit à ié, iè (souvent réduit par la suite en é, è).





Type "moitié" < mĕdĭĕtātĕm
 

Dans "moitié", "amitié", "pitié", a.fr. deintié "dignité ; mets de choix", le -ié est typique du français ; en occitan on a mitat, amistat, pitat (v.pop.), AO denhtat. Ces mots français ont en effet subi l'effet de Bartsch. Leur particularité tient à ce que la syllabe latine vient au contact d'une palatale antécédente, au moment des syncopes. Le t devient alors lui-même palatalisé (palatalisation progressive), ce qui engendre l'effet de Bartsch sur le a subséquent.


Francoprovençal : en francoprovençal, l'effet de Barsch s'est également exercé, sans que a ait subi la diphtongaison française : voir carte 1636 de l'ALF fr.pr. metiat.



Par exemple pour "moitié", voici le scénario (avec diphtongaison française, essentiellement d'après IPHAF:85,113, développé) :


mĕdĭĕtātĕ(m) "milieu ; moitié" 


*/méðiétaːté/
> */méðyétaːté/
> (avant Pomp : dy > yy) /méyyétaːté/
> (quand ? syncope suivie d'une palatalisation progressive ; vers l'an 400 : t > d) */meyyt'adé/
> (VIe siècle : diphtongaison française de a, d > ð) */meyyt'æè̯ðé/
> (effet de Bartsch) */méyt'æè̯ðé/
> (VIe siècle : dépalatalisation) */méytæè̯ðé/
> (avant Eulalie : monophtongaison æè̯ > æ) */méytæðé/
> (VIIe et VIIIe siècles : apocopes suivies du renforcement ð > θ) */meyti̯æθ/

> (fin du XIe siècle : amuïssement de θ) /meyt'i̯è/

a.fr. meitie 
> (ei > oi en prétonique) "moitié". → "moitié"




Origine des palatalisations :

- mĕdĭĕtātĕm : voir palatalisation d + ĭ, ĕ en hiatus ;

- *ămīcĭtātĕm : voir palatalisation ci en position faible ;

- pĭĕtātĕm : ce mot est en fait pījĕtātĕm : [piːyétté] (IPHAF:85), donc voir "fausse palatalisation" renforcement du yod  ;

- dĭgnĭtātĕm : voir palatalisation de gn.





latin


occitan


français

ā, ă tonique
-/a/

-/i̯é/





*ămīcĭtātĕ(m)
amistat

amitié
dĭgnĭtātĕ(m)
AO denhtat

a.fr. deintié 
mĕdĭĕtātĕ(m)

mitat

moitié
pĭĕtātĕm (*pījĕtātĕm)
pitat, piatat, pietat (1)
pitié





Tableau ci-dessus. Effet de Bartsch (cas de type "moitié"). En français, le a tonique libre latin aboutit à -ié.

(1) Pour pĭĕtātĕm, l'AO piatat, pietat sont sans doute des mots savants, calqués sur l'écrit pĭĕtās, l'espagnol piedad semble être semi-savant (avec t > d). 



Type "moyen"
 

Pour mĕdĭānŭ(m) > "moyen" : le suffixe latin -(ĭ)ānŭs évolue en -yen, -ien après palatale (CNRTL "-ien"). D'où dĕcānŭm > "doyen", mĕdĭānŭm > "moyen", pāgānŭm > "païen", et "citoyen" par analogie. En effet en domaine d'oïl :


- dĕcānŭ(m) : ka > ya (y est une palatale) ;

- mĕdĭānŭ(m) : dĭa > ya (plus souvent > ja en occitan) ;

- pāgānŭ(m) : ga > ya.


Il a existé les étapes a.fr. deiien ; moiien, meien ; paiien.

- Selon moi, le double i correspond à y + provenant de l'effet de Bartsch (à étudier) ;

- Pour l'évolution -eien > -oyen, voir ci-dessus ei > oi en prétonique.


(Voir aussi IPHAF:122, qui signale que le i est maintenu comme dans "chien" : "diphtongue nasale", mais le cas me semble différent pour "moyen", ou justement le i semble être tombé après y).


latin


occitan


français

ā, ă tonique
(après palatale et devant -n)

/ã/

/è̃/





 dĕcānŭm
degan

doyen
mĕdĭānŭ(m)
mejan

moyen
pāgānŭm
pagan (pacan)

païen





Tableau ci-dessus. Effet de Bartsch (cas de type "moyen").





Type "(il) chie"
 

Pour căcăt > "(il) chie" : c intervocalique > y, on aboutit donc à la triphongue iei dans */tʃiéyet/, puis iei > i, d'où "chie" (IPHAF:113).


Pour jăcĕt > "(il) gît", l'apparition de i diphtongal pour ke conduit à la triphongue iei dans */djiéist/, puis iei > i, d'où gist > "gît" (IPHAF:113).


Pour les noms de lieu en ācŭm (type Săbīnĭācŭm), voir ci-dessus toponymes en -ĭācŭm.





latin


occitan


français

ā, ă tonique
(devant futur i ou y en français)

/a/

/i̯éi/ > /i/





 -ĭācŭm
(Săbīnĭācŭm)

-ac
(Savinhac)

-y
(Savigny)
căcăt
caga

(il) chie
jăcĕt
jais

(il) gît





Tableau ci-dessus. Effet de Bartsch (cas de type "il chie"). Le a tonique libre est diphtongué en français (phénomène aboutissant à é, e). 




β. Action sur a initial prétonique libre (căballŭm > cheval)


Pour le français, un phonème palatal a une influence fermante sur a initial prétonique libre.



/a/ > /é/ > /ə/


(deuxième aspect de la loi de Bartsch)


căballŭ(m) "cheval"

/kavallʋ/

> (1e moitié du Ve s. : 4es palatalisations) */tʃavallʋ/

> (VIe siècle : action fermante de tʃ) */tʃévallʋ/

> (fin VIe siècle : -u > -ó) */tʃévalló/

> (VIIe siècle : dégémination et apocope) */tʃéval/

> (milieu du XIe siècle : affaiblissement é > ë) */tʃəval/

> (vers 1200 : désaffrication) */ʃəval/ → "cheval"






latin


occitan


français

ā, ă prétonique
/a/
/é/ > /ə/
căballŭ(m)

cavau

cheval
cānūtŭ(m)

canut

chenu
cănīcŭlă(m)

canilha

chenille
gallīnăm > *gallīnă(m)
galina

geline
jăcē

(AO) jazr, jazir ;
(a) jasir

gésir (1)





Tableau ci-dessus. Fermeture du a initial libre après phonème palatal en français (loi de Bartsch). 


(1) Pour jăcērĕ > */djai̯zir/ > */djéi̯zir/ > gésir, voir ci-dessous i diphtongal lié aux troisièmes palatalisations.





b. Action d'un phonème palatal sur é subséquent (cērăm > "cire")
 


Pour le français, on observe qu'un phonème palatal suivi de /é/ tonique libre a évolué en /i/ : cērăm > "cire", mĕrcēdĕm > "merci", Nŭcētŭm > "Noisy"... Le cas des infinitifs de type plăcē > "plaisir" est peut-être à rattacher à cette situation, mais il est possible aussi de les rattacher à la tendance -ērĕ > -īrĕ.


Donc (PHF-f2:320, IPHAF:114), un phonème palatal a eu une action fermante sur é tonique libre subséquent (qui venait d'être diphtongué en éi̯ comme indiqué ci-dessus). Ainsi le phonème  ͜ts (< c en position forte subissant les deuxièmes palatalisations, ou bien en position faible subissant les troisièmes palatalisations) a une action fermante sur le premier segment de éi̯  :


  */͜tséː/

> (VIe siècle : diphtongaison française)  */͜tséi̯/

> (action fermante de la palatale sur le premier segment de la voyelle subséquente)  */͜tsi̯éi̯/

> (monophtongaison i̯éi̯ > i, dépalatalisation à partir de la fin du VIe siècle)  /tsi/

> (XIIe siècle : désaffrication) /si/



PHF-f2:321 estime que pour le français, les traces de cette action fermante auraient disparu dans cĭcĕrĕ(m) > a.fr. cire "pois-chiche" (mais il existe a.fr. cice > "chiche" : à étudier), cĭnĕrĕ(m) > "cendre", Francĭscŭ(m) > "François". Le groupe /͜tsi̯é/ aurait été simplifié très tôt en /͜tsé/



Pour l'occitan, cra, merc, plazr... semblent être les formes typiques en AO bien que cira, merci, plazir existent. Pour cira, GIPPM-1:140 §83 propose une métaphonie à partir de cērĕă > *cērya.

Pour AO ciera : ? (tableau ci-dessous).



GIPPM-1:139 : (r.g.f.d.e.a.) "§ 82. — Cēpa > cebo, etc. : aucun mot n'indique de façon indiscutable une fermeture par le latin c, g précédent comme dans vfr. cive, etc... ; on verra donc un emprunt au fr dans païs "pays" à côté de pagés "paysan" < pagē(n)se (vpr. paés et païs "pays"), une substitution de suffixe dans poucin < pull(i)cīnu pour -ēnu [...], -ī- de vīnu dans rasin, aq. (ar)rasim ~ -dim, etc... <  vpr. razim < *racimu pour -ēmu."




Tableau d'exemples :


latin


occitan


français

/kéː/

/é/, /éi̯/ /i̯é/
(/i/ : franc. ?)

/͜tsi̯éi̯/ > /si/, /zi/
-ācē(n)sĕ(m)
*Bellovācēnsĕm
*Camerācēnsĕm



-aisis
Beauvaisis
Cambraisis (PHF-f2:321)
(voir *părīsĭensĕm > Parisis)

cēpă(m)

ceba "oignon"
AO cba

cive
cēră(m)

AO cra, ciera, cira ;
niç cèira

cire
lĭcē
AO lezr, lezir

loisir
germ *marka "frontière" > *marcē(n)sĕ(m)

AO marqus
a.fr. marchis > marquis
mĕrcēdĕ(m)

AO merc, merci, mercr, merci

merci
Nŭcētŭ(m)


Noisy
plăcē
AO plazr, plazir

plaisir





/géː/
/é/, /ié/... ?

/yyéi̯/ > /i/
pāgē(n)sĕ(m)

AO pas, païs ;
Vel paiés

a.fr. païs "pays"





Tableau ci-dessus. Évolution de /é/ libre tonique après /͜ts/. Les mots français du tableau sont tirés de PHF-f2:320.

En français, la double diphtongaison : par l'avant en raison de la palatalisation, et par l'arrière en raison de la diphtongaison française, aboutit à la triphtongue iéi, qui se réduit en i.




4. Bilan sur la diphtongaison française
 

Pour résumer, on a pour é, ó, a toniques libres en français :

é > éi̯ > wa

ó > óʋ̯ > œ, ë

a > aè̯ > é, è


Pour a tonique derrière /tʃ/ ou /dj/ :

a > i̯é


Pour a initial libre derrière /tʃ/ ou /dj/ :

a > ë


Dans cet exposé, la diphtongaison française au sens large constitue le troisième phénomène majeur qui explique pourquoi de nombreux mots français ont des voyelles différentes des mots occitans (voir le 2e phénomène ci-dessus).






D. Diphtongaison devant -l- en occitan
 

Voir les détails à diphtongaison devant l.


Cette diphtongaison n'affecte que l'occitan et peu de mots ; elle a été peu étudiée. Elle date peut-être du VIe siècle.



Elle affecte i et u toniques (libres ?) (respectivement < ī et < ū latins, voir mutation vocalique) devant -l- (donc elle est conditionnée). 


Bien sûr elle n'affecte pas les mots avec  l + ĭ, ă en hiatus (ex : fīlĭŭm, fīlĭăm), qui ont subi les premières palatalisations



Elle est du type : 


i > i̯é (ou i̯è, i̯a)

u > ʋ̯ò



latin


français


occitan

-īl- > -il-

-il-

-i̯é-
anguillăm > anguīlă(m)

anguille

anguiela
aprīlĕ(m)

avril

abrieu
argīllăm > argīlă(m)
argile

argiela (argela...)
fīlārĕ

filer

fielar
fīlŭ(m)

fil

fieu
pīlă(m)

pile

piela (2)
vīllăm > vīlă(m)

ville

viela










-ūl- > -ul-
-ul-

-ʋ̯ò-
cŭcūlŭ(m)

coucou (3)

coguòu, coguieu (4)
cūlŭ(m)

cul

cuòu, quieu (4)
mūlŭ(m)

mul (a.fr.) "mulet"

muòu
mūlă(m)

mule

muòla










Tableau ci-dessus. Diphtongaison devant -l- absente en français, mais présente en occitan.


(2) Cela vaut pour les deux étymons : pīlă "mortier, auge" et pīlă "pilier, colonne". 

(3) La forme française "coucou" a conservé le -k- par influence du cri de l'oiseau ; par ailleurs elle est héritée d'une forme cŭcŭlŭm, issue de cŭcūlŭm par assimilation des deux voyelles (également par influence du cri de l'oiseau) : CNRTL.

(4) Pour les formes coguieu, quieu, voir les détails à diphtongaison devant l.




E. Diphtongaison apparente devant /dj/ en occitan
 

On peut constater une diphtongaison apparente en /ʋ̯/ en occitan pour les voyelles latines suivies de b, v + ĭ, ĕ en hiatus : abbrĕvĭăt > abreuja "(il) abrège", *lĕvĭāriŭm > leugier "léger". Voir b, v + ĭ, ĕ en hiatus.







Autres diphtongaisons à étudier :


Cresson > creisson, grateron > grateiron, eriçon > eiriçon.




F. Vocalisation du v final en occitan
 


En occitan, le v devenu final a évolué en /ʋ̯/, alors qu'en français il a évolué en f : bŏvĕm > buòu, bœuf (GIPPM-2:115, IPHAF:147). Voir les détails à vocalisation de v.


Par exemple :

bŏve(m) > *buòwe > *buove > *buòv > buòu "bœuf".


Ce -v final provient d'un -v- latin, mais il peut provenir aussi d'un -b- latin, puisque b et v intervocaliques se rejoignent au début du IIe siècle :


trăbĕ(m) > *trave > oc. trau, a.fr. tref "poutre"


En outre pour le français, le -v final peut provenir d'un -p- latin : -p- > -b- > -v-.

Donc pour le français : -p- > -b- > -v- > -f (durcissement de v devenu final) ;

pour l'occitan -p- > -b- > -p (durcissement de b devenu final) :



ăpĕm > a.fr. ef "abeille" ("abeille" est d'origine occitane < ăpĭcŭlă) ;

*căpŭm > "chef" (*căpŭm) / oc cap ;

nĕpŏs > a.fr. CSS nief "neveu" / AO neps ;

sæpĕm > a.fr. soif "haie" / AO sp "haie" (voir sebissa). (Pour æ, voir diphtongues latines sæpĕm).




Pour le français, les apocopes se réalisent aux VIIe et VIIIe siècles, et c'est à ces dates que v devenu final se durcit en -f (c'est ce que je déduis de IPHAF:147, 196).


La date des apocopes est sans doute peu différente en domaine d'oc ; dès les premiers écrits occitans (Xe, XIe siècle), la vocalisation est déjà réalisée :


PassClerm : neus < *nĭvĭs, greu < grăvĕm, caitieu < captivum, viu < vīvŭm.

SFoi : lȩu < lĕvĕm, trau < trăbĕm, suau < sŭāvĕm, nau < nāvĕm, cau < căvŭm...



Il faut remarquer que le catalan partage avec l'occitan cette caractéristique de vocalisation du v final : catalan clau, neu, bou, nou...







latin
occitan
français
v /w/
en fin de mot

> /β/ > /v/
-/ʋ/
-f
b /b/
en fin de mot




-īvŭ(m)
(natīvŭm)

-iu
(AO nadiu)
-if
(naïf)
bŏvĕ(m)

buòu
bœuf
brĕvŭ(m)

brèu, brièu (1)
bref
căvŭ(m)

AO cau
(creux)
cĭvĕ(m)

AO ciu
(cité, ville)
clăvĕ(m)

clau
clef
grăvĕm > *grĕvĕ(m)

grèu
a.fr. grief "grave"
lĕvĕ(m)

lèu
("léger")
nāvĕ(m)

nau
nef
nĭvĕ(m)

nèu
a.fr. noif "neige"
nŏvĕ(m)

nòu
neuf (nombre)
nŏvŭ(m)

nòu
neuf (adjectif)
ōvu(m) > ŏvŭ(m)
uòu
œuf
rīvŭ(m)

riu
a.fr. rif "ruisseau"
āvĕ(m)

suau
a.fr. souef "suave"
vī
AO viu (GAP) a.fr. vif "(je) vis"
vīvŭ(m)
viu
vif




bĭ
AO beu (GAP) a.fr. boif "(je) bois"
sēbŭ(m)

seu
suif
trăbĕ(m)

trau
a.fr. tref "poutre"




Tableau ci-dessus. Évolution du v final en occitan et en français.

Des voyelles françaises ont subi la diphtongaison romane spontanée ou la diphtongaison française, ce qui explique qu'elles diffèrent de l'occitan.


(1) L'occitan brieu s'explique par la diphtongaison èu > ieu ; alors que l'a.fr. brief s'explique par la diphtongaison romane spontanée.





G. Diphtongaison de ò dans la moitié du domaine occitan (diphtongaison occitane)
 

Surtout à partir du XVe siècle, dans une bonne moitié du domaine d'oc, le ò (provenant du ŏ latin) se diphtongue en /wò/, /wa/ ou /we/. Voir la carte concernant la Provence. Cela n'a lieu (pour résumer) que si la diphtongaison ne donne pas des mots trop difficiles à prononcer (GIPPM-1:162) : bòn, pònt, pòrta, mòra "meurt" se diphtonguent, mais pròva, flòta, tròba ne se diphtonguent pas. Ce phénomène différencié en fonction des régions donne une marque forte aux accents de terroir, et en occitan il contribue à reconnaître l'origine géographique d'un locuteur.

La graphie classique ne note pas cette diphtongaison, et il convient à chacun d'interpréter l'orthographe avec son propre accent.



latin


occitan


français

ŏ

/ò/, /wò/, /wa/ ou /we/

o
bŏnŭ(m)
bòn /bõ, bwõ, bwã, bwẽ/
bon
cŏr

còr /kòr, kwòr, kwar, kwer/

cœur
mŏlăm
mòla /ò, wò, wa, we/

meule
mŏrĭt

mòra /ò, wò, wa, we/

meurt





Tableau ci-dessus : la diphtongaison de -ò-, présente dans une moitié du domaine d'oc et absente en domaine d'oïl. En domaine d'oïl, le -o- libre a subi la diphtongaison romane spontanée au début du quatrième siècle, ce qui explique -eu-, -œu- à la place de -o-.



H. Diphtongaison èu > ieu en occitan
 

Au moins à partir du XIIIe siècle, eu tonique /èʋ̯/ évolue en la triphtongue ieu /i̯éʋ̯/ (GIPPM-1:149). Cela affecte un petit nombre de mots. L'élément /ʋ̯/ peut être soit latin (Dĕŭm), soit issu de la vocalisation de l implosif (fĕl), soit issu de diphtongaison par coalescence (ĕgŏ). L'apparition de cette diphtongue est disparate, et il faudrait étudier la diversité des traitements dialectaux.


Cette diphtongaison semble avoir aussi affecté quelques mots en ancien français (peut-être limités à des formes dialectales), dont un seul mot est resté en français moderne : "pieu" (la triphtongue en ancien français a évolué en /yë/). En ancien français aussi : tieus pour "tel", hostieus pour "de l'hôte", quieus pour "quel".


Cette diphtongaison produit la même triphtongue que pour la diphtongaison iu > ieu (riu > rieu "ruisseau", viu > vieu "il vit"...).




Pour le français : 

pālos  (accusatif pluriel de pālus) > (diphtongaison française, de a tonique libre ci-dessus vers le VIIe siècle) péls > (vocalisation de l devant consonne vers le Xe siècle) CRP peus > pieus (date ?) (voir notamment PPH, sans pagination ; CNRTL).

(voir aussi PHF-f2:319)


L'évolution eu > ieu est une diphtongaison conditionnée par u diphtongal.

C'est très probablement le même phénomène en occitan.



latin


occitan


français

Andræum (1)
Andrèu > Andrieu

André
dĕŭ(m)

dèu > dieu

dieu (2)
ĕ

èu > ieu

je
a.b.fr. *fĕhu

fèu > fieu

fief (2)
fĕl

fèu (> fieu)

fiel (2)
jūdæŭm (1)
jusèu > jusieu

juif
lĕgūmĭnĕ(m)
leume > lieume (prov.rh.)
légume (leun a.fr.)
mĕŭ(m)

mèu > mieu

mien (2)
rōmæŭm (1)
romèu > romieu

(pèlerin)
tēgŭlŭ(m)
teule > tieule (lang)
tuile











Tableau ci-dessus : la diphtongaison eu > ieu en occitan.


(1) Pour *Andræŭm, jūdæŭm, *rōmæŭm, on obtient un /è:/ accentué par monophtongaison dans les milieux populaires.


(2) Le /i̯/ occitan s'explique par la diphtongaison eu > ieu, alors que le i français (dans "dieu, fief, fiel, mien..." s'expliquerait par la diphtongaison romane spontanée (IPHAF:31), bien plus ancienne.


Le français "mien" est la forme tonique de mĕŭm et a conservé l'équivalent du -m final (type monosyllabe, voir la partie 2. : amuïssement de -m) ; et en occitan : disparition du -m.




i. Diphtongues mieux conservées en occitan
 
1. Diphtongue latine au conservée en occitan
 

Voir ci-dessus diphtongue latine au conservée en occitan.



2. Diphtongues issues de la diphtongaison romane mieux conservées en occitan
 

Voir ci-dessus diphtongaison romane.



3. Diphtongue par vocalisation de l conservée en occitan
 

Voir les détails dans l'évolution historique à : vocalisation de l.


latin


languedocien


provençal


français

al (+ consonne)
>
/al/

/aʋ̯/
(dès Xe s.)

/ó/
(XVIe siècle)
cal(i)dum
cald
caud /aʋ̯/ 
chaud /ó/
altrum
altre
autre /aʋ̯/

autre /ó/

calceare


calçar


cauçar /óʋ̯/


  chausser /ó/

Tableau ci-dessus. Vocalisation du l devant consonne en provençal, créant une diphtongue qui a été réduite en français (mais l'ancienne prononciation est conservée à l'écrit).



4. derrière [ʃ], [j], [ñ], [λ] se simplifie en é en français
 

Derrière  [ʃ], [j], [ñ], [λ], en français souvent la diphtongue [é] ([yé]) se simplifie en [é] (CNRTL "-ier"). En effet, y s'inclut dans la consonne précédente, pour des raisons articulatoires (à développer). En occitan, la même tendance s'entend (influence du français ?), moins systématiquement (estrangier > souvent estranger, mais leugier "léger" bien conservé).

Après [(t)s], [r], il semble que le même phénomène se soit parfois produit (ci-dessous chacier, recincier > chasser, rincer), (*exclariare > esclairier > éclairer)



a. Suffixe -ier
 

Voir -ārĭŭs > -ier ("Diphtongaison romane").


*dŏmĭnĭārĭŭm > a.fr. dangier > "danger"

a.fr. estrange + -ier > a.fr. estrangier > "étranger"

*lĕvĭāriŭm > a.fr. legier > "léger" (pr leugier [lówdjyé] est bien conservé avec [-yé])

*vervecarius > berbicarius > a.fr. bergier > "berger"

vĭrĭdĭārĭŭm > a.fr. vergier > "verger"

...


Dans -gnier, -illier, l'orthographe avec i est conservée mais n'est pas articulée : "châtaignier", "groseillier" (à mieux étudier).



b. Groupe -ié- issu de l'effet de Bartsch (français)
 

Le groupe -ié- issu de l'effet Bartsch ne concerne par nature que le français (et le franco-provençal).


α. Noms et adjectifs (chièvre > chèvre)
 

cārŭm > a.fr. chier > "cher"

a.fr. chièvre > "chèvre"



β. Infinitifs en -ier > -er
 

(Je recense les cas ci-dessous car ils contredisent apparemment la théorie de la métathèse de PH-2020:370-373 : [r, s ou ts] + yod)


Terminaison -ier de l'infinitif :

abbreviare > a.fr. abregier > abréger

*acutiare > a.fr. aiguisier > aiguiser

cambiare > a.fr. changier > changer

*coacticare > a.fr. cachier > cacher

*captiare a.fr. chacier > chasser

circare > a.fr. cherchier > chercher

*directiare > drecier > dresser

*stakkaa.fr. estachier > attacher

manducare > a.fr. mangier > manger

*recentiare > a.fr. recincier > rincer, voir (AO) rezensar, rensar


La désinence -ier existait aussi dans :

calceare > chaucier > chausser

laqueare > lacier > lacer

basiare > baisier > baiser

*bassiare > baissier > baisser

laxare > laissier > laisser

*pissiare > pissier > pisser

...


Mais non dans :

causari > causare > choser (et "causer", emprunt)

cessare > cesser

lassare > lasser

quassare > casser

*passare > passer

*rasare > raser

...







J. Triphtongues mieux conservées en occitan
   

Dans l'évolution du latin de Gaule, de nombreuses triphtongues sont apparues en domaine d'oc, et sans doute davantage en domaine d'oïl (iae, eau). 


En français (IPHAF:124), elles ont toutes été réduites en diphtongues ("nuit", "mieux"), ou bien elles sont été monophtonguées ("six", "eau"). (Dans "mieux", "eau", leur mémoire est conservée dans l'orthographe).


En occitan, elles ont en général été soit conservées (buòu), soit réduites en diphtongues.



1. Meilleure conservation de iei en occitan

 
a. Cas général pour le devenir de iei
 

En français, l'ancienne diphtongue iei a en général été monophtonguée en i :

ecclĕsĭăm > *eglieisa > "église" (diphtongaison conditionnée par s') ;

prĕcăt > *prieie > "(il) prie" (diphtongaison spontanée) ;


Certains dialectes de l'Ouest montrent iei > è : voir carte ALF "cerise" : [srèːj] notamment dans 5361.

On peut proposer l'évolution ièi > èi (forme encore présente) > è. Je pense qu'on peut faire le rapprochement avec les toponymes de types Savigné, Sévigné, bien que les zones géographiques de l'actuel [srèːj] et des toponymes de types Savigné ne coïncident pas exactement, et bien que è n'est pas é. Voir ci-dessus Savigné.


Il faut remarquer que l'aboutissement è existe aussi dans les dialectes de l'Est : types srèːh, slèːj, səːj slèːz (88, 70, nord du 25).


En occitan, la triphtongue iei est tantôt conservée (cerièisa "cerise", sièis "six"), tantôt réduite en diphtongue (glèisa "église").




b. Cas de palatale + ei
 

Ce cas ne concerne que le français. Les palatales apparaissent notamment au cours des quatre phases de palatalisations.


Type cērăm > "cire"

Voir ci-dessus cērăm > cire (ci-dessus). Il y a probablement eu vers le VIe siècle : */͜tsé/ */͜tséi̯/ > */͜tsi̯éi̯/ > /tsi/.



Type Săbīnĭācŭm > Savigny


Type occidental : Săbīnĭācŭm > Savigné, Sévigné

Dans certains dialectes de l'Ouest, les toponymes en -ĭācŭm aboutissent en des formes en . Voir ci-dessus Savigné.



c. Particularités pour ieir
 

En français, on retrouve la monophtongaison iei > i (nom pĕjŏr /péyyór/ > *pieire > "pire"), mais il me semble que cela se réalise essentiellement quand r est suivi de voyelle.


En français comme en occitan, quand r est devenu final (pour les masculins, au moment des apocopes), ou quand il est suivi de consonne, dans ieir devient facilement ier


Aspect phonétique : ce i ne semble pas pouvoir s'assimiler à un r battu (roulé) final, donc c'est probablement un amuïssement par simplification (le groupe -ieir étant assez difficile à prononcer).


Par exemple :


- pour le français : ĭntĕgrŭm > *entieir > "entier" ; dans les féminins, ce i aurait été intégré dans l'évolution iei > i, par exemple ĭntĕgrăm > *entieire > a.fr. "entire". 



(PHF-f2:326) "À l'époque prélittéraire, il a dû exister une alternance entre les masculins entier, premier et les féminins entire, premire. Elle n'existe pourtant plus dans les anciens textes. Le féminin a été refait sur le masculin ; d'où entière, première. L'inverse a pu aussi se produire. On trouve en effet en vfr. des masculins entir et premir, avec i analogique du féminin."


(Pour entir, F. de La Chaussée est trop succinct : IPHAF:124, il n'explique pas la simplification -ieir > -ier).


- pour l'occitan, on a eu le même type d'alternance masculin/féminin, mais sans simplification iei > i au féminin :


ĭntĕgrŭm > *entieir > AO entier ;

ĭntĕgrăm > AO entieira (voir les citations dans LR 2:564a, qui montrent nettement une alternance masculin entier / féminin entieira ou enteira).




Voici les situations qui montrent cet amuïssement du second i en occitan :


- diphtongaison devant r palatalisé (avec -ier, mestier, mostier, tiera, mais fr. "tire"), voir notamment r + ĭ, ĕ en hiatus parvenu en position finale en occitan : -ātōrĭŭ > */-adóiró/ > -ador ;

- diphtongaison devant yod issu de dr, gr ;

- "tiers".









2. Meilleure conservation de uoi en occitan
 

Voir schéma d'évolution de (ce schéma concerne la descendance de ŏ tonique libre, mais il peut expliquer aussi en partie l'évolution de ŏ dans la diphtongaison conditionnée).

Par exemple dans nŏctĕm > "nuit", l'évolution est ʋoi > ʋei > ʋi > ui > üi.


(à continuer)






VII. Le i diphtongal de transition n'apparaît pas dans certains cas en occitan


Le i diphtongal de transition est par exemple le i dans baisar (bāsĭārĕ > baisar). Son apparition est liée aux palatalisations, voir la partie 2 : i diphtongal de transition. Dans certaines situations, il apparaît en français, mais pas en occitan.


Remarque : Les paragraphes ci-dessous restent hélas descriptifs. Ils dégagent des différences entre l'occitan et le français, mais je ne sais pas expliquer leur origine. Les deux possibilittés sont :

- Un mécanisme phonétique différent dans le nord et dans le sud de la Gaule ;

- Un effacement conscient du i diphtongal, de la part des des lettrés des premiers siècles après J.-C., qui auraient souhaité effacer un trait phonétique populaire leur semblant trop éloigné du latin. Voir ci-dessus superstrat.

Il faut remarquer qu'une fois encore, ce trait maintient l'occitan plus proche du latin (surtout le sud-occitan), contrairement au français qui s'en éloigne. Par exemple AO CSS /radzó/ "raison" est plus proche du latin rătĭō que /rai̯dzó/.




A. Le i diphtongal dans certaines palatalisations de t + ĭ, ĕ en hiatus

(premières palatalisations)

Voir dans la partie 2 : évolution de t + ĭ, ĕ en hiatus. Voir notamment étude de i diphtongal devant tĭ, tĕ + voyelle.


Dans certains mots avec t + ĭ en hiatus, le i diphtongal n'apparaît pas en occitan mais il apparaît toujours en français.



latin


occitan


français






prĕtĭu(m)
pretz
*prieits > prix
pŭtĕus
potz
puits
rătĭōnĕ(m)
rason

raison
sătĭōnĕ(m)
sason

saison
Ūcĕtĭăs
Usètz "Uzès"






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant t demi-palatalisé, absente en occitan mais présente en français. La graphie du français conserve la prononciation de l'ancien français.





B. Le i diphtongal dans les palatalisations de ke, ki en position faible (e, i non en hiatus)

(troisièmes palatalisations)

Voir dans la partie 2 : troisièmes palatalisations (où le tableau est plus complet).


Pour ke, ki (e, i non en hiatus), le i diphtongal n'apparaît pas en occitan (sauf en d), mais il apparaît toujours en français.



latin


occitan


français

V + /k/ (suivi de e ou i)

/z/ (-/s/, -/ts/)

(a.fr.) /i̯z/ (-/i̯ts/)





*ăvĭcĕllŭm > aucĕllŭ(m)

auzèu (1)

oiseau
crŭcĕ(m)

crotz

croix
dĕcĕ(m)

dètz

/di̯èi̯tsé/ > dix
jăcērĕ
(g) jàser

*/djai̯zir/ gésir (2)
*lūcīre
lusir

a.fr. luisir "luire"
pācĕ(m)

patz

paix
plăcērĕ
plaser

plaisir
răcēmŭ(m) > răcīmŭ(m)

rasim

raisin
vōcĕ(m)

votz

voix






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant k palatalisé, absente en occitan mais présente en français. La graphie du français conserve la prononciation de l'ancien français.


(1) Pour *ăvĭcĕllŭm > aucĕllŭm, les variantes occitanes avec c (aucèu) montrent un blocage de la sonorisation ; voir étude des descendants de aucĕllŭm.

(2) Pour jăcērĕ > /djai̯zir/ > (loi de Bartsch) */djéi̯zir/ > /jézir/.







C. Le i diphtongal pour /ñ/ devenu implosif

Cette notion est développée par F. de La Chaussée (IPHAF:74) d'après SM:549... pour le français. Devant un /ñ/ devenu implosif (c'est-à-dire parvenu en position finale dans un mot, ou plus rarement ici devant consonne), un i diphtongal est apparu en français (IPHAF:74), mais il n'est pas apparu en occitan. Par exemple, "coin", "poing", "saint" (jadis prononcés /kóñ/, /pói̯ñ/, /sai̯ñt/, IPHAF:74) correspondent à AO conh, ponh, sanh(t).


Origine de /ñ/ implosif :


La palatalisation du n ( > /ñ/) a eu lieu dans cinq situations (ci-dessous), où d'ailleurs le /ñ/ a pu disparaître par la suite (régression), en position implosive (c'est-à-dire en position finale ou préconsonantique).


- La position implosive finale est acquise au moment des apocopes, vers les VIIe et VIIIe siècles.

En français, le i diphtongal n'apparaît bien qu'en position implosive de /ñ/, car s'il apparaissait devant [ña], on aurait en français :

- toujours "araigne", "châtaigne", "montaigne" alors que "châstagne", "aragne" sont largement attestés, et bien sûr "montagne" (voir le problème de montaigne) ;

- Bŭrgŭndĭăm, grŭndĭăt, rĕtŭndĭăt, vĕrēcŭndĭă > Bourgoigne, groigne, roigne, vergoigne avec [wa], et non "grogne", "Bourgogne", "rogne", "vergogne".


- La position implosive préconsonantique est systématique devant -nct- (sanctŭs, sanctă...), ce qui fait apparaître systématiquement i en français : "saint", "sainte"... (autrefois prononcés avec le i). Devant -nty- (căntĭōnĕm > "chanson"), il n'y a pas apparition de i car selon F. de La Chaussée, on serait dans le même cas que -ndy- (Bŭrgŭndĭă) ci-dessus : -nty- > -ñt'- > -ñts'- : les éléments du groupe consonantique sont homorganes, avec "articulations très voisines les unes des autres", "leur palatalisation n'entraîne au départ ni effort ni ralentissement, donc pas de ." (IPHAF:74).


- La position implosive préconsonantique est acquise pour quelques mots au moment des syncopes :


n. grandĭŏr > a.fr. graindre (ci-dessous) : la syncope a mené en un premier temps à */grañr/, ce qui a entraîné l'apparition du i diphtongal > */graiñr/, un d épenthique et un -e épenthique se sont rajoutés ensuite > graindre ;


n. *pĭnctŏr > "peintre" (ci-dessous).



Dans chaque domaine ci-dessous, des analogies ont certainement exercé leur effet, notamment pour les verbes en -ngĕrĕ.



"Huile" : i diphtongal pour /λ/ devenu implosif ?
   

Selon RLHI:90, dans l'évolution de ŏlĕŭm "huile", /λ/ est parvenu en position finale puis se dépalatalise (régression) et conduit à /l/ (RLHI:90) : 


ŏlĕŭm > */òlyu/ > */òλó/ > /ò ɫ/ > /ò l/   →  a.fr. oïl, angl oil "huile"


Cependant les auteurs n'expliquent pas l'absence de diphtongaison romane ; on aurait le même aboutissement que "œil" (< ŏc(ŭ)lŭm).

Je pense que ce mot français a subi une influence savante, comme l'occitan òli (terminaison -i), et qu'il reste à expliquer son évolution phonétique de façon convaincante.





1. Le i diphtongal dans l'évolution de n + ĭ, ĕ en hiatus
   


Voir dans la partie 2 : évolution de n + ĭ, ĕ en hiatus.


L'évolution de n + ĭ, ĕ en hiatus mène à /ñ/ au IIe siècle. Ce /ñ/ fait entrave et empêche la diphtongaison française de se réaliser au VIe siècle (voir "montagne" et non "montaigne"). Par contre, si /ñ/ parvient en fin de mot au moment des apocopes, un i diphtongal apparaît en français (VIIIe siècle), mais pas en occitan.


C'est bien en fin de mot que i diphtongal apparaît en français, car dans le cas contraire, on aurait toujours "araigne", "châtaigne", "montaigne" alors que "châtagne", "aragne" sont largement attestés, et bien sûr "montagne" (voir le problème de montaigne).




latin


occitan


français

n + ĭ, ĕ + ăm, ŭm

-nh

-in





*banĕŭ(m)

banh

bain
*bisunnju (1)

besonh

besoin
n. compānĭō (2)

companh

(a.fr. compain) copain
cŏtōnĕŭ(m)

codonh

coing (-ng)
cŭnĕŭ(m)

AO cnh
coin
grŭnĭŭ(m)

gronh

groin
n. jūnĭŏr 
-

a.fr. juindre, joindre (3)
jūnĭŭ(m)

junh

juin
*mŭnnĭo-

AO mnh > monhon

a.fr. moing > moignon
sŏ(m)nĭŭ(m) (?)

AO sǫnh, snh (4)

soin
testimōnĭŭ(m)

tesmonh (5)

témoin






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ < n + ĭ, ĕ en hiatus, devenu implosif, absente en occitan mais présente en français. La graphie du français conserve la prononciation de l'ancien français.


(1) *bisunnju est un emprunt à l'a.b.fr. *bisun(n)i "soin, besoin".

(2) Le nominatif compānĭō survit dans (oc.) companh, (fr.) "copain", et l'accusatif companĭōnĕm a donné (oc.) companhon, (fr.) "compagnon".

Par ailleurs, le i diphtongal du français dans "copain" s'explique ici par l'apparition du /ñ/ implosif, alors que dans "pain" (< pānĕm), le i diphtongal s'explique par la diphtongaison française. En effet, la palatalisation précoce n > ñ (IIe siècle) constitue une entrave pour la voyelle /a/ dans compānĭō, */kómpañó/ qui ne peut donc pas subir la diphtongaison française au Ve siècle (voir entrave par les palatales) ; la disparition du final au VIIIe siècle entraîne la position implosive de /ñ/, avec l'apparition de i diphtongal en français.

(3) Pour a.fr. juindre, joindre "premier garçon de boulanger", voir l'apparition du n'r > ndr.

(4) Aussi en (OA) (l) sonh ; pour (pr) suenh, il s'agit peut-être d'une forme de diphtongaison conditionnée (?), à étudier. L'étymologie de "soin" n'est pas claire.

(5) Aussi testimòni par la voie savante.




2. Le i diphtongal dans l'évolution de nd + ĭ, ĕ en hiatus


Voir dans la partie 2 : évolution de n + ĭ, ĕ en hiatus.


L'évolution de nd + ĭ, ĕ en hiatus mène à /ñ/ ; si ce dernier parvient en position préconsonantique ou finale, un i diphtongal apparaît en français (VIIIe siècle), mais pas en occitan.


C'est bien en fin de mot (ou en position préconsonantique) que ce i diphtongal apparaît en français, car dans le cas contraire, on aurait eu l'évolution : Bŭrgŭndĭăm, grŭndĭăt, rĕtŭndĭăt, vĕrēcŭndĭă > Bourgoigne, groigne, roigne, vergoigne avec [wa], et non "grogne", "Bourgogne", "rogne", "vergogne". 



latin


occitan


français

nd + ĭ, ĕ + ăm, ŭm

-nh

-in





*Bŭrgŭndĭŭm



fr.pr. "Bourgoin" (38)
n. grandĭŏr > *grannĭŏr
?

a.fr. CS graindre "plus grand" (1)






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ < nd + ĭ, ĕ en hiatus, devenu implosif, absente en occitan mais présente en français. La graphie de l'ancien français témoigne de la diphtongaison /ai̯/.


(1) L'a.fr. graindre contient un d épenthique, voir graindre (d épenthique).




3. Le i diphtongal dans l'évolution de -nt- + ĭ, ĕ en hiatus


Voir dans la partie 2 : cas de ntĭ, ntĕ (premières palatalisations).

Dans l'histoire de -nt- + ĭ, ĕ, un /ñ/ est apparu. Si ce /ñ/ parvient en fin de mot au moment des apocopes, un un i diphtongal est apparu en français, mais pas en occitan.


À ce jour, je ne connais qu'un seul mot dans ce cas : *antĭŭs "avant", qui aurait été construit en latin populaire comme un comparatif de antĕ sur le modèle de mĕlĭŭs "mieux", et qui se serait opposé à pŏstĭŭs "puis". *Antĭŭs survit dans (pr) ansin et dans (fr.) "ainsi".



latin


occitan


français

nt + ĭ, ĕ + ăm, ŭm

-nt-

-in-





*antĭŭs

(AO) ants

(a.fr.) aints






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñt < -nt- + ĭ, ĕ en hiatus, en finale, absente en occitan mais présente en français. Ce cas explique la différence en début de mot entre (pr) ansin et (fr.) "ainsi".



4. Le i diphtongal dans l'évolution de -nct-


Voir dans la partie 2 : évolution de -nct-.


Au cours de l'évolution de -nct-, on obtient -ñt- donc un ñ toujours implosif. Il y a ensuite régression : /ñ/ > /n/.


Dans ces cas aussi, un i diphtongal apparaît en français, mais pas en occitan.





latin


occitan


français

-nct-

-nt-

-int-





n. *pĭnctŏr
(AO) ?

peintre
pĭnctŭ(m)

pench

peint
*pĭnctūră(m)

(AO) penchura

peinture
planctŭ(m)

planch

plaint
pŭnctŭ(m)

ponch

point
sanctŭ(m)
sant (AO sanch)

saint
tĭnctŭ(m)
tench

teint
tĭnctūră(m)
tenchura

teinture










Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ < -nct- , devenu implosif, absente en occitan mais présente en français.






5. Le i diphtongal dans l'évolution de n vélaire (-ng-, -nc-, -gn-)


Voir dans la partie 2 : évolution de n vélaire (-ng-, -nc-, -gn-) (deuxièmes palatalisations).



a. Le i diphtongal pour le cas de -ng- (-nge-, -ngi-)


D'après ce qu'on peut constater (voir palatalisation de -nge-, -ngi-), pour les verbes concernés, le /ñ/ devient implosif essentiellement en français, ce qui entraîne l'apparition du i diphtongal. En occitan, par le jeu des apocopes, /ñ/ reste en position intervocalique (sauf pour les 3es personnes du singulier : planh "il plaint"). Ainsi, le i diphtongal n'apparaît qu'en français. De toute façon pour l'occitan, même pour planh "il plaint", on se trouve dans la situation de conh (ci-dessus), ponh (ci-dessous) : le i diphtongal n'apparaît pas.


En français et en dialecte provençal, le /ñ/ connaît ensuite la régression : /ñ/ > /n/ qui réalise plus tard les nasalisations, voir ci-dessus (mais on le conserve à l'écrit : -nh).


Dans le tableau ci-dessous, on donne quelques mots concernés ; la totalité est donnée dans le tableau de la partie "Du latin au provençal 2".



latin


occitan


français

-ng-

-nh-

in(d)





cĭngĕrĕ

cénher

ceindre
longē

AO lǫnh, lnh, luenh "loin" (1)
loin
plangĕrĕ

plànher

plaindre
pungĕrĕ

pónher

poindre






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ < -ng-, devenu implosif, absente en occitan mais présente en français. Voir la totalité des mots concernés dans le tableau de la partie "Du latin au provençal 2". La graphie du français conserve la prononciation de l'ancien français.


(1) pour longē, AO luenh, comme a.fr. luinz montrent probablement une diphtongaison conditionnée par nh.



b. Le i diphtongal pour le cas de -nc- (-nce-, -nci-)


Voir dans la partie 2 : évolution de -nce-, -nci-.


À ma connaissance, un seul mot est concerné (avec ses formes conjuguées) : vĭncĕrĕ "vaincre", vĭncĭt "il vainc". Il existe aussi sans doute des noms propres. Au cours de l'évolution de -nce-, -nci, on obtient /ñ /. Les scénarios sont présentés à la partie 2 : évolution de -nce-, -nci-. Il y a ensuite régression du ñ : ñ > n. Un i diphtongal apparaît en français, mais pas en occitan.



latin


occitan


français

-nc-

-ns-

-int-





vĭncĕrĕ

venser

veintre (> vaincre)
vĭncĭt

vens

veint






Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ < -ng-, devenu implosif, absente en occitan mais présente en français. La graphie du français conserve la prononciation de l'ancien français.




c. Le i diphtongal pour le cas de -gn-


Voir dans la partie 2 : évolution de -gn-.


En français comme en occitan, l'évolution de -gn- mène à /ñ/. Si /ñ/ devient implosif, un i diphtongal apparaît en français, mais pas en occitan.


latin


occitan


français

-gn-

-nh

-in





pŭgnŭ(m)

ponh

poing (-ng)
sĭgnŭm

senh

seing (-ng)
stagnŭ(m)

estanh

étain










Tableau ci-dessus. Cas d'apparition de i diphtongal devant ñ devenu implosif, absente en occitan mais présente en français.











VIII. Nasalisations plus conservatrices en occitan
  
A. Nasalisation partielle en occitan, et complète en français
 ☜

Constat sur les voyelles nasales actuelles

En occitan, les voyelles nasales sont restées à un stade ancien dans lequel elles sont seulement partiellement nasalisées. En français, elles sont devenues complètement nasalisées. En effet en occitan, elles "conservent très généralement le timbre de la voyelle orale correspondante" (LO:24). Cela signifie que an, in, on, un sont prononcés avec un très fort accent du sud : certes on a besoin de faire sortir de l'air par les fosses nasales pour les prononcer, mais on entend quand même nettement a, i, o ou u en début de voyelle. C'est ce qui donne sans doute le trait le plus caractéristique de l'accent méridional.


Après le timbre de la voyelle nasalisée, on admet qu'on entend légèrement un ŋ ; certains auteurs ont mentionné un n vélaire net (par exemple GHLF:28). Ainsi on retranscrira lenga [lé̃ŋgo/a], voir voyelles nasales à "Transcription phonétique". Selon F. de La Chaussée, (IPHAF:135), dans le Midi de la France, ce ŋ est le vestige du n latin, qui était prononcé dans le domaine d'oïl jusqu'en m.fr.. "En ancien français, la consonne nasale, après avoir nasalisé la voyelle antécédente, continue à se faire entendre en toutes positions, donc même implosive, et cela jusqu'au moyen français. Cet état de choses persiste encore partiellement dans le Midi."



Action nasalisante de m et n au cours de l'histoire

En français, c'est à partir du XIe siècle que les nasalisations commencent à se réaliser (IPHAF:136). Devant m ou n (consonnes occlusives nasales), la voyelle se nasalise, d'abord en conservant l'articulation de la consonne m ou n. Cela est vrai pour m et n en toute position : suivis d'une consonne ou en fin de mot (m et n implosifs), mais également lorsqu'ils sont en position intervocalique (mais cette dernière va disparaître, voir juste ci-dessous).



Nasalisations puis dénasalisations devant m, n, gn intervocaliques
      


En position intervocalique, les voyelles françaises se sont nasalisées puis dénasalisées :

/bònə/ > (nasalisation) /bò̃nə/ > (dénasalisation) bòːnə/.


La dénasalisation n'affecte que ces voyelles nasales devant m, n, gn intervocaliques. Cette dénasalisation a commencé

a commencé


Pour le français :


bŏnă(m) "bonne"


*/bòːna/
(diphtongaison romane) */bʋò̯na/
> (VIe siècle : -a > -ə) */bʋò̯nə/ buona Eulalie (-a étymologique) 
> (ʋò̯ > ò) */bònə/
> (XIIe siècle : nasalisation) */bò̃nə/ a.fr. bonne (graphie indiquant la nasalisation)
> (à partir du







a.fr. meitie 

→ "moitié"



La graphie française conserve la trace de la nasalisation par exemple dans "bonne" (< lat bŏnă), qui était prononcé *[bò̃nə], dans "pomme" (< lat pl.n.>sing.f. pŏmă), qui était prononcé *[pò̃mə], dans "femme" (< lat fēmĭnăm), qui était prononcé [fmə], puis [fɑ̃mə] (ci-dessous nasalisations des voyelles en français).


Parmi les mots français qui conservent cette mémoire de la nasalisation dans la graphie, on peut citer :

bonne, comme, couronne, femme, flamme, pomme... patr Boulongne.


(IPHAF:137) "Les graphies femme, pomme, bonne, représentent le stade précédant la dénasalisation".

(PHF-p:205)







B. Les voyelles nasales occitanes perpétuent fidèlement les voyelles du latin tardif (surtout à l'est du Rhône)
 

Par rapport au français, le provençal utilise un plus grand nombre de voyelles nasales (faiblement nasalisées) : ã, é̃, è̃, ĩ, ò̃, ʋ̃, ũ, (ẽ, õ, ó̃, œ̃).

Cela est dû au fait que le provençal (encore plus que les dialectes à l'ouest du Rhône, voir ci-dessous) reflète encore fidèlement les sept voyelles du système vocalique du latin tardif, alors que le français a simplifié ce système pour utiliser aujourd'hui seulement quatre voyelles nasales.


En effet en français s'est manifestée l'influence ouvrante de la nasalisation (IPHAF:133) : pour des raisons d'articulation, èn, én finissent par se prononcer comme an. De même /ĩ/ devient /è̃/, et /ũ/ devient /œ̃/. Ce phénomène n'a pas eu lieu en occitan, où les voyelles ne sont que partiellement nasalisées (voire pas du tout). Remarquons que cette influence ouvrante semble en contradiction avec l'influence fermante de n et m, mais ces deux phénomènes ont bien existé en français et ne sont pas contradictoires (l'influence fermante est plus ancienne). 


Pour l'occitan : l'est et l'ouest du Rhône : Le provençal et le vivaro-alpin (rive orientale du Rhône) sont plus conservateurs que les autres dialectes, car on y distingue encore /é̃/ et /è̃/ (GIPPM-1:155 et:156). En effet, dans les dialectes à l'ouest du Rhône, le e s'est fermé dans tous les cas devant consonne nasale implosive (n ou m). Voir è devant nasale implosive. Le cas est semblable pour ò devant nasale implosive.



Le résultat général est illustré dans les tableaux ci-dessous. Ces tableaux ne présentent que les voyelles entravées (donc non diphtonguées en français). Donc ils représentent les cas d'une voyelle + n / m + consonne éventuelle.



LPT1


XIe siècle



XIIe siècle


XIIIe siècle



XVIe siècle

an
>
ãn >
ɑ̃n


>

>

ɑ̃
èn
>
ẽn >
én
>











òn

>

õn
>

õ
ón

>











in

  

>

  

>


ĩ

>

è̃

un

>

>

ũ
>
œ̃











Tableau ci-dessus. Nasalisations des voyelles latines en français. À partir des sept voyelles du latin tardif, quatre voyelles nasales sont obtenues (voyelles entravées). Chronologie : voir IPHAF:136.


 

LPT1









provençal

an




>



ãŋ
èn




>



è̃ŋ
én




>



é̃ŋ




 







òn




>



ò̃ŋ
ón




>


(1)
ʋ̃ŋ











in

 

 

 

 

>

 

 

 

ĩŋ

un




>


(1)
ũŋ

Tableau ci-dessus. Nasalisations des voyelles latines en occitan. Les voyelles latines sont bien conservées au cours de la nasalisation : à partir des sept voyelles du latin tardif, sept voyelles nasalisées sont obtenues (voyelles entravées). La situation présentée est celle pour le domaine d'oc oriental (car en domaine occidental, èn et òn se ferment en én et ón).


(1) ó du LPT1 évolue en /ʋ/ à partir du XIVe siècle ; u /ʋ/ du LPT1 évolue en /u/ vers le VIIIe siècle.



Exemples :


latin


LPT1


provençal


français

căntăt

cantat

cantaŋ/

chante /ɑ̃/
tĕmpŭs

tèmpus

tèmps /è̃ŋ/
temps /ɑ̃/
sĭmŭlăt

sémbla

sembla /é̃ŋ/
semble /ɑ̃/








cŏmĭtĕ(m)

còmte

còmte /ò̃ŋ/
comte  /ò̃/
fŭndŭ(m)

fóndu

fons /ʋ̃ŋ/
fond  /ò̃/








vīnŭ(m)


vinu


vinŋ/


vin  /è̃/

ūnŭ(m)

unu

unŋ/
un /œ̃/

Tableau ci-dessus. Exemples comparés des nasalisations de mots en provençal et en français, selon le cadre des deux tableaux situés au dessus. Le provençal conserve les sept voyelles du latin tardif dans la nasalisation, alors que le francais en modifie plusieurs. Cependant, le français conserve les voyelles latines dans la graphie (mais sans distinguer é/è, ó/ò). 





C. Influence fermante de la consonne nasale en français

(et partiellement dans les dialectes occitans à l'ouest du Rhône)

Pour des raisons d'articulation, les consonnes nasales m et n ont une action fermante sur la voyelle qui les précède (IPHAF:132). C'est ainsi qu'on peut expliquer les deux phénomènes suivants.




a. L'évolution qui prolonge la diphtongaison de a tonique libre en français :  ae̯ > ai̯ (dès le protofrançais, c'est-à-dire au VIIIe siècle) :


ămăt > ae̯mat > ai̯met > aime /èm/

lānă(m) > lae̯na > lai̯ne > laine /lèn/


Cette évolution a dû contribuer à former le digramme ai en français.




b. La fermeture ancienne de è et ò devant nasale implosive dans les dialectes occitans occidentaux (temps, comte contre tèmps, còmte en provençal).



Remarquons qu'il n'y a pas contradiction entre cette influence fermante et l'influence ouvrante de la nasalisation, qui a lieu plus tard (et qui n'affecte que le français, au moment des nasalisations). 





IX. Autres phénomènes vocaliques
 

Perpétuation de la fermeture des atones en occitan
 

La règle de la fermeture des voyelles atones, apparue en latin tardif, se perpétue en occitan, menant notamment à l'alternance vocalique (par exemple : portar [pʋrta] / pòrta "il porte").


Au contraire, le français s'est affranchi de cette loi ("porter" [pòrté] / "il porte" [pòrt]).

Quelques verbes français présentent une alternance vocalique : mener/mène, céder/cède, voir Formes d'alternance vocalique en français.





Réaction des non-ouistes en français
 

L'occitan comme le français ont suivi la fermeture ó > ʋ. Aux XVIe et XVIIe siècles, en français pour les ó prétoniques, une réaction de grammairiens surnommés non-ouistes a réussi à imposer le maintien de ó dans certains mots français : "arroser", "fromage", "soleil"... Cette réaction n'a pas eu lieu en domaine occitan : arrosar, fromage, soleu sont toujours prononcés avec /ʋ/.


La francisation de nombreux noms de lieux occitans a suivi le même modèle : Lodève (Lodeva), Rodez (Rodés), Rognonas (Ronhonàs), Orgon (Orgon), Bonnieux (Bonieus), Collias (Colhiàs). Mais Courthézon (Corteson), Roussillon (Rossilhon), Boulbon (Borbon) ont conservé le "ou" de l'occitan.






X. Évolution des proparoxytons latins
   


Voir Tendances générales de l'occitan par rapport au français (pour les proparoxytons).








XI. Conjugaisons
   



A. Existence d'un système verbal vélaire en occitan : aguèt, fuguèt, posquèt, visquèt...


À une période reculée mais imprécise ("pré-occitan"), un nouveau système verbal est apparu et s'est développé dans le domaine occitan et catalan : le système vélaire (PR*[w](vélaire signifie qu'une consonne est articulée avec le voile du palais, c'est-à-dire à l'arrière du palais : ici les sons [g] et [k]). Ce système est aussi appelé modèle PyTA, de l'espagnol pretérito y tiempos affines "prétérit et temps affines" (EMCVI).

Les représentants actuels de ce système verbal sont très nombreux ; ils sont en [g] et en [sk] :

aguèt "il eut", fuguèt "il fut", posquèt "il put", visquèt "il vecut", qu'ague "qu'il ait", agut "eu", aguer "avoir", etc.

Le sujet est développé à Système verbal vélaire.




B. Le français conserve -t latin aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel
   

Le français conserve t final latin à la 3e.p.s. et à la 3e.p.p., par exemple : est > "(il) est" ;  "sŭnt > (ils) sont". (En a.fr., le t final était prononcé). Au contraire, en occitan, -t a été perdu : on écrit par exemple es, son/sun dès les plus anciens textes (SFoi, Boeci). Voir cantăt, cantănt....







XII. Évolution différente de la tournure prépositionnelle

En latin tardif, la tournure prépositionnelle remplaça de plus en plus la tournure casuelle ; on peut observer quelques différences dans cette évolution entre le nord et le sud de la Gaule.


Préposition de


- Article partitif

  fr. de + article = oc. de


d'aiga  = de l'eau

de pan = du pain

de faiòus = des haricots (de ce panier)


L'article partitif est de en occitan, mais " du, de la, de l' "  en français, voir l'onglet "Étymologie" de de. Apparemment dès les débuts de la langue, oc. de = fr. de + article.


Cela est en continuité avec l'article indéfini pluriel : de en occitan, mais "des" en français.



- Génitif de possession (voir l'onglet "Étymologie" de de).


Il est à moi = Es de ieu


L'emploi en latin tardif de la préposition ad > "la fille au roi" est typique du domaine d'oïl. En occitan, seule la préposition de fut utilisée > la filha dau rei. D'où la différence :

À qui est ce livre ? = De cu es aqueu libre ?

Ce livre est à moi = Aqueu libre es de ieu / es mieu.